Nous ne pouvons plus dissocier l’économie et l’écologie, car l’avidité de la consommation et de l’enrichissement entraîne le saccage de la nature. Ceci n’est pas encore intégré dans les marchés financiers dont les rendements exigés et l’horizon de temps semblent incompatibles avec les limites planétaires.
L’écologie économique a, en effet, mis en exergue l’insoutenabilité écologique du mode actuel de production et de consommation. Comment concilier une planète dont la croissance naturelle est de 2-3 % (ce que des penseurs médiévaux ont assimilé au taux d’intérêt naturel, en référence à la croissance moyenne annuelle des végétaux) alors que le capital exige une rentabilité annuelle de l’ordre de 10 % ? L’économiste américain Kenneth Boulding (1910-1993) a dit à cet égard : « Anyone who believes that exponential growth can go on forever in a finite world is either a madman or an economist . »
L’économie financière traditionnelle ne valorise pas les ressources primaires (l’eau, l’air, etc.), mais seulement le coût de leur extraction ou de leur transformation. Les circuits économiques sont partiellement fondés sur des stocks de ressources primaires de valeur nulle (ou de quantités présumées infinies), ce qui conduit à ne pas intégrer leur disparition et l’anéantissement écologique.
On peut s’interroger sur le fait de savoir pourquoi ces marchés financiers n’intègrent pas ces risques environnementaux de nature systémique. Les marchés financiers, qui n’ont pas de conscience environnementale, seraient-ils incapables d’assimiler la notion de temps ?
On constate que la prime de risque associée aux actions (et qui mesure l’imprécision associée au futur) est, depuis des années, assez stable, ce qui laisse penser que les marchés ne réduisent pas l’aléa associé au futur en intégrant une finitude environnementale puisque, dans cette hypothèse, les flux financiers futurs escomptés, ainsi que la prime de risque, devraient disparaître.
Par myopie ou presbytie, et surtout faute de pouvoir trouver une autre affectation au capital, les marchés financiers entretiennent-ils donc une illusion de pérennité ? Ou bien les marchés anticipent-ils une extraction croissante des ressources naturelles dans une dernière pulsion de mort et d’exploitation dystopique des travailleurs ? Car, si plus rien ne vaut rien dans un cataclysme environnemental et social, la valeur n’est plus. Le constat est métaphysique et il tiendrait alors à l’impossibilité radicale du système d’intégrer la mort du monde parce qu’elle est alors sienne. Ou est-ce la triste illusion ou, pire, le constat que le capital ne vaudra quelque chose que pour ceux qui s’en approprieront les derniers rendements ?
Une autre explication réside dans le caractère adaptatif du progrès humain (dont le conflit et l’extermination partielle sont d’ailleurs des modalités, ainsi que l’histoire l’enseigne) : les marchés financiers retrouveront d’autres dynamiques. Depuis que le capitalisme financier existe, il n’a jamais été durablement empêché. Avec une formidable plasticité, il s’est toujours joué des famines, des guerres et des révolutions. Il possède probablement en lui un optimisme qui lui vient de l’enrichissement du monde dont il peut arguer, en passant sous silence bien sûr ses innombrables victimes.
Mais si l’économie de marché est assez malléable pour faire face aux défis environnementaux existentiels, ce ne sera alors pas avec les mêmes actifs qu’aujourd’hui. En renfort de cette explication, BlackRock, le plus grand gestionnaire mondial d’actifs, a averti, au début de l’année 2022, d’un déplacement tectonique des capitaux et des prémices d’un profond tremblement de terre économique dû à la transition climatique. Ce gestionnaire prévient d’une transformation radicale de l’économie, comparable à l’entrée de la République populaire de Chine dans le commerce mondial ou à la révolution des nouvelles technologies.
Quoi qu’il en soit, les marchés financiers ne semblent pas avoir intégré les études scientifiques conduisant aux risques d’extinction de l’humanité. Est-ce trop lointain ou insuffisamment crédible ? Je ne sais pas. Mais il est certain qu’à un moment, ces risques devront être intégrés dans le cours des valeurs mobilières, de manière spontanée, selon la gestuelle de la main invisible d’Adam Smith (1723-1790), ou parce que les autorités publiques imposeront des normes environnementales et des frais de transition climatique aux entreprises qui affecteront leur rentabilité.