L'accord de gouvernement de la coalition De Wever I est ambitieux à bien des égards, notamment en matière de ressources humaines. Le marché du travail, la fiscalité et les pensions feront l’objet d’une réforme en profondeur. Quelles sont les principales mesures qui auront un impact sur les relations de travail dans le secteur privé ? De nombreuses dispositions sont prévues. Certaines semblent déjà très concrètes, mais leur mise en œuvre précise doit encore être définie.
Vous trouverez ci-dessous un aperçu des principales mesures. Dès que celles-ci seront concrètes dans les mois à venir, nous les examinerons en détail.
Le gouvernement De Wever I propose des modifications importantes dans son accord de gouvernement.Thomas Lesseigne, Legal HR Consultant, SD Worx
L'accord gouvernemental vise à flexibiliser et moderniser le marché du travail. L'objectif est d’augmenter le taux d'emploi, avec une attention particulière portée aux personnes en incapacité de travail de longue durée.
Le premier chantier concerne le chômage. Les allocations de chômage seront limitées dans le temps, en principe à un maximum de deux ans (après cinq années de travail, et encore moins pour ceux ayant travaillé moins longtemps). Pour les jeunes diplômés, la durée maximale sera d'un an. Les travailleurs de 55 ans ayant au moins 30 ans de carrière (progressivement porté à 35 ans d’ici 2030) ne seront pas soumis à cette limitation. Dans un premier temps, l'allocation de chômage sera plus élevée qu'aujourd'hui, mais elle diminuera ensuite de manière plus marquée. Un travailleur ayant au moins 10 ans de carrière pourra bénéficier temporairement d'une allocation de chômage en cas de démission volontaire.
En ce qui concerne les nouveaux engagements, l'indemnité de licenciement sera plafonnée à 52 semaines (un an). Actuellement, cette durée n’est atteinte qu’après 17 ans d’ancienneté. De plus, le nombre d’indemnités de licenciement visant à protéger les travailleurs sera réduit, mais il n’est pas encore précisé s’il s’agira d’une interdiction de cumul ou d’une diminution des cas concernés. Pour les candidats non élus aux élections sociales, la période de protection passera de deux ans à six mois. Pour les élus, aucune modification n’est prévue.
L’accord contient également un passage détaillé sur l’incapacité de travail, l’activation et la réintégration des (longues) absences pour maladie sur le marché du travail, comprenant notamment :
Pour les travailleurs, plusieurs restrictions supplémentaires sont introduites. Une nouvelle sanction plus sévère (réduction des indemnités de maladie) sera appliquée aux travailleurs qui ne collaborent pas suffisamment avec un trajet de réintégration (RIT) ou avec un parcours de retour au travail. De plus, la règle relative à la rechute avec droit à un nouveau salaire garanti ne s’appliquera qu’après huit semaines de reprise du travail. Actuellement, cette période est beaucoup plus courte : un travailleur qui reprend le travail pendant 14 jours civils (deux semaines) bénéficie à nouveau d’une période de salaire garanti en cas de rechute.
Des modifications concernent également le certificat médical. Dans certains cas, les médecins traitants pourront attester non seulement de l’incapacité de travail, mais aussi de l'aptitude (ce que le travailleur est encore en mesure de faire), via une « fit note » . Un point de signalement numérique sera mis en place pour les « certificats médicaux suspects ».
Des mesures visant à améliorer l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée seront mises en place. Un « crédit familial », une sorte de portefeuille de droits de congé par enfant, simplifiera les droits aux congés actuels pour les personnes s'occupant d'un enfant. Ce dispositif sera le même pour les travailleurs, les indépendants et les fonctionnaires. Les grands-parents et parents d'accueil pourront également en bénéficier en partie. Par ailleurs, le crédit-temps et l’interruption de carrière seront harmonisés pour tous selon le régime du secteur privé.
Un emploi de fin de carrière (à mi-temps ou à 4/5ème) restera possible à partir de 55 ans, à condition d’avoir une carrière d’au moins 30 ans, avec un minimum de 156 jours travaillés par an. Cette exigence passera progressivement à 35 ans de carrière d’ici 2030. Le RCC (ancienne prépension) disparaît : à partir de la date de l’accord gouvernemental, plus aucune nouvelle entrée ne sera possible. Il reste cependant incertain ce qu’il adviendra des travailleurs actuellement en période de préavis en vue d’un passage au RCC. Seuls certains cas continueront d’y avoir accès : le RCC médical, qui est réservé aux travailleurs reconnus comme personnes en situation de handicap ou souffrant de problèmes physiques graves, ainsi que le RCC en cas de restructuration ou de licenciement collectif, à condition que ces mesures aient été annoncées avant l’accord gouvernemental.
La flexibilité du travail sera encore renforcée. Les travailleurs bénéficieront de plus de liberté pour déterminer leurs horaires de travail, dans le respect des règles européennes et en accord avec leur employeur. Un nouveau cadre juridique pour le travail flexible sera mis en place, où la durée moyenne du travail sera évaluée sur une base annuelle. Lorsque cela est possible, un système d’enregistrement du temps de travail sera instauré.
La durée minimale hebdomadaire pour le travail à temps partiel (1/3 d’un temps plein) sera supprimée, mais la durée minimale de 3 heures par prestation sera maintenue. L’interdiction du travail de nuit sera également levée. Un régime spécifique pour le travail de nuit dans le secteur de la distribution (notamment pour l’e-commerce) sera instauré afin de permettre une meilleure compétitivité avec les pays voisins.
Un régime structurel de 180 heures supplémentaires fiscalement avantageuses sera mis en place, avec des avantages fiscaux pour les employeurs et les travailleurs. Les heures supplémentaires volontaires(sans récupération) seront étendues à 360 heures dans tous les secteurs, avec 240 heures supplémentaires « nettes » (aucune majoration salariale, pas de charges sociales ou fiscales, le brut équivalant au net). Pour le secteur de l’Horeca, ce quota sera de 450 heures et 360 heures nettes. Ces heures supplémentaires volontaires seront réservées aux travailleurs à temps plein et aux travailleurs à temps partiel ayant au moins 3 ans d’expérience, à condition qu’il y ait une augmentation du volume de travail.
Le régime avantageux pour le travail étudiant sera étendu à 650 heures par an, soit 50 heures de plus que le plafond des années précédentes. De plus, l’étudiant pourra gagner plus d’argent tout en restant à charge de ses parents.
Les flexi-jobs seront également assouplis, avec un salaire brut plus élevé et un revenu annuel maximal de 18 000 euros. Pour les travailleurs à temps plein, l’interdiction d’exercer un flexi-job dans une « entreprise liée » disparaît. Les flexi-jobs seront étendus à tous les secteurs, tout en tenant compte des professions protégées et en permettant une option de retrait sectorielle.
Le gouvernement demande aux partenaires sociaux de créer un contrat de travail intérimaire à durée indéterminée.
D'ici la fin de l'année 2025, la période d’essai sera réintroduite, avec un délai de préavis d’une semaine pendant les six premiers mois du contrat de travail.
Les partenaires sociaux devront finaliser le statut unique pour les ouvriers et les employés. Par exemple, les règles concernant les congés annuels et le salaire garanti sont actuellement différentes pour les ouvriers et les employés.
D’ici le 1er janvier 2027, le nombre de comités paritaires devra être réduit.
Le gouvernement prévoit également d'agir sur d’autres aspects de la simplification administrative.
Dans les chapitres concernant la lutte contre la fraude sociale et fiscale ainsi que le dumping social, les éléments suivants retiennent l’attention :
Par diverses mesures, le gouvernement souhaite soutenir le pouvoir d'achat ainsi que l'entrepreneuriat. L’indexation et la loi sur la norme salariale resteront en place, mais le gouvernement demande aux partenaires sociaux de proposer, d'ici fin 2026, un avis sur une réforme fondamentale des deux systèmes.
Le salaire minimum intersectoriel augmentera le 1er avril 2026 (comme prévu) et en 2028, sans que les coûts salariaux n'augmentent. À partir de 2027, les salaires nets augmenteront progressivement, avec un accent sur les salaires se situant sous la médiane (en début 2024, le salaire brut médian à temps plein en Wallonie était de 3100 euros, selon notre étude ; Statbel a estimé qu'il était d'environ 3750 euros pour la Belgique en septembre 2024). Le salaire minimum devra être identique brut et net.
Les primes collectives, telles que la CCT 90 et la prime bénéficiaire, seront simplifiées et harmonisées, sans augmentation des charges fiscales.
Les coûts salariaux pour les bas et moyens salaires seront réduits, et la cotisation patronale à l'ONSSsera plafonnée à partir du niveau de salaire du Premier ministre (environ 250 000 euros bruts annuels). Le régime fiscal des expatriés sera rendu plus attractif, avec une indemnité exonérée d'impôt de 35 %, l’abrogation du plafond de 90 000 euros et une réduction du salaire minimum pour bénéficier de ce régime à 70 000 euros.
La réduction pour groupes cibles pour premiers engagements sera légèrement réduite, mais aussi légèrement étendue.
Les exonérations fiscales pour la retenue du précompte professionnel seront clarifiées et améliorées en ce qui concerne la mesure de R&D. Pour le travail en équipes et de nuit, un système structurel sera mis en place à l’issue de la mesure bis.
Les partenaires sociaux doivent augmenter dès que possible le plafond des employeurs pour les chèques-repas, deux fois de suite, avec une augmentation de deux euros à chaque fois. La déductibilité suivra. D’autres chèques (par exemple les éco-chèques) disparaîtront, en concertation avec les partenaires sociaux.
La déductibilité limitée pour les voitures de société hybrides et les coûts de carburant associés est temporairement suspendue ; une période de transition plus longue est prévue. Le budget mobilité existant pour les employés ayant droit à une voiture de société sera transformé en un budget mobilité général, à la fois socialement et fiscalement avantageux. Les employeurs devront même offrir un budget mobilité aux employés ayant droit à une voiture de société.
Pour les coûts spécifiques à l’employeur, un cadre (probablement social et fiscalement uniforme) sera mis en place dès que possible. La rémunération flexible sera également encadrée par la loi : l’échange de salaire brut sera limité à un maximum de 20 % du salaire brut annuel. L’octroi de bonus supplémentaires reste possible.
Le tarif fiscal avantageux (15 %) pour les revenus provenant des droits d’auteur sera rétabli pour les professions numériques. Aucune contribution supplémentaire ne sera appliquée sur les options d'achat d'actions ou les bons de souscription d'actions accordés aux travailleurs, contrairement à ce qui était mentionné dans des notes précédemment divulguées. L’exonération des cotisations sociales ordinaires et particulières reste entièrement maintenue.
Il y aura une imposition libératoire de 33 % pour les pensionnés qui travaillent après l'âge légal de la retraite ou après 45 ans de carrière (à moins que l'impôt soit déjà plus bas). De plus, des modifications importantes sont apportées à la législation sur les pensions, tant pour le premier que pour le deuxième pilier. Cependant, le gouvernement souhaite également tenir suffisamment compte des « droits acquis ».
Le bonus de pension légal sera réformé à partir de 2026. Le bonus passera à 2 % de la pension par an de prise de pension après l'âge légal de la retraite (actuellement, le bonus est déjà appliqué pour ceux qui continuent à travailler après la première possibilité de prendre leur retraite). Ce pourcentage passera à +4 % par an à partir de 2030. En outre, un malus de pension sera introduit : pour chaque année de départ avant l'âge légal de la retraite (c'est-à-dire en cas de retraite anticipée), le montant de la pension sera réduit de 2 % par an (à partir de 2030, cette réduction sera de -4 % par an), sauf si le pensionné peut prouver au moins 35 années de carrière avec des prestations effectivement travaillées.
Certaines périodes non travaillées (RCC, chômage de longue durée, parcours de transition, etc.) seront progressivement moins prises en compte ou ne compteront plus du tout pour le calcul de la pension. Les périodes de maladie, de congé de maternité, de congé parental et de congé de soins resteront équivalentes.
À partir de 2027, il sera possible de prendre une pension anticipée à 60 ans, avec 42 ans de carrière (actuellement 44 ans), mais uniquement si chaque année a été travaillée au moins 2/3 de manière effective (actuellement, chaque année comptait si elle était travaillée ou équivalente à 1/3).
La pension de survie sera réformée en une prestation de transition, cumulable avec un revenu professionnel, et limitée dans le temps.
Une pension complémentaire pour tous les travailleurs doit être mise en place, avec une contribution de l'employeur d'au moins 3 % du salaire brut d'ici 2035. Les secteurs concernés ont donc beaucoup à faire.
Il y aura également des changements concernant les cotisations. Par exemple, une cotisation solidaire personnelle plus élevée (actuellement maximale à 2 %) sera instaurée sur la partie du capital de pension complémentaire supérieur à 150 000 euros. Nous ne savons pas encore exactement combien cela représentera. La règle des 80 % (qui détermine la déductibilité des primes des employeurs pour les pensions complémentaires) sera calculée différemment. La cotisation Wijninckx sera également modifiée. Il s'agit d'une cotisation supplémentaire des employeurs pour les pensions complémentaires élevées, en plus de la cotisation générale de 8,86 %. Une nouvelle méthode de calcul sera introduite, mais la cotisation sera également augmentée. Nous n'en savons pas encore plus pour le moment.
Enfin, il y aura des modifications importantes dans la réglementation des pensions des fonctionnaires, concernant notamment l'âge et le calcul ce celles-ci. Le système sera davantage aligné sur le régime de pension des travailleurs. Toutefois, le gouvernement tiendra compte des « droits acquis », ce qui signifie que la législation actuelle pour les années de carrière passées, par exemple, continuera d’être prise en compte dans le calcul de la pension, et des périodes de transition longues sont parfois prévues.