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Recrutement: est-ce qu' un employeur peut-il exiger un extrait de casier judiciaire ?

Peut-on interroger un candidat sur ses antécédents judiciaires ou lui demander un extrait de casier avant de l’embaucher ? La pratique est fréquente dans certains secteurs, mais la légalité de cette démarche reste incertaine.

Si la loi prévoit explicitement cette possibilité pour certaines fonctions sensibles, une véritable insécurité juridique persiste pour les autres cas. La doctrine est partagée, l’interprétation récente de l’Autorité de protection des données (APD) est particulièrement restrictive, et la jurisprudence reste peu développée à ce jour [1].

Dans ce contexte, il appartient aux employeurs de se montrer extrêmement prudents et, dans le doute, de se faire accompagner juridiquement avant de mettre en oeuvre toute procédure de vérification des antécédents judiciaires.


1. Activités réglementées ou en lien avec les mineurs : cadre légal clair

Lorsque le poste à pourvoir relève d’une activité réglementée ou d’une fonction exercée dans le secteur de la jeunesse, la législation impose la présentation d’un extrait de casier judiciaire. Dans ces cas, l’employeur est expressément habilité à en demander la production dans le cadre de la procédure de recrutement [2].

L’extrait délivré ne mentionnera que les condamnations pertinentes au regard de la fonction concernée.

Dans l’hypothèse où le contrat est signé avant la remise de l’extrait, il est fortement conseillé d’insérer une clause résolutoire stipulant que l’absence de remise dans un certain délai ou la révélation de condamnations incompatibles avec la fonction entraîne la résolution automatique du contrat, sans préavis ni indemnité. La jurisprudence a reconnu la validité d’une telle clause [3].

Le SPF Justice met à disposition une liste indicative des fonctions concernées par cette obligation légale (art. 596, al. 1er, Code d’instruction criminelle) : → Consulter la liste


2. Autres fonctions : incertitudes et divergences doctrinales

a. Une position doctrinale majoritaire plus souple

En dehors des fonctions expressément visées par la loi, une partie importante de la doctrine [4] estime que l’employeur peut, dans certaines circonstances, demander volontairement au candidat :

  • de fournir un extrait de casier judiciaire (modèle de base) ; ou
  • de répondre à des questions ciblées sur son passé judiciaire.

Cette démarche est jugée admissible à deux conditions cumulatives :

  1. La demande doit être objectivement justifiée par la nature et les conditions d’exercice de la fonction (ex. : emploi de confiance, manipulation de fonds), conformément à l’article 11 de la CCT n° 38 [5] ;
  2. ​Le consentement du candidat doit être obtenu, dans un cadre loyal et transparent.

Selon cette lecture, la simple présentation de l’extrait, sans copie, ni prise de note, ne constitue pas un « traitement de données » au sens du RGPD [6] et échappe donc à l’application de son article 10, relatif aux données à caractère personnel en matière pénale [7].

Cette interprétation avait été confirmée par l’ancienne Commission de la vie privée (avant APD), à condition que le consentement du candidat soit recueilli et que l’extrait ne soit ni reproduit, ni conservé [8].

En pratique, un candidat refusant de produire l’extrait ou de répondre aux questions pourrait ne pas être retenu pour la fonction. À l’inverse, un candidat dissimulant des condamnations judiciaires pourrait, en cas de découverte, faire l’objet d’une rupture du contrat pour motif grave [9], bien que la preuve du mensonge soit complexe, l’employeur ne pouvant conserver de trace de l’extrait.

​Cette position n’est pas partagée par l’ensemble de la doctrine [10].

b. Ancrage par la loi du 30 juillet 2018 ?

Certains auteurs ont envisagé de justifier un tel traitement des données pénales par les exceptions prévues à l’article 10 de la loi du 30 juillet 2018 [11], qui transpose le RGPD en droit belge.

Deux hypothèses sont notamment évoquées :

  1. ​Lorsque la personne concernée a donné son consentement écrit et explicite pour une ou plusieurs finalités déterminées ;
  2. Lorsque les données ont été manifestement rendues publiques par la personne elle-même, de sa propre initiative, pour des finalités précises.

​Cependant, ces exceptions n’offrent pas un fondement juridique sécurisé à l’employeur.

​Concernant la première exception, le Comité européen de protection des données (CEPD) considère que le consentement dans la relation de travail n’est généralement pas librement donné, en raison du déséquilibre inhérent à cette relation [12]. Cette base est donc jugée inappropriée pour justifier le traitement de données sensibles.

S’agissant de la seconde exception, la doctrine [13] rappelle que le texte vise uniquement les données que la personne concernée a volontairement rendues publiques elle-même, et non les informations simplement accessibles en ligne. Il ne suffit donc pas qu’une information figure dans un article de presse ou soit retrouvée via une recherche en ligne : l’initiative de publication doit venir du candidat lui-même.

​Il en ressort que ni le consentement du candidat, ni la publicité indirecte des données ne peuvent aujourd’hui servir de base juridique valable pour justifier le traitement d’un extrait de casier judiciaire.

c. Position actuelle de l’Autorité de protection des données (APD)

L’APD, dans un avis récent publié sur son site [14], adopte une lecture très restrictive. Elle estime que seules les professions pour lesquelles la loi l’exige (activités réglementées ou en lien avec des mineurs) peuvent donner lieu à une demande d’extrait de casier judiciaire.

Voici sa position, telle que formulée :

« Selon le RGPD, c’est en principe interdit. Mais s’il s’agit d’une profession pour laquelle la loi exige que le titulaire dispose d’un casier judiciaire vierge ou exempt de certaines condamnations, ces questions peuvent quand même être posées. (…) Le traitement (par exemple la conservation) de telles données n’est possible que dans un nombre de cas précisés par l’article 10. Le consentement du candidat ne constitue en tout cas pas un fondement juridique pour le traitement de telles données à caractère personnel. »

​Autrement dit, à suivre l’APD, un employeur ne peut ni poser de questions, ni demander un extrait, sauf dans les cas prévus légalement (point a.). Même lorsque cela est permis, aucune trace ne peut être conservée au terme de la procédure de sélection.


3. Modèles d’extrait de casier judiciaire : lequel pour quelle fonction ?

Le modèle de base (art. 595 Code d’instruction criminelle) peut être obtenu par toute personne physique pour un usage personnel ou professionnel.
Il existe en outre deux modèles spécifiques :

  • 596.1 : pour les fonctions réglementées (ex. : agent de sécurité, steward, détective privé) ;
  • 596.2 : pour les fonctions en contact avec des mineurs (éducation, encadrement, aide à la jeunesse…).

Ces extraits ne font apparaître que les condamnations pertinentes au regard de la fonction à exercer. Il revient exclusivement au candidat d’introduire la demande auprès de son administration communale. L’employeur ne peut en aucun cas introduire lui-même la demande.


Conclusion : adopter une position prudente face à l’incertitude juridique

​En l’état actuel du droit, il n’existe pas de fondement juridique clair et incontestable permettant à un employeur de demander un extrait de casier judiciaire pour des fonctions non réglementées. Les exceptions envisagées par la loi du 30 juillet 2018 sont d’interprétation restrictive et ne suffisent pas, en pratique, à sécuriser ce type de demande.

L’avis de l’APD, bien que contestable sur le plan doctrinal, reflète l’état actuel de vigilance réglementaire. Par précaution, nous recommandons aux employeurs de s’y conformer, afin d’éviter toute sanction pécuniaire pour non-respect du RGPD.

Dans un contexte aussi sensible, une analyse au cas par cas est indispensable. Notre département Droit social de Centrius est à votre disposition pour :

  • vous conseiller sur la légalité de vos procédures de recrutement
  • analyser vos obligations légales au regard du RGPD ;
  • sécuriser juridiquement vos pratiques RH.


SOURCES ET RÉFÉRENCES LÉGALES

[1] MERVEILLE, M., Le travailleur suspecté ou condamné au pénal : Quels impacts sur le contrat de travail ?, Ors. 2024, liv. 9, 2-12 ; SINE, F., RGPD : un an après. Quel impact sur la relation de travail ? Tentative de chronologie, Ors. 2019, liv. 9, 19-38.
[2] Arrêté royal du 21 novembre 2016 fixant les modalités de délivrance des extraits de casier judiciaire aux particuliers, M.B., 2 février 2017.
[3] Trib. trav. Bruxelles, 14 janvier 2016, R.G. n° 14/7679/A, www.expert.socialwin.be.
[4] MERVEILLE, M., Le travailleur suspecté ou condamné au pénal : Quels impacts sur le contrat de travail ?, Ors. 2024, liv. 9, 2-12.
[5] Convention collective de travail n° 38 du 6 décembre 1983 concernant le recrutement et la sélection de travailleurs, ratifiée par l’arrêté royal du 11 juin 1984, M.B., 28 juillet 1984.
[6] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la Directive 95/46/CE (« RGPD » en abrégé).
[7] RAETS, S. Screening van (kandidaat-)werknemers: spanningsveld tussen security en privacy, Oriëntatie, 2019/6, p. 186 ; MERVEILLE, M., Le travailleur suspecté ou condamné au pénal : Quels impacts sur le contrat de travail ?, Ors. 2024, liv. 9, 2-12.
[8] Commission de protection de la vie privée, Avis 08/2002 du 11 février 2002 d’initiative relative aux traitements de données à caractère personnel réalisés par les sociétés privées d’intérim, disponible sur https://www.autoriteprotectiondonnees.be/publications/avis-n-8-2002.pdf.
[9] C. trav. Gand, 21 avril 1993, R.W., 1993-1994, p. 92.
[10] RIJCKAERT, O. et LAMBERT, N., Le respect de la vie privée et le RGPD au travail, Liège, Wolters Kluwer, 2019, p. 89).
[11] Loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel, M.B., 5 septembre 2018.
[12] Comité européen de protection des données, Lignes directrices 5/2020 sur le consentement au sens du Règlement (UE) 2016/679, 4 mai 2020, https://www. edpb.europa.eu/sites/default/files/files/file1/edpb_guidelines_202005_consent_fr.pdf.
[13] HICK, J. et UNUSYAN, R., Vérification des antécédents des candidats (background checks) : état de la question en droit belge, J.T.T., 2022, p. 43.
[14] https://www.autoriteprotectiondonnees.be/professionnel/themes/vie-privee-sur-le-lieu-de-travail/recrutement-des-candidats.​​

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