L'article 70, §1 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après CTVA) impose, en cas de manquement au paiement de la TVA, une amende proportionnelle au double de la taxe éludée ou payée en retard. Ce régime sévère est renforcé par l'arrêté royal n° 41 du 30 janvier 1987 qui précise les barèmes de réduction, tout en limitant strictement le pouvoir de réduction de l'administration fiscale lorsqu'une intention d'éluder la taxe est démontrée. Toutefois, cette limite administrative ne lie en principe pas les cours et tribunaux qui peuvent, sous certaines conditions, revoir à la baisse le montant des sanctions.
L'arrêt du 24 mars 2023 de la Cour de cassation vient préciser la portée du pouvoir judiciaire en matière de réduction des amendes fiscales et s'inscrit dans une jurisprudence visant à garantir la proportionnalité des sanctions infligées aux contribuables.
Les faits sous-jacents à cet arrêt concernent une société active dans le secteur de la vente de boissons impliquée dans une fraude systémique à la TVA. Au cours d'une enquête, il était apparu que les quantités de boissons livrées étaient supérieures à celles facturées aux clients, ces derniers ayant bénéficié d'un approvisionnement « au noir », sans déclaration de TVA. Parmi les clients de cette société figurait un établissement Horeca, bénéficiaire de ces livraisons irrégulières.
Conformément à l'article 70, §1 CTVA, l'administration lui avait infligé une amende de 34.900 € correspondant à 200 % de la taxe éludée.
En parallèle, le dirigeant de la société avait été sanctionné à l'impôt des personnes physiques, avec une majoration de 50 % pour quatre exercices fiscaux. Face à cette situation, le contribuable avait invoqué devant les juridictions compétentes la disproportion de la sanction et avait sollicité une réduction de l'amende, mettant en avant la faible capacité contributive de son établissement et le caractère cumulatif des sanctions.
Le régime des sanctions fiscales en Belgique repose sur des fondements législatifs clairs.
L’article 70, §1 CTVA constitue la base juridique de l’amende proportionnelle imposée en cas d’infraction. En matière de réduction, l'arrêté royal n° 41 du 30 janvier 1987 encadre strictement les marges de manœuvre de l'administration fiscale, en particulier lorsqu'une intention frauduleuse est démontrée. En vertu de cet arrêté, le pouvoir de l’administration de réduire ou d'annuler une amende est exclu en cas de fraude délibérée (article 1er, alinéa 3).
Cependant, le cadre législatif prévoit la possibilité pour les cours et tribunaux de contrôler et, le cas échéant, de moduler les sanctions infligées, en s'appuyant notamment sur les principes généraux du droit, tels que le principe de proportionnalité. Ce contrôle judiciaire découle d’un principe bien établi selon lequel toute amende administrative, qualifiée de sanction pénale au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), doit pouvoir faire l’objet d’une évaluation par le juge compétent. Ce dernier a le pouvoir d’en apprécier la légalité, mais aussi la proportionnalité à l’égard des faits reprochés.
La cour d'appel de Gand, saisie de l'affaire, a examiné plusieurs éléments déterminants. D'une part, elle a pris en compte la gravité de l'infraction, marquée par une fraude délibérée à la TVA. D'autre part, elle a considéré la situation économique du contribuable ainsi que le fait que des sanctions fiscales avaient déjà été infligées pour des faits identiques, mais sous un angle différent (l'impôt des personnes physiques).
En vertu du principe non bis in idem, la cour a jugé que ces deux sanctions portaient sur des faits identiques. En conséquence, elle a considéré que l’imposition cumulée de ces sanctions aurait pour effet de punir deux fois le même comportement. Cette appréciation a conduit à une réduction de l’amende de 200 % à 50 %, soit un montant total de 8.725 €, justifié par une application rigoureuse du principe de proportionnalité.
L’administration fiscale, estimant que la réduction de l’amende constituait une erreur de droit, s’est pourvue en cassation. La Cour de cassation, dans son arrêt du 24 mars 2023, a confirmé la position de la cour d’appel en validant le principe selon lequel les juges ont le pouvoir de contrôler la proportionnalité des amendes fiscales.
La Cour rappelle que l’amende infligée en vertu de l’article 70, §1 CTVA revêt un caractère pénal au sens de l’article 6 de la CEDH, ce qui confère aux cours et tribunaux le pouvoir de réexaminer non seulement la légalité, mais aussi la proportionnalité de la sanction. Elle précise que ce contrôle judiciaire doit tenir compte de plusieurs facteurs, notamment la gravité de l’infraction, les sanctions déjà infligées et l’effet de la sanction sur la situation financière du contrevenant.
L’arrêt clarifie également que le juge doit veiller à ne pas imposer de sanctions excessives ou disproportionnées. Le contrôle exercé ne doit cependant pas aboutir à une remise en cause purement subjective de la sanction, mais se baser sur une analyse objective des circonstances. Il en résulte que le juge doit s'assurer que la sanction est en adéquation avec l'infraction et qu'elle respecte les exigences des conventions internationales et du droit interne.
L’arrêt du 24 mars 2023 de la Cour de cassation souligne le rôle crucial des juridictions judiciaires dans l’évaluation des sanctions fiscales. Alors que l’administration fiscale dispose d’un pouvoir limité en matière de réduction des amendes, les juges peuvent exercer un contrôle rigoureux de proportionnalité, garantissant ainsi que les sanctions infligées restent conformes aux principes de justice et d’équité.
Pour les contribuables, cet arrêt confirme qu’il est possible de contester la sévérité des amendes administratives devant les cours et tribunaux, en particulier lorsque ces amendes apparaissent excessives au regard des circonstances individuelles.