Les excédents de trésorerie font, depuis les récentes jurisprudences de Cour d’appel et de cassation, l’objet d’une attention toute particulière (voyez notamment notre lettre d’information du 8 février 2024).
Dès lors, la prudence est devenue de mise lorsqu’une opération de vente d’actions ou de restructuration concerne une société disposant d’excédents de trésorerie et plus généralement, lorsqu’elle permet de réaliser une plus-value (exonérée) qui aurait ‘normalement’ du être distribuée sous forme de dividendes (imposables), comme ce fût le cas dans l’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers de 2022 qui mit le feu aux poudres.
Ce nouveau développement jurisprudentiel semble à présent avoir également été intégré par le Service des Décisions Anticipées en matière fiscale qui, dans son rapport d’activités de 2023, revient sur certaines décisions négatives qui ont été rendues en la matière et qui sont en lien direct avec cette problématique.
Un premier cas concerne un père de famille qui souhaitait revendre les parts de sa société à ses deux enfants, pour moitié à chacun d’eux.
La société disposait toutefois d’une créance envers le père, actionnaire-administrateur, à hauteur d’un million d’EUR.
Le SDA fut sollicité afin de confirmer le caractère normal et non-spéculatif de la plus-value qui serait réalisée sur la vente des actions mais refusa de donner cette confirmation au motif que la créance d’un million d’EUR, détenue par la société envers son actionnaire-administrateur, constituait manifestement des excédents de trésorerie et qu’ils devaient dès lors être distribués sous forme de dividendes.
Un autre demande concernait un actionnaire souhaitant regrouper ses participations dans trois sociétés opérationnelles au sein d’une société holding.
Deux des sociétés impliquées étaient également détenues à hauteur de 30% par un deuxième actionnaire qui désirait se retirer à l’occasion de cette restructuration en vendant ses parts à la holding.
La réorganisation reposait par conséquent sur un rachat des différentes participations aux deux actionnaires, au moyen d’une nouvelle société holding à constituer.
Le SDA refusa de confirmer le caractère normal et non-spéculatif des plus-values qui auraient été réalisées par l’actionnaire restant, car un résultat similaire pouvait être obtenu moyennant un apport des participations (malgré les conséquences négatives sur le régime VVPR-bis et sur le montant de capital libéré que nous connaissons).
Un même raisonnement fut suivi dans trois autres dossiers soumis au SDA, malgré que la vente aurait, dans deux de ces dossiers, permis l’obtention d’un crédit long-terme en vue d’investir dans la croissance des sociétés (et non pour payer le prix de rachat des actions qui restait inscrit en compte-courant débiteur envers l’actionnaire) et dans le troisième, d’apurer une dette en compte-courant.
Ces décisions illustrent l’immixtion de l’abus fiscal dans les questions relatives à l’exonération des plus-values réalisées dans le cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé.
En effet, l’argument tenant à la possibilité d’obtenir un financement bancaire grâce à l’opération n’avait de sens qu’en vue de justifier économiquement (i.e., par d’autres motifs que des motifs fiscaux) les opérations et dès lors, de contrer l’application de la mesure anti-abus fiscal.
Le SDA n’a toutefois pas accueilli cet argument sous cet angle car il considéra que le but ultime d’obtention d’un crédit bancaire pour financer les sociétés indiquait qu’il ne s’agissait pas d’une opération de gestion normale d’un patrimoine privé.
Concilier la normalité de la gestion d’un patrimoine privé avec des motivations autres que fiscales nécessite en effet une certaine cohérence qui peut faire défaut, comme dans ces espèces où il est permis de s’interroger sur la question de savoir si un bon père de famille, dans le cadre d’une gestion normale de son patrimoine privé, réaliserait des opérations en vue de permettre l’obtention de crédits par ses sociétés. Ces opérations n’ont bien entendu, rien d’abusif en théorie mais pour le SDA, elles ne permettent pas de justifier la normalité de l’opération dans le chef du bonus paterfamilias.
Il faut en outre constater que ces situations concernaient toutes un même phénomène bien identifié par le SDA : la conversion en plus-value non-imposable de dividendes (existants ou futurs) imposables et dès lors, le point de l’excess cash.
Dans le premier cas cité, la créance d’un million d’EUR détenue par le père dans la société aurait dû être remboursée avant une vente à un tiers et dès lors, compensée par une distribution de dividendes selon le SDA. En l’espèce, la vente aurait alors pu permettre de convertir ce montant en plus-value non-imposable. Dans les trois autres dossiers, la plus-value réalisée ‘en interne’ par le ou les actionnaires aurait été financée (i.e., payée) grâce aux revenus futurs des sociétés opérationnelles ; revenus futurs qui, sans cette opération interne, n’auraient pu être attribués aux actionnaires que par une distribution de dividendes imposables.
Ces décisions le démontrent à nouveau, que ce soit sous l’angle de la ‘normalité’ de la plus-value réalisée par un bon père de famille ou sous l’angle de l’abus fiscal, il est aujourd’hui acquis que ces opérations sont dans le viseur et contestées par l’administration fiscale qui s’appuie sur ce nouveau courant.
Force est dès lors de le constater, la jurisprudence ‘excess cash’ a fait des émules, en ce compris au sein du SDA.