Nous avons tous pu suivre les débats de presse et sur les réseaux sociaux relatifs à la réforme du régime fiscal des droits d’auteur. À l’heure où les débats semblent terminés à la Chambre des Représentants, il nous est possible de procéder à un examen plus attentif du texte finalement adopté et ne comportant aucun changement substantiel par apport au projetdéposé.
Pour rappel, le projet, porté par le Ministre des Finances, visait à drastiquement réformer lerégime fiscal des droits d’auteur pour un ensemble de raisons budgétaires et idéologiques.Les grandes cibles : le secteur IT, les architectes et les journalistes, notamment.
Le texte de base restant le même, le contenu de la réforme peut donc toujours se résumerde la même manière que dans mon billet du 24 novembre et donc que :
Le régime des droits d’auteur ne s’appliquera plus qu’aux revenus de cession ou de licences d’œuvres visées au Livre XI, titre 5, du Code de droit économique, ce qui restreindrait son champ d’application aux œuvres littéraires « classiques » et excluraitles programmes d’ordinateur (consacrés au titre 6) ainsi que les bases de données (titre 7) ;
Le produit de la cession devra faire l’objet d’une exploitation effective (sans que ce concept ne soit clair à ce stade) ;
À condition que le bénéficiaire soit titulaire d’une attestation de travail des arts ou, alternativement ;
Que dans le cadre de la cession ou de l'octroi d'une licence, le titulaire des droits transfère ou octroie en licence son œuvre protégée par le droit d'auteur ou les droits voisins à un tiers en vue de sa communication au public, de son exécution ou de sa représentation publique, ou de sa reproduction ;
Les droits ne pourront plus excéder un plafond de 30% du total des rémunérations, y compris la rémunération pour les prestations fournies. Une période d’adaptation sera toutefois prévue avec un plafond de 50% en 2023, 40% en 2024, 30% à partir de 2025 ;
Les forfaits de frais déductibles seront réduits de moitié.
Seul apport des débats parlementaires : une volonté d’exclure les programmes d’ordinateurdu champ d’application du nouveau texte, bien que sur une base juridique contestable.
Une seule nuance concédée par le Ministre : le retrait des mots « interprétation restrictive »dans l’exposé des motifs, laissant entendre que le texte serait d’application large et pourraitmalgré tout inclure le secteur IT.
Le résultat ? Un texte inutilement compliqué, économiquement dommageable et générateurd’insécurité juridique dans une économie bouleversée par la guerre, l’inflation et unapprovisionnement énergétique incertain.
Cette nouvelle version du Code des impôts laisse donc un flou juridique manifestement conçu pour donner les coudées franches à l’administration. L’impôt ne sera donc pas, concrètement, établi par le prescrit légal, mais au moyen de circulaires (publiées ou non) et de lignes directrices (écrites ou verbales). Un procédé à la légalité discutable.
Aux termes de ces débats, force est de constater que le secteur IT a été écarté du régimesans toutefois l’être réellement.
En effet, le nouveau régime se réfère toujours à la notion d’œuvre littéraire et artistique tellequ’entendue en droit civil.
Or la notion d’œuvre protégée est bien de droit européen, il en va de même pour le programme d’ordinateur, que le législateur européen n’a pas fait « qu’assimiler » à une œuvre littéraire au sens de la Convention de Berne et au droit d’auteur général.
Au contraire, le texte de la directive est clair : le programme d’ordinateur est une œuvre littéraire au sens de la Convention précitée et est protégé dès lors qu’il est « original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur. Aucun autre critère ne s’applique pour déterminer s’il peut bénéficier d’une protection » (article 1er, §3, de la Directive 2009/24concernant la protection juridique du programme d’ordinateur).
En conséquence, le programme d’ordinateur est bien protégé au titre du droit d’auteurgénéral, sans préjudice de l’existence d’un droit sui generis.
Une interprétation, telle que suggérée par le texte de la réforme, qui aboutirait à traiter leprogramme d’ordinateur comme distinct du droit d’auteur général, se mettraitvraisemblablement en délicatesse avec le droit européen en plus d’être potentiellementdiscriminatoire.
Point immédiat à garder en mémoire, la réforme prévoit une période transitoire d’unan. Les auteurs bénéficiant de droits d’auteur pour l’année 2022 pourront encore seprévaloir de l’ancien régime pour l’année 2023.
Au-delà, c’est l’incertitude. Juridiquement, la réforme ne réforme rien dès lors que le programme d’ordinateur est une œuvre littéraire au sens de la Convention de Berne. Il est en outre aisément susceptible de reproduction, ce qui le ferait en réalité rentrer dans les conditions du nouveau régime.
Concrètement, toutefois, c’est l’interprétation de l’administration fiscale qui sera à redouter.Celle-ci, bien que non élue, disposera d’une large autonomie pour implémenter sa vision etjouer sur les coûts et la durée d’un recours en justice pour acculer le contribuable.
Les risques de discrimination, de contradiction avec l’exposé des motifs et de violation du droit européen sont donc bien réels. Un recours contre le nouveau texte devant la Cour constitutionnelle est également possible.
Nous pouvons donc nous attendre à un large contentieux en la matière, les contribuablesdisposant d’arguments solides pour contester la légalité du nouveau régime.
Quoiqu’il en soit, la compétitivité de plusieurs secteurs économiques clefs s’en trouvera amoindrie. On n’imagine pas, par exemple, une société de développement informatique prendre durablement le risque d’un redressement d’ampleur au gré d’une interprétation restrictive (et discriminatoire) du Code des impôts. Il en ira de même pour un cabinet d’architecture, au détriment du recrutement et des gains d’expérience des collaborateurs.
Enfin, il serait difficile de terminer cet examen de la réforme sans exprimer une certaineconsternation quant aux décisions adoptées et la pièce de théâtre dont nous avons tous puêtre spectateurs, si ce n’est victimes.
En effet, on ne répétera jamais assez à quel point cette réforme, qui s’attaque de manière punitive à un secteur de pointe et dans lequel la Belgique devenait une référence, vient à contrepied d’objectifs européens de promotion de l’immatériel et d’une économie de la connaissance ainsi que des enjeux d’aujourd’hui comme de demain en matière d’informatique, de cybersécurité, d’intelligence artificielle et de l’industrie des données.
Les spectateurs des débats auront également pu s’étonner du discours émanant des partisse targuant tardivement d’un soutien au secteur technologique après avoir voté pour unerépression fiscale à son encontre en conclave budgétaire et au stade des lectures augouvernement.
Revendiquer d’avoir pu jouer sur un point de sémantique au stade des interventions du ministre en Commission et en séance plénière à la Chambre alors que le texte de fond n’a pas changé d’un iota ne peut qu’étonner dès lors que peu semble avoir été fait au niveau du portefeuille du Secrétariat d’État à la Digitalisation et à la Simplification administrative, soit là où le soutien tant vanté aurait dû venir.
Tout cela pour obtenir une loi moins lisible que la précédente, accroître la pression fiscalesur un secteur prétendument promu dans le pays et une administration en roue libre dansl’application d’un nouveau texte dont la constitutionnalité est sujette à caution.
On saluera néanmoins le baroud d’honneur du Mouvement Réformateur, quoiqu'avec un sentiment amer.
En somme, une histoire belge.