Le ministre des finances annonce une réforme fiscale dont l’objectif majeur – durant la 1ère phase prévue pour l’actuelle législature - serait de relever le montant de la quotité exonérée d’impôt de 9.270 EUR à 13.390 EUR (montants pour 2022).
Cet objectif est louable, sauf que le ministre semble oublier que la réforme fiscale de 2001 et le tax shift de 2015 ont déjà permis d’atteindre cet objectif en quasi-totalité.
Comment : en faisant en sorte que travailler soit plus intéressant que ne pas travailler. Pour ce faire, deux actions ont été menées de manière conjointe. A la fois relever la quotité exemptée (qui est actuellement de 9.270 EUR) et revoir le calcul des frais professionnels forfaitaires dont le montant a été substantiellement augmenté (maximum 5.040 EUR, plafond déjà atteint avec un revenu annuel brut imposable de 16.800 EUR).
C’est ainsi que, lorsqu’on raisonne à partir du régime fiscal applicable aux personnes qui travaillent, on constate rapidement qu’une rémunération après sécurité sociale qui serait égale au revenu d’intégration …. est déjà exonérée à l’IPP.
Le travail est donc accompli depuis longtemps
Tenant compte également des frais professionnels forfaitaires, ce serait désormais un revenu annuel brut imposable de 18.430 EUR (montants 2022) qui serait entièrement exonéré d’impôt.
Une telle réforme aboutirait à accorder à tous les travailleurs un même avantage de 1.102,10 EUR par an, soit 91,84 EUR par mois (13.390 – 9.270 = 4.120 x 26,75% = 1.102,10 par an).
En compensation, le ministre envisage toutefois de supprimer tout ou partie des formes alternatives de rémunération, ce qui pourrait avoir pour conséquence que cette réforme pourrait aboutir à une diminution du revenu net de nombreux travailleurs. Dans ce cas, cette réforme n’atteindrait pas son objectif principal, qui est de diminuer les charges fiscales sur le travail pour tous les travailleurs. Au contraire, elle réaliserait plutôt une redistribution des revenus via la fiscalité, en taxant plus certains pour taxer moins d’autres.
Pour évaluer les effets de la réforme proposée, nous avons effectué plusieurs simulations sur base de trois profils génériques, tant au niveau des salaires que des avantages octroyés.
Notre jeune consultant perçoit un salaire mensuel de 2.500 EUR brut par mois, bénéficie d’une voiture de société (ATN de 134,29 EUR par mois) avec carte essence (ATN de 150 EUR par mois).
Aujourd’hui, ce jeune consultant perçoit chaque mois un salaire net de 1.846,99 EUR sur son compte en banque.
Demain, tenant compte de la taxation additionnelle de l’avantage lié à sa carte essence (et de l’impact sur le bonus à l’emploi), son salaire net mensuel ne sera plus que 1.736,20 EUR. Soit une diminution de 110,79 EUR (ou 1.329,48 EUR par an).
Cette diminution est à mettre en regard de l’augmentation mensuelle du salaire net de 91,84 EUR suite à l’augmentation de la quotité exemptée d’impôt.
En conséquence, la simple taxation de sa carte essence aura pour conséquence que l’impact net de la réforme pour ce jeune consultant sera négatif (soit une perte de 18,95 EUR par mois ou 227.40 EUR par an). Voilà qui ne va pas l’inciter à travailler plus.
La situation se corse si notre jeune consultant perçoit encore un bonus (équivalent à un demi mois de salaire brut) qui lui est octroyé sous la forme de warrants dont le montant brut correspond au coût total qu’un bonus en cash aurait représenté pour l’employeur (soit un montant brut de 1.562,50 EUR). En effet, dans l’hypothèse où ces warrants seraient désormais taxés comme un bonus ordinaire (à un coût salarial inchangé pour l’employeur), le montant net de ce bonus diminuerait de 125.69 EUR.
La diminution totale de la rémunération annuelle nette s’élèverait alors à 353,09 EUR.
La situation s’aggraverait encore plus si, au lieu de toucher un bonus, notre jeune consultant recevait une prime d’innovation de 1.000 EUR brut (totalement exonérée actuellement). Dans ce cas, sa prime nette diminuerait de 519,06 EUR, et la diminution totale de la rémunération annuelle nette s’élèverait alors à 746,46 EUR.
Notre collaborateur expérimenté perçoit un salaire mensuel de 3.500 EUR brut par mois, bénéficie d’une voiture de société (ATN de 147,71 EUR par mois) avec carte essence (ATN de 150 EUR par mois).
Aujourd’hui, ce collaborateur expérimenté perçoit chaque mois un salaire net de 2.187,07 EUR sur son compte en banque.
Demain, tenant compte de la taxation additionnelle de l’avantage lié à sa carte essence, son salaire net mensuel ne sera plus que 2.108,03 EUR. Soit une diminution de 79,04 EUR (ou 948,48 EUR par an).
Cette diminution est à mettre en regard de l’augmentation mensuelle du salaire net de 91,84 EUR suite à l’augmentation de la quotité exemptée d’impôt.
En conséquence, la simple taxation de sa carte essence aura pour conséquence que l’impact net de la réforme pour ce collaborateur expérimenté sera limité à un gain mensuel de 12,8 EUR (ou 153,60 EUR par an). Voilà qui ne va pas l’inciter à travailler beaucoup plus.
La situation se corse si notre collaborateur expérimenté perçoit encore un bonus (équivalent à un demi mois de salaire brut) qui lui est octroyé sous la forme de warrants dont le montant brut correspond au coût total qu’un bonus en cash aurait représenté pour l’employeur (soit un montant brut de 2.187,50 EUR). En effet, dans l’hypothèse où ces warrants seraient désormais taxés comme un bonus ordinaire (à un coût salarial inchangé pour l’employeur), le montant net de ce bonus diminuerait de 211.92 EUR.
La diminution totale de la rémunération annuelle nette s’élèverait alors à 58.32 EUR.
La situation s’aggraverait encore plus si, au lieu de toucher un bonus, notre collaborateur expérimenté recevait une prime d’innovation de 1.000 EUR brut (totalement exonérée actuellement). Dans ce cas, sa prime nette diminuerait de 553,67 EUR, et la diminution totale de la rémunération annuelle nette s’élèverait alors à 400,07 EUR.
Notre expert perçoit un salaire mensuel de 5.000 EUR brut par mois, bénéficie d’une voiture de société (ATN de 161,14 EUR par mois) avec carte essence (ATN de 200 EUR par mois).
Aujourd’hui, cet expert perçoit chaque mois un salaire net de 2.802,63 EUR sur son compte en banque.
Demain, tenant compte de la taxation additionnelle de l’avantage lié à sa carte essence, son salaire net mensuel ne sera plus que 2.686,01 EUR. Soit une diminution de 116,62 EUR (ou 1.399,44 EUR par an).
Cette diminution est à mettre en regard de l’augmentation mensuelle du salaire net de 91,84 EUR suite à l’augmentation de la quotité exemptée d’impôt.
En conséquence, la simple taxation de sa carte essence aura pour conséquence que l’impact net de la réforme pour cet expert sera négatif (soit une perte de 24,78 EUR par mois ou 297,36 EUR par an). Voilà qui ne va pas l’inciter à travailler plus.
La situation se corse si notre expert perçoit encore un bonus (équivalent à un demi mois de salaire brut) qui lui est octroyé sous la forme de warrants dont le montant brut correspond au coût total qu’un bonus en cash aurait représenté pour l’employeur (soit un montant brut de 3.125 EUR). En effet, dans l’hypothèse où ces warrants seraient désormais taxés comme un bonus ordinaire (à un coût salarial inchangé pour l’employeur), le montant net de ce bonus diminuerait de 293,50 EUR.
La diminution totale de la rémunération annuelle nette s’élèverait alors à 590,86EUR.
La situation s’aggraverait encore plus si, au lieu de toucher un bonus, notre expert recevait une prime d’innovation de 1.000 EUR brut (totalement exonérée actuellement). Dans ce cas, sa prime nette diminuerait de 606,78 EUR, et la diminution totale de la rémunération annuelle nette s’élèverait alors à 904,14 EUR.
La première étape de la réforme proposée par le ministre des finances ne permettra pas d’améliorer les rémunérations nettes de la plupart des travailleurs qui seront touchés par une ou plusieurs mesures de compensation au sein de l’impôt des personnes. Elle n’aura en outre aucun impact sur les pièges à la promotion (ni sur les pièges à l’emploi puisque, nous l’avons vu, l’objectif d’exonérer un montant équivalent au revenu d’intégration est déjà atteint depuis le tax shift de 2015).
Il n’y a par conséquent que deux alternatives (qui peuvent se combiner) pour réussir cette première phase :
Dans son épure, le ministre des finances propose une réforme du barème d’imposition, tout en la réservant pour la 2ème phase de la réforme fiscale. Il y s’agit tout simplement de réduire les taux actuels de 5% et d’introduire un nouveau de 50% pour les revenus à partir de 84.740 euros, soit le double du montant de la tranche la plus élevée aujourd’hui.
Nous avons encore légèrement adapté les différentes tranches dans l’exemple alternatif proposé ci-après. Il va de soi que la réforme de ce barème devrait encore faire l’étude d’une réforme plus approfondie, en gardant comme principe directeur que cette réforme du barème doit avoir pour objectif de nous rapprocher le plus possible de ceux de nos pays voisins et de rétablir une progressivité (au lieu d’un taux quasiment « fixe » de 50%). Pour s’en rapprocher plus encore pour les bas et moyens revenus, cette réforme du barème devrait être accompagnée d’un élargissement substantiel de la tranche d’imposition taxée à 25% (par exemple jusqu’à 25.000 EUR).
En comparaison avec les barèmes de nos pays voisins, le barème actuel et le nouveau barème que nous proposons seraient les suivants :
Une telle réforme permettrait d’augmenter les revenus annuels nets d’un montant maximum de 4.917,50 EUR pour un revenu annuel imposable inférieur à 90.000 EUR. Elle serait beaucoup plus équitable pour ceux et celles qui bénéficient actuellement de rémunérations alternatives et permettrait ainsi d’alléger la pression fiscale sur le travail pour tous les travailleurs, tout en supprimant en grande partie les pièges à l’emploi et à la promotion.
Et soyons clairs : il n'est absolument PAS injuste que ceux qui paient plus d'impôts bénéficient proportionellement plus d'une baisse d'impôt. La parabole des dix buveurs de bière est là pour nous le rappeler si nécessaire.
Source : Linkedln, Jean Baeten, décembre 2022