Ce n’est un secret pour personne, notre ministre des Finances travaille depuis plusieurs mois à l’élaboration d’un projet de réforme en profondeur de l’impôt des personnes physiques.
Ce projet, dont les contours précis sont à l’heure actuelle tenus secrets, devrait avoir pour trame la disparition d’un certain nombre de « niches » fiscales et de formes alternatives de rémunération au profit d’un retour vers le salaire poche par le biais d’une réforme des tranches d’impositions et de leurs barèmes. En outre, des bruits de plus en plus persistants circulent au sujet d’une taxation généralisée des loyers privés voire d’une taxation systématique des plus-values immobilières.
Il faut savoir que la personne physique propriétaire d’un immeuble et qui le donne en location à une personne physique qui ne l’affecte pas, même partiellement, à un usage professionnel, n’est taxable que sur un montant équivalent à 140 % du revenu cadastral indexé de cet immeuble, ce qui constitue dans la majeure partie des cas une base de taxation très inférieure au montant des loyers réellement perçus, d’autant plus que de cette base de taxation peuvent être déduits les intérêts hypothécaires de l’emprunt contracté pour l’acquisition de cet immeuble ou plus généralement de n’importe quel autre immeuble générant des revenus.
Cette situation est dont extrêmement favorable et fait même de la Belgique un paradis fiscal en la matière si on compare notre situation à celle de la quasi-totalité des autres pays de l’union européenne. Dans de nombreux cas, la seule charge fiscale significative est le montant du précompte immobilier, qu’il est d’ailleurs illégal de faire supporter au locataire en cas de location à des fins privées.
Or, le montant du précompte immobilier et la base de taxation des loyers privés sont établis par référence au revenu cadastral de l’immeuble. Et ce revenu cadastral représente la valeur locative annuelle d’un immeuble au 1er janvier … 1975.
Une lecture attentive du Code des impôts sur les revenus nous apprend que l’administration fiscale doit en principe procéder à une péréquation cadastrale, c’est-à-dire à une révision générale des revenus cadastraux de l’ensemble des immeubles du royaume, tous les dix ans. Force est de constater que depuis 1975, aucune péréquation n’a été réalisée, avec pour conséquence que, vu l’écoulement du temps depuis la dernière en date, toute péréquation cadastrale aurait immanquablement pour conséquence une énorme majoration des revenus cadastraux, et donc une augmentation gigantesque du précompte immobilier (qui s’élève en moyenne à environ 50 % du revenu cadastral) et de la base de taxation des loyers privés.
Par ailleurs, si nos gouvernants prenaient la décision d’instituer une taxation des loyers privés sur base des loyers réellement perçus, tout bénéficiaire de revenus locatifs verrait sa pression fiscale augmenter doublement, d’une part par l’explosion de son précompte immobilier (qu’il lui est interdit de faire supporter par son locataire) ainsi que par l’augmentation de la pression fiscale sur les loyers eux-mêmes. Détail amusant, l’administration fiscale semble tout sauf désireuse d’un tel changement, qui impliquerait pour elle une charge de contrôle des loyers et dépenses réelles qu’elle se dit incapable d’assumer faute de personnel suffisant.
Sur un plan macro-économique, si de telles mesures devaient néanmoins être prises, il est permis de nourrir quelques craintes quant à l’évolution du marché immobilier lui-même. En effet, depuis plusieurs années, l’effondrement des taux d’intérêts sur les marchés financiers et les très faibles taux des intérêts hypothécaires ont massivement poussé les Belges à investir dans des biens immobiliers destinés à la location et à s’endetter pour ce faire. Très souvent, ce type d’investisseurs ont pris en compte la faible taxation des revenus et donc le revenu net qu’il en résulte pour faire face à leur charge d’emprunt.
Tout investisseur ne disposant plus du revenu net suffisant pour faire face à de telles charges doit soit puiser dans ses réserves (pour peu qu’il en ait) soit vendre le bien pour rembourser son ou ses crédits. Et s’il s’agit d’un mouvement à grande échelle, il ne peut conduire qu’à un effondrement des prix du marché, vu l’impossibilité légale et contractuelle de faire supporter cette hausse de la pression fiscale sur les locataires.
Comme on le voit, même si l’on peut comprendre qu’une partie de la population prenne ombrage de la situation quelque peu favorable de bénéficiaires de revenus locatifs privés, en matière de fiscalité immobilière comme en toutes choses, l’enfer peut être pavé de bonnes intentions.
Source : Lawtax, avril 2022