On ne cesse de marteler partout que les lois fiscales doivent s’interpréter strictement.
Comme l’écrivait un auteur français, « la loi est ce que le législateur a dit et non ce qu’il a voulu dire » (1).
Mais comment doit-on comprendre ce principe de l’interprétation stricte des lois fiscales ? Signifie-t-il que le juge, soucieux de respecter le principe de légalité de l’impôt, doive se borner à n’appliquer loi fiscale que de manière mécanique et dans un esprit de soumission à l’égard d’un législateur fiscal tout puissant ?
Le juge dispose-t-il d’un certain pouvoir créatif et peut-il de dégager « l’esprit de la loi fiscale », et ce, a fortiori, lorsque le texte fiscal ne se singularise pas par une grande clarté ?
En réalité, il nous paraît que, sans pour autant ajouter au texte de loi, le juge fiscal puisse recourir à différentes méthodes d’interprétation tout à fait valables pour l’aider dans sa difficile mission : il s’agira des méthodes de l’interprétation grammaticale, de l’interprétation systémique, et de l’interprétation téléologique.
Comme l’écrivait avec pertinence De Page, « C’est la loi qui lie le juge, son texte n’enchaîne que l’ouvrier imprimeur, et le premier ne doit pas être confondu avec le second » (3) . Ce que veut dire le célèbre civiliste est qu’un texte peut sembler clair de prime abord, alors qu’il doit recevoir une autre signification que celle qu’il devrait avoir en fonction des intentions du législateur.
Dans ce cas, c’est l’intention du législateur qui doit primer (4).
S’il est admis de se servir des méthodes exposées ci-avant qui visent à se baser sur des éléments extrinsèques à loi fiscale pour retrouver la volonté du législateur, il est en revanche interdit d’interpréter la loi de manière extensive, en « transposant une solution juridique à une hypothèse semblable non résolue par la loi » (5) , phénomène que l'on constate aujourd'hui dans certaines prises de position de l'administration.
En d’autres termes, le juge et l’administration ne peuvent combler les lacunes en droit fiscal. Si une loi fiscale ne régit pas une situation donnée, il faut en conclure simplement qu’aucun impôt n’est applicable à cette situation. Car l’analogie crée une règle nouvelle et distincte, ce qui est totalement contraire au principe de légalité de l’impôt.
Raisonner par analogie consiste, tant pour le juge que pour le fonctionnaire, à faire œuvre législative. Car l’analogie vise, non à rechercher la volonté réelle du législateur, mais à établir une similitude entre un cas prévu par le législateur et un cas non prévu.
On observera que certains auteurs ne partagent pas ce point de vue et plaident pour un droit au comblement des lacunes fiscales (6). Leur raisonnement qui – reconnaissons-le – n’est pas entièrement dénué de pertinence, se résume comme suit : au moment où le législateur a conçu et rédigé un texte de loi, il ne pouvait appréhender tous les cas ou toutes les opérations qui se produiraient à l’avenir. Dès lors, il faudrait prolonger l’œuvre du législateur en adaptant la loi à ces situations nouvelles.
Le célèbre Portalis, fondateur du Code civil, n’écrivait-il pas « les lois, une fois rédigées, demeurent telles qu’elles ont été écrites ; les hommes au contraire, ne se reposent jamais ; ils agissent toujours ; et ce mouvement qui ne se s’arrête pas produit à chaque instant quelque combinaison nouvelle » (7).
Selon cette doctrine, des situations nouvelles, imprévisibles au moment de la rédaction de loi fiscale, doivent être régies par celle-ci grâce au travail constant de comblement des lacunes de la loi. Il nous paraît que cette position ne peut être suivie, car elle consisterait à valider la thèse fort critiquable que l’interprète puisse se muer en législateur.
Un autre courant doctrinal et administratif – plus inquiétant – et qui sans doute s’inspire de traditions anglosaxonne et germanique bien ancrées, voit le jour en Belgique et vise à sonner le glas de la théorie du choix de la voie la moins imposée.
Selon cette approche, l’interprétation économique d’une loi fiscale ou d’une opération produisant des effets fiscaux est une interprétation parfaitement valable.
Cette thèse ne vise rien moins qu’à faire triompher la réalité économique sur la réalité juridique. Elle trouve son fondement dans le principe d’égalité devant l’impôt.
L’idée est ici que, pour éviter des distorsions trop grandes dans la contribution des contribuables à l’impôt, il faut faire supporter la même charge fiscale à des phénomènes économiques identiques ou similaires.
La brèche de l’appréciation économique étant ouverte, il faut craindre qu’elle ne conduise en réalité à une profonde insécurité juridique.
L’erreur d’une telle méthode est qu’elle ne tient compte que du contenu économique d’un acte en faisant abstraction complète des chemins juridiques empruntés.
Dans nos dialogues avec les taxateurs ou le SDA, nous observons une volonté évidente et répétée de nier la réalité juridique, désormais sacrifiée sur l'autel du seul Dieu "réalité économique".
La fin d'une époque ?
1. Marchessou, L’Interprétation des textes fiscaux, p. 148
2 .Th. Afschrift, L’évitement licite de l’impôt et la réalité juridique, Larcier, p. 52.
3 .H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, T. 1, p. 258. 6
4. Jean-Pierre Winandy, L’abus de droit et la simulation en droit fiscal luxembourgeois, UDL, p. 172.
5. Geny, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, 1, p. 298.
6. Notamment, en France, Trotabas et Cotteret, ou en Suisse, le professeur Huberlant.
7. Portalis dans son Discours préliminaires du Code civil.
8. Krings, Les lacunes du droit fiscal, Bruylant, 1967, pp. 463 à 468.
Source: Linkedln, 14 février 2021, Pierre-François COPPENS, Conseil fiscal ITAA; Président et Fondateur de l'ADFPC