Renforcement de la gouvernance des sociétés cotées et de la protection des actionnaires en cas de cession d’actifs significatifs

C’est une loi fourre-tout que le législateur a choisie pour introduire de nouvelles dispositions en matière de gouvernance des sociétés cotées et introduire une protection spécifique des actionnaires en cas de cession d’actifs significatifs. À côté de dispositions qui concernent l’organisation de la justice ou des professions qui gravitent autour d’elle (huissiers, notaires, …), la loi du 27 mars 2024 portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis (ci-après, « la loi du 27 mars 2024 ») introduit pour la première fois en droit belge, une obligation de saisir l’assemblée générale préalablement à la cession d’un actif significatif par une société cotée ou ses filiales.

L’objectif est évidement louable puisqu’il s’agit de répondre à la problématique de l’affaire Nyrstar qui défraie la chronique financière depuis 2020. Dans ce dossier, Trafigura avait pris, progressivement, une influence déterminante dans la gestion de la société cotée Nyrstar pour ensuite transférer la quasi-totalité de ses actifs à une autre entité contrôlée par Trafigura…au grand dam des petits actionnaires.

Certains choix opérés par le législateur posent cependant question.

Par ailleurs, le législateur en profite pour renforcer la position des administrateurs indépendants. En substance, cette modification consiste à imposer trois administrateurs indépendants (ce qui est souvent le cas en pratique) et à imposer aux sociétés concernées d’affirmer leur indépendance et de justifier les raisons pour lesquelles, s’il existe un doute, elles considèrent que l’indépendance de ceux-ci n’est pas mise en péril.

L’impact de cette dernière modification étant limité en pratique, nous nous concentrerons ci-dessous sur la nouvelle procédure d’approbation d’une cession d’actifs significatifs.


1. L’obligation de consulter les actionnaires d’une société cotée préalablement à la cession d’actifs significatifs

Le Code des sociétés et des associations stipule désormais que seule l’assemblée générale d’une société cotée a le pouvoir d’approuver une cession d’actifs qui représente 75% ou plus des actifs de cette société cotée, et ce, sauf si la cession envisagée se réalise au profit d’une filiale de ladite société cotée dans laquelle l’actionnaire de contrôle ne détient pas 25% ou plus des actions[1].

Cette décision doit être précédée d’un rapport circonstancié du conseil d’administration et, à défaut de disposition spécifique, requiert l’approbation d’une majorité simple des actionnaires de la société concernée.

Cette décision doit, ensuite, être déposée et publiée.

Trois éléments méritent de plus amples commentaires :

  • Le choix de limiter l’application de cette disposition aux sociétés cotées (point 2) ;
  • Le seuil de 75% (point 3) ; et
  • La relation de cette disposition avec d’autres instruments visant à protéger les petits porteurs (point 4).


2. Une compétence spéciale réservée à l’assemblée générale des sociétés cotées

Le législateur justifie le choix de limiter l’application de ces dispositions aux sociétés cotées, c’est-à-dire les sociétés dont les actions sont cotées[2], par (i.) le fait que leur actionnariat est plus dispersé et (ii.) la négociation publique de leurs actions qui justifie déjà que leurs assemblées générales disposent de compétences spéciales qui n’existent pas dans les autres sociétés[3].

Cette explication laisse dubitatif.

L’actionnaire d’une société non cotée dont l’actionnariat est dispersé ne se trouve-t-il pas dans une situation similaire à l’actionnaire d’une société cotée par rapport à la cession d’actifs envisagée ?

A contrario, dans une société cotée où il existe un actionnaire de contrôle, le détour par l’assemblée générale offre peu de protection effective (autre que par la voie judiciaire et sous la forme d’un abus de majorité).

Les autres compétences spéciales réservées à l’assemblée générale des sociétés cotées – mesures préventives anti-OPA[4] et mesures de défense anti-OPA[5] – sont directement liées à l’existence d’une négociation publique des titres d’une société cotée ce qui la rend « OPA-ble ». Ce lien apparait moins évident en ce qui concerne une cession d’actifs significatifs qui n’entretient pas nécessairement de lien avec une (éventuelle) OPA.

3. Le seuil de 75%

Contrairement à des législations étrangères similaires, le législateur belge a fait le choix de se limiter à un seuil quantitatif et de ne pas introduire de critère qualitatif. Par ailleurs, le choix de fixer le seuil à 75% des actifs de la société vise à éviter que l’assemblée générale doive être saisie pour des décisions qui n’ont pas un impact existentiel sur l’avenir et la poursuite des activités de la société[6].

Cet objectif de limiter la saisine de l’assemblée générale aux décisions qui ont impact existentiel pourrait n’être que partiellement atteint.

En effet, le seuil de 75% se calcule sur la base des comptes statutaires et « doit également être calculé sur la base des actifs consolidés » si la société publie des comptes consolidés. Le choix de maintenir une référence aux comptes statutaires, même en présence de comptes consolidés, pourrait conduire à devoir saisir l’assemblée générale sur une décision de cession dont l’importance n’est pas fondamentale et ce, en raison du poids historique de certains actifs dans les comptes statutaires.

Par ailleurs, afin d’éviter que l’obligation d’approbation préalable ne soit contournée par un fractionnement artificiel, la loi prévoit d’agréger toutes les cessions d’actifs réalisées par une société cotée et ses filiales non cotées au cours des douze derniers mois précédant la cession concernée. Seule cette dernière cession étant soumise à l’approbation préalable de l’assemblée générale, elle pourrait ne porter que sur des actifs peu significatifs (au contraire des cessions précédentes) … voire porter sur une opération courante. Les opérations habituelles ne sont pas exclues de l’application de cette disposition, ce qui pourrait paralyser le fonctionnement de la société concernée dans l’attente d’une décision de l’assemblée générale.

Les administrateurs d’une société « en retournement » devraient être tout particulièrement attentifs à cette problématique et penser à saisir préventivement l’assemblée générale pour des cessions d’actifs importants qui n’atteignent pas nécessairement le seuil, pour éviter un risque de blocage ultérieur. Les cessions « approuvées par l’assemblée générale » ne sont quant à elles pas agrégées pour le calcul du seuil de 75%.

Reste que tout cela a un coût.


4. Relation avec d’autres instruments visant à protéger les petits porteurs

Lorsque, comme ce fut le cas dans le dossier Nyrstar, la cession a lieu au profit d’un actionnaire de référence (partie liée), il faudra par ailleurs composer avec les autres procédures mises en œuvre pour protéger les petits porteurs. Il en va en particulier de la procédure de conflit d’intérêts renforcée qui a été introduite en droit belge dans le cadre de la transposition de la directive SRD[7][8].

La loi prévoit en effet que cette procédure de conflit d’intérêt renforcée s’applique également à « la décision du conseil d`administration d'une société cotée de soumettre à l'assemblée générale pour approbation [d’une] proposition de cession d'actifs au sens de l'article 7:151/1 concernant une partie liée à cette société cotée »[9].

Concrètement, cela signifie que les deux procédures s’appliqueront cumulativement et chronologiquement de la manière suivante lorsque la cession doit avoir lieu au profit d’une partie liée :

  • -Le projet doit d’abord être soumis « à l'appréciation d'un comité composé de trois administrateurs indépendants, qui se fait assister s'il le juge nécessaire par un ou plusieurs experts indépendants de son choix. L'expert est rémunéré par la société » [10].Ledit comité est chargé de rendre au conseil d’administration « un avis écrit circonstancié et motivé sur la décision ou l'opération envisagée qui traite au moins des éléments suivants : la nature de la décision ou de l'opération, une description et une estimation des conséquences patrimoniales, une description des éventuelles autres conséquences, les avantages et inconvénients qui en découlent pour la société, le cas échéant, à terme. Le comité place la décision ou l'opération proposée dans le contexte de la stratégie de la société et indique si elle porte préjudice à la société, si elle est compensée par d'autres éléments de cette stratégie, ou est manifestement abusive »[11] ;
  • Le conseil d’administration rédige sur cette base le rapport prévu par la (nouvelle) procédure d’approbation par l’assemblée générale et prend la décision de convoquer celle-ci ; dans la majorité des cas, il s’agira d’une redite de l’avis rendu par le comité d’administrateurs indépendants, mais rien n’empêche au conseil d’administration de s’en écarter ; tout au plus, le procès-verbal (et non le rapport soumis aux actionnaires) doit reproduire « la raison pour laquelle [le conseil] déroge à l'avis du comité » ;
  • « Le commissaire évalue si les données financières et comptables figurant dans le procès-verbal de l'organe d'administration et dans l'avis du comité ne contiennent pas d'incohérences significatives par rapport à l'information dont il dispose dans le cadre de sa mission » ; la loi ne prévoit pas que ce rapport du commissaire soit communiqué à l’assemblée générale … ce qui constituerait pourtant une bonne pratique et un élément d’appréciation utile à celle-ci ;
  • L’assemblée générale est convoquée et se prononce sur l’opération sur la base du rapport du conseil d’administration ;
  • La société doit faire une annonce publique « au plus tard au moment de la prise de décision ou de la conclusion de l’opération »[12] ; cette annonce contient notamment la décision du comité et les motifs pour lesquels le conseil d’administration s’en écarte le cas échéant ; la logique voudrait que cette annonce intervienne en même temps que la convocation de l’assemblée générale, mais en l’absence d’une coordination des textes applicables, cela reste sujet à discussion.


Conclusion

Les législations adoptées dans l’urgence et de manière émotionnelle, au sein d’une loi fourre-tout, brillent rarement par leur qualité légistique. La nouvelle obligation de saisir l’assemblée générale d’une société cotée préalablement à la cession d’actifs significatifs ne fait pas, selon nous, exception à la règle.

C’est d’autant plus vrai, en l’espèce, qu’outre ce qui a été dit ci-dessus, en présence d’un actionnaire significatif ou de contrôle, le détour par l’assemblée générale pourrait n’être qu’une formalité, compte tenu du fort taux d’absentéisme des petits porteurs… sauf à spéculer sur les actions en suspension que pourraient introduire les actionnaires les plus activistes en amont de cette assemblée.

Il n’est pas certain que tel était bien l’objectif poursuivi par le législateur.


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[1] Art. 7 :151 (nouveau) CSA.

[2] Exposé des motifs, Doc. Parl. Chambre, n°55-3728/001, p. 44.

[3] Exposé des motifs, Doc. Parl. Chambre, n°55-3728/001, p. 44.

[4] Art. 7 :151 CSA

[5] Art. 7 :152 CSA

[6] Exposé des motifs, Doc. Parl. Chambre n° 55 3728/004, p. 51-52.

[7] Art. 7 :97 CSA

[8] Directive n°2017/828 du 11 mai 2017 modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE).

[9] Art. 7 :97, §2, 3° CSA.

[10] Art. 7 :97, §3, al. 1 CSA

[11] Art. 7 :97, §3 al. 2 CSA

[12] Art. 7 :97, §4/1, al. 1 CSA



La Tetracademy est la revue trimestrielle juridique du cabinet d’affaires bruxellois Tetra Law. Cet article en est extrait. Pour plus d’informations ou pour recevoir chaque nouvelle publication, n’hésitez pas à suivre la Tetracademy en envoyant un email à tetracom@tetralaw.com ».

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