Rétroactes - La loi du 17 février 2021 [1] a (ré)instauré la taxe annuelle sur les comptes-titres (« TACT ») dans un but strictement budgétaire et vise à « apporter une contribution visible au maintien de la sécurité sociale qui, en des temps cruciaux, a protégé la population de notre pays en termes de santé et de revenus ». [2]
Pour rappel, celle-ci frappe directement le compte-titres lui-même dès lors que sa valeur moyenne, calculée sur une période de référence, dépasse le seuil de 1.000.000 d’euros. En conséquence, tout compte-titres dont la valeur moyenne excède ce seuil est soumis à la taxe (0,15% de la valeur des instruments financiers imposables déposés sur le compte), sans qu’il soit tenu compte de la situation patrimoniale globale du ou des titulaires ou des droits attachés au compte (tels que l'indivision ou le démembrement de propriété).
ISF - De nombreuses conventions préventives de la double imposition (« CPDI ») conclues par la Belgique visent à prévenir la double application, par les Etats parties, d’impôts tant (i) sur les revenus que (ii) sur la fortune en répartissant le pouvoir d’imposition. S’il est admis que la TACT n’impose pas un « revenu » (puisque c’est bien l’existence du compte-titres qui est taxée, peu importe que celui-ci génère ou non des revenus), la question se pose de savoir si celle-ci peut être qualifiée « d’impôt sur la fortune » au sens des CPDI qui visent spécifiquement ce type d’impôt. Dans l’affirmative, les CPDI accordent généralement le pouvoir d’imposition sur les éléments de la fortune au pays de résidence. En d’autres termes, un non-résident qui dispose d’un compte-titres en Belgique pourrait demander l’écartement de la taxe dans la mesure où seul l’Etat de résidence serait habilité à lever l’impôt, à l’exclusion de la Belgique.
Sur ce point, le rédacteur des travaux parlementaires reconnait expressément que la taxe ne peut trouver à s’appliquer lorsque la CPDI « ne concerne pas seulement les impôts directs mais aussi des impôts (ad hoc) sur le patrimoine ; un exemple de ceci est la convention préventive de double imposition avec les Pays-Bas. Cette convention ne se limite pas aux impôts directs mais vise aussi « les impôts sur la fortune », lesquels ne sont en outre pas limités à des impôts sur la totalité de la fortune mais incluent aussi des impôts sur des éléments de la fortune». Il est donc admis que la TACT constitue bien « un impôt sur la fortune ».
Le Grand-Duché du Luxembourg - Des désaccords ont vu le jour vis-à-vis de l’interprétation donnée au champ d’application de certaines CPDI, sensiblement vis-à-vis de la CPDI conclue avec le Grand-Duché de Luxembourg. En effet, l’article 2 de la CPDI Belgique-Luxembourg est libellé comme suit :
« § 1. La présente Convention s'applique aux impôts sur le revenu et sur la fortune perçus pour le compte de chacun des Etats contractants, de ses subdivisions politiques et de ses collectivités locales, quel que soit le système de perception.
§ 2. Sont considérés comme impôts sur le revenu et sur la fortune, les impôts perçus sur le revenu total, sur la fortune totale ou sur des éléments du revenu ou de la fortune, y compris les impôts sur les gains provenant de l'aliénation de biens mobiliers ou immobiliers, les impôts sur le montant des salaires payés par les employeurs ainsi que les impôts sur les plus-values.
§ 3. Les impôts actuels auxquels s'applique la Convention, sont :
1° En ce qui concerne la Belgique :
a) l'impôt des personnes physiques ;
b) l'impôt des sociétés ;
c) l'impôt des personnes morales ;
d) l'impôt des non-résidents ;
y compris les précomptes, les centimes additionnels auxdits impôts et précomptes ainsi que les taxes additionnelles à l'impôt des personnes physiques, (ci-après dénommés "impôt belge") ;
[…] »
L’administration considère que la liste des impôts visés par la CPDI est restrictive, dans la mesure où :
Origine – La position du fisc en matière de TACT provient de la jurisprudence entourant la taxe d’abonnement sur les OPC. En effet, suite à deux décisions de la Cour de cassation des 25 mars 2022 et 21 avril 2022, d’aucuns ont retenu que la taxe d’abonnement n’était pas reprise comme un impôt sur la fortune et ce, sur la base de ces deux arguments.
Nonobstant cet arrêt, la Cour d’appel de Bruxelles (le 25 avril 2023) et tout récemment, la Cour d’appel de Gand (le 5 novembre 2024) – cette dernière pourtant sur renvoi de l’arrêt du 21 avril 2022 de la Cour de cassation précité - ont maintenu que la taxe d’abonnement était bien un impôt sur la fortune visée par la CPDI belgo-luxembourgeoise. Le raisonnement suivi par les juridictions de fond est le suivant : l’article 2, § 1er, vise tant l’impôt sur le revenu que l’impôt sur la fortune. L’article 2, §2, définit l’impôt sur la fortune comme étant celui qui frappe la fortune totale ou des éléments de celle-ci.
Le fait que la paragraphe 3 n’énumère pas spécifiquement l’impôt sur la fortune ou la taxe compte-titres n’ôte rien au fait que les paragraphes 1 et 2 visent l’impôt sur la fortune en tant que tel et tel que défini. Dès lors, la taxe d’abonnement ou même la taxe compte-titres répondent à cette définition qui s’impose. Partant, il convient de considérer que les résidents étrangers (personnes physiques ou personnes morales) ne peuvent être assujettis à la taxe.
De son côté, la Cour d’appel de Liège, sur renvoi de l’arrêt de la Cour de cassation précité du 25 mars 2022, s’est également prononcée ce 6 novembre 2024, cette fois en faveur de l’Etat belge. Contrairement aux Cours d’appel de Gand et de Bruxelles, elle estime que la taxe d’abonnement sur les OPC n’aurait pas pour assiette l’état de fortune des OPC luxembourgeois et ne serait donc pas un « impôt sur la fortune » au sens de la CPDI.
Et maintenant - Toujours est-il que, à la suite de la jurisprudence de la Cour de cassation précitée, et nonobstant la position adoptée par les juridictions de Gand et de Bruxelles, l’administration a modifié le contenu de ses FAQ relatives à la TACT : la CPDI conclue avec le Grand-Duché de Luxembourg ne permettrait pas de prévenir l’application de la taxe compte-titres.
Il n’en demeure pas moins que le raisonnement juridique des cours d’appel de Bruxelles et de Gand est unanimement reconnu par la doctrine. La question fera-t-elle fléchir la position de la Cour de cassation ? On rappellera, en effet, que conformément à sa jurisprudence, le droit international doit primer le droit interne. Encore faut-il s’entendre sur le champ d’application de de la CPDI.
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[1] Loi du 17 février 2021 portant introduction d’une taxe annuelle sur les comptes-titres (1), M.B., 25 février 2021, p. 17189.
[2] Doc. Parl., Ch. repr., sess. ord. 2020-2021, n° 55 1708/001, p. 4.
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