Dans une affaire récente portée devant le Tribunal de première instance de Liège, un résident belge embauché à temps partiel comme responsable à la direction des ressources humaines par une société luxembourgeoise revendiquait l’exemption en Belgique des salaires payés par cette société employeuse.
La loi belge prévoit qu’un résident fiscal belge est taxable sur son revenu « mondial ». Le principe est ainsi qu’il est taxé non seulement sur son revenu de source belge mais aussi sur son revenu d’origine étrangère.
Cela peut évidemment conduire à des doubles impositions. Il existe donc des exceptions à ce principe, généralement en raison des conventions internationales tendant à remédier aux doubles impositions.
C’est le cas de la convention préventive de double imposition (ci-après : CPDI) entre le Luxembourg et le Belgique qui prévoit en son article 15, §1er, comme la plupart des CPDI, que les revenus tirés d’un emploi salarié sont imposables dans l’Etat de résidence du travailleur, sauf si l’activité est exercée dans l’autre Etat. Un avenant à la présente convention précise que l’activité est exercée dans cet autre Etat lorsque le travailleur y est physiquement présent. Outre cette condition, il faut également qu’il soit satisfait à une des conditions supplémentaires visées par le paragraphe 2 du même article pour que le contribuable puisse bénéficier de l’exemption de son salaire luxembourgeois en Belgique.
Toutefois, en vertu des règles régissant la preuve, il appartient au contribuable qui invoque une exception, de prouver qu’il peut en bénéficier. Tel est le cas de celui qui invoque l’exemption de son salaire luxembourgeois en Belgique.
Le jugement du 24 juin 2021 relatif à l’affaire précitée concerne le traitement fiscal des salaires d’un contribuable sur base de l’article 15 de la CPDI belgo-luxembourgeoise.
En l’espèce, l’administration fiscale reprochait au contribuable de ne pas apporter la preuve de sa présence quotidienne au Luxembourg.
Or, la Cour de cassation a longtemps considéré que l’article 15, §1er de la CPDI ne subordonne pas l’exercice de l’emploi dans l’autre Etat contractant à une présence physique permanente du salarié dans cet Etat pendant l’exercice de son activité. Néanmoins, dans un arrêt de 2011 concernant des prestations en partie effectuées au Luxembourg et en partie en dehors elle a considéré comme légalement non justifiée la décision d’exonérer la totalité des rémunérations versées par une société luxembourgeoise sans tenir compte de l’existence des prestations effectuées hors du territoire luxembourgeois et sans se prononcer sur leur importance.
Cet arrêt, qui a été confirmé par la suite, fonde selon le Tribunal, la technique du « panachage », qui permet de répartir le pouvoir d’imposition entre les deux Etats en proportion de l’importance des prestations et du nombre de jours de présence physique du contribuable sur le territoire luxembourgeois.
Dans les faits, ce revirement de jurisprudence revient à exiger du contribuable qu’il démontre sa présence physique au jour le jour sur le sol luxembourgeois pour pouvoir bénéficier de l’exemption. En effet, comme l’a relevé le Tribunal, « cette technique consistant à ventiler les prestations selon qu’elles sont effectuées sur le sol luxembourgeois ou ailleurs implique un calcul précis des jours de présence physique du contribuable chez l’employeur selon un pourcentage mathématique… ».
Or selon le Tribunal, l’exigence de preuve d’une présence physique permanente sur le sol Luxembourgeois ne ressort pas du texte de l’article 15, § 1er de la CPDI.
Il a ainsi porté la discussion sur le principe général de sécurité juridique.
Sur ce point, le Tribunal a estimé qu’en raison du contenu du texte et du revirement de jurisprudence de la Cour de cassation, « il ne peut raisonnablement être attendu de la part du contribuable qu’il apporte a posteriori, après imposition, la preuve de sa présence physique permanente et quotidienne sur le sol luxembourgeois, et ce depuis le 1er juillet 2014 ». Le Tribunal a dès lors jugé « disproportionné et contraire aux exigences de prévisibilité inhérentes au droit à la sécurité juridique de requérir pour la première année d’activité que le requérant sache à l’avance qu’il devra démontrer la permanence de sa présence physique et une traçabilité au jour le jour et de lui reprocher de ne pas apporter une telle preuve en le sanctionnant a posteriori par l’imposition de ses revenus luxembourgeois en Belgique au taux plein comme si ces conditions de travail n’avaient pas changé ».
D’aucuns estiment que le Tribunal aurait dû dire la preuve rapportée par présomption. Le contribuable avait en effet fourni des échantillons de preuves et la nature de son emploi nécessitait, certainement, une présence physique effective au Luxembourg.
Il convient toutefois d’être attentif au texte de l’article 15 de la CPDI qui dit seulement que si l’emploi est exercé dans l’autre Etat contractant les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État. L’avenant à la convention dit, tout au plus, que l’emploi est exercé là où le travailleur est physiquement présent pour le faire.
Contrairement au Tribunal, nous n’analyserons pas le traitement de la question de l’exemption du salaire luxembourgeois sous le prisme de la « preuve » de l’exigence d’une présence physique, mais tout simplement de l’exigence même de celle-ci et plus particulièrement de sa portée. Il en sera ainsi car ce n’est que si un travailleur transfrontalier doit être physiquement présent dans l’autre Etat de façon quotidienne qu’il devra apporter la preuve d’une telle présence.
Bien que la Cour de cassation se soit d’abord prononcée par la négative avant de revenir sur sa jurisprudence quelques années plus tard, le texte, quant à lui, reste silencieux sur ce point. A fortiori, le texte ne dit rien non plus sur un quelconque fractionnement du pouvoir d’imposition en proportion de l’importance des prestations effectuées sur le sol des Etats concernés et du nombre de jours de présence physique du contribuable dans l’Etat de la source tel que pratiqué par l’administration.
Par conséquent, le système mis en place relève d’une création administrative, puis jurisprudentielle. Toutefois, il n’appartient pas aux cours et tribunaux de faire œuvre de législateur. Cela est d’autant plus vrai en droit fiscal où la volonté du législateur doit être exprimée de manière claire et précise et ne peut faire l’objet d’une interprétation pour en rechercher le sens.
En effet, au niveau européen, l’impôt est vu comme une ingérence dans le respect du droit de propriété. Il n’est permis qu’à la condition que loi soit suffisamment claire et précise afin d’être prévisible dans son application par ses destinataires. Il s’agit du principe de sécurité juridique, notamment consacré par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, qui a un effet direct en droit interne.
Or, c’est justement le manque de précision de la disposition litigieuse qui est à l’origine des interprétations contradictoires de la Cour suprême concernant la même disposition.
En conclusion, l’insécurité juridique découle non pas d’une question de charge de la preuve imposée au contribuable pour obtenir l’exemption de son salaire luxembourgeois en Belgique mais de l’imprécision de la loi sur l’importance de cette présence physique et des conséquences de celle-ci sur la détermination de la base imposable.