TVA : quand le manque d'activités (pas assez) freine l'innovation (et la déduction) en Belgique

L’administration fiscale a développé depuis peu un raisonnement suivant lequel le droit à déduction de la TVA supposerait la réalisation de recettes au moins égales aux achats.

Dans un dossier, le procès-verbal ayant fondé le refus de déduction stipule en effet l’aberration suivante : « de plus, selon l’article 64, §1 du Code de la TVA, l’assujettie aurait du facturer des prestations de services supérieures aux services qui lui ont été prestés en sous-traitance ».

Le litige en est à présent au Tribunal et cet argument n’a pas été maintenu en l’état. Il a évolué pour à présent reprocher plus généralement à cette entreprise de n’avoir pas eu d’activités pendant deux ans, ce qui justifierait que la TVA supportée sur ses achats ne peut être déduite (ni remboursée).

L’entreprise en question est active dans un métier qui fût frappé de plein fouet par la Covid-19 et ses recettes ont, de ce fait, drastiquement diminué pendant un temps où elle lançait par ailleurs de nouvelles activités pour faire face à la situation.

Ce raisonnement est-il admissible ? Certainement pas, comme le confirme la Cour de justice de l’Union européenne.


Pas de déduction de TVA si pas de rendement des actifs ?

Le droit Italien contenait un dispositif qui qualifiait certaines sociétés de ‘non opérationnelles’, dans certaines circonstances. Entre autre, ce régime prévoyait qu’en cas de ventes soumises à TVA inférieures au rendement attendu des actifs de l’entreprise, celle-ci se voyait privée de son droit à déduction.

Alors que l’objectif de ces dispositions était, selon le gouvernement italien, d’éviter des abus en matière de déductions TVA, en réalité, ce n’était pas le droit à déduction qui était visé mais bien la qualité d’assujetti. En effet, la logique du régime italien reposait sur un concept de société non opérationnelle, c’est-à-dire sans activités, et impliquait non pas une réduction du droit à déduction mais bien sa perte intégrale. Comme la Cour de justice le relève, il était donc bien question de priver ces sociétés de leur droit à déduction en les rangeant dans la catégorie des non assujettis à la TVA.

La Cour de justice a bien entendu répondu que la directive TVA s’oppose à une telle disposition qui priverait une personne de la qualité d’assujetti si elle ne réalise pas des recettes au moins égales à la rentabilité attendue de ses actifs.

Mais la Cour a encore poussé son raisonnement plus loin.


Pas de déduction de TVA si pas de recettes suffisantes ?

Outre les règles qui visaient un rendement présumé des actifs, le régime italien prévoyait également, dans le chef de ces sociétés non opérationnelles, qu’elles seraient privées de leur droit à déduction si leurs opérations à la sortie n’atteignaient pas un montant considéré comme suffisant.

Or, le droit à déduction est l’un des principes fondamentaux de la TVA qui doit pouvoir s’exercer immédiatement, pour la totalité de la TVA supportée en amont, afin d’assurer une parfaite neutralité de la charge fiscale dans le chef des opérateurs économiques.

Conceptuellement, dès lors que dans le cycle économique, des achats sont réalisés dans le cadre d’une activité économique, c’est-à-dire en vue de réaliser des opérations taxées à la sortie, le droit à déduction naît et peut être exercé.

Il n’y a en réalité que deux conditions posées à l’exercice de ce droit : être un assujetti, et avoir exposé la dépense pour les besoins d’opérations taxées à la sortie, auprès d’un autre assujetti.

En vertu de la directive TVA, il n’est donc aucunement question de subordonner la déduction de la taxe à la circonstance que l’assujetti aurait réalisé des opérations à la sortie d’un certain montant.


Le droit à déduction est une garantie de droit européen

Bien au contraire, pour autant que les conditions ci-dessus soient satisfaites, comme le souligne la jurisprudence de la Cour, le droit à déduction est garanti, indépendamment des résultats de l’assujetti.

Ceci amène dès lors à un amère constat. Alors que les pays européens se plaignent du manque d’innovation de leurs entreprises, n’est-ce pas là un facteur décourageant qui leur est pleinement imputable ? Le raisonnement de l’administration fiscale italienne, tout comme celui de l’administration fiscale belge dans notre litige, reviendrait à priver toute start-up de son droit à déduction. Tout comme les sociétés pharmaceutiques en phase de R&D et d’obtention de leurs différents agréments et bien d’autres encore. Voilà qui est accueillant…

Ce n’est pourtant que les cas de fraude, prouvés objectivement, qui peuvent justifier un refus d’exercice du droit à déduction. Et l’on vise ici les montages artificiels, dépourvus de réalité économique. Les Etats membres sont bien entendu autorisés à adopter des mesures pour lutter contre ces fraudes mais celles-ci ne peuvent enfreindre les principes sous-jacents au régime de la TVA. Ce n’est dès lors certainement pas un manque de recettes qui pourrait suffire à démontrer objectivement une fraude et permettre à une administration de refuser l’exercice du droit à déduction.

Le gouvernement italien, qui invoquait cette lutte contre la fraude pour justifier son dispositif légal, fût dès lors éconduit comme il se devait.


La TVA est d’abord un droit européen

Une fois de plus, ces exemples démontrent à quel point il est essentiel de confronter les dispositions nationales au droit européen. C’est particulièrement le cas avec la TVA mais ce réflexe concerne également d’autres branches du droit. Il devrait dès lors toujours être gardé à l’esprit.

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