La première question à se poser est de savoir si une plus-value a été réalisée au sens fiscal. En d’autres mots, l’opération concernée est-elle un évènement fiscal ?
La deuxième question est de savoir si cette réalisation s'inscrit dans un régime fiscal impliquant une imposition (revenus professionnels, ou revenus divers, ou exonération gestion normale de patrimoine). La réponse à cette question peut varier en fonction de la situation spécifique de chaque investisseur.
Enfin, la troisième question à se poser est de savoir quelle est la base imposable de la taxation. Il s'agit de déterminer le montant de la plus-value sur la base de différentes méthodes de valorisation, telles que LIFO (Last In First Out), FIFO (First in First Out) ou valeur moyenne pondérée.
La première question est souvent débattue par les praticiens. Certains considèrent qu'il y a réalisation fiscale que si la cryptomonnaie est échangée contre une monnaie fiduciaire (euros, dollars américains, etc.) tandis que d'autres considèrent qu'un échange de cryptomonnaie contre une autre cryptomonnaie est également qualifiable de « réalisation » au sens fiscal, pouvant éventuellement entraîner une imposition.
Jusqu'à présent, il n'y avait pas de communication claire de la part de l'administration fiscale belge à ce sujet. Seul le Service des Décisions Anticipées (qui délivre les rulings) avait laissé entendre qu’il considérait qu’une conversion crypto/crypto est également une réalisation au sens fiscal. Le SDA avait en effet (indirectement) laissé sous-entendre sur son site web qu’une conversion crypto/crypto pouvait être considéré comme un évènement produisant des effets sur le plan fiscal rendant une demande de ruling irrecevable. Une demande de ruling ne peut être reçue que si elle a un caractère anticipé, ce qui signifie qu’elle doit porter sur une opération n’ayant pas encore produit d’effets sur le plan fiscal.
Le 9 mars 2023, en réponse à une question parlementaire, le ministre des Finances s’est clairement positionné. Selon lui, juridiquement et fiscalement, il y a réalisation lorsqu'un actif (peu importe sa nature) quitte le patrimoine d'une personne pour être remplacé par un autre actif (peu importe sa nature). S'il y a un accroissement de patrimoine lors l'échange, alors une plus-value est réalisée au sens fiscal :
« Il a lieu de considérer qu'une plus-value est réalisée lorsqu'un bien quitte le patrimoine en contrepartie de monnaie fiduciaire ou de tout autre bien, le cas échéant une autre cryptomonnaie. Il est bien sûr question de plus-value lorsque la réalisation engendre un accroissement du patrimoine. La réalisation n'implique donc pas ipso facto une contrepartie en monnaie fiduciaire. Lorsqu'une plus-value résulte d'un échange entre deux biens, comme p. ex. une cryptomonnaie A contre une cryptomonnaie B, cette plus-value est "réalisée" et non "latente". » (Question et réponse écrite n° : 1338 - Législature : 55)
En d’autres mots, selon le ministre, en cas de swap crypto/crypto, il a bien une plus-value « réalisée » et non une plus-value « latente ».
Cette position officielle de l'administration fiscale belge pourra toujours être contestée devant les cours et tribunaux, mais il est fort probable que ceux-ci suivront le ministre des Finances. Par conséquent, il est crucial d'adopter une démarche prudente quant à la gestion fiscale de ses investissements crypto.
Cela n’a pas été soulevé par le ministre mais il est à souligner qu’il n'existe pas en Belgique de disposition légale particulière comme en France, qui immunise fiscalement les plus-values tant qu'il n'y a pas de conversion en fiat.
Il y a environ un an, dans notre ouvrage intitulé « Cryptomonnaies, cryptiques taxes », nous avions avancions déjà que la thèse selon laquelle la conversion de cryptomonnaies en d'autres crypto-monnaies est un événement fiscal est la plus solide juridiquement parlant et qu'elle serait probablement suivie par l’administration fiscale.
Les conséquences pratiques de ces clarifications sont importantes. Les investisseurs peuvent être amenés à payer de l'impôt sans disposer des liquidités en euros pour le faire, ce qui peut mener à des situations dramatiques. Par exemple, si un investisseur échange en 2023 du bitcoin contre de l'ETH en réalisant une plus-value, mais que deux ans plus tard, au moment de payer l'impôt (fin 2024 ou début 2025), l'ETH acquis en échange s'est complètement dévalorisé et que son montant est inférieur à l'impôt qu'il doit payer, il pourrait se trouver dans une situation où il est dans l’impossibilité de régler ses dettes fiscales, surtout lorsqu’il s’agit de gains antérieurs significatifs.
"Un contribuable averti en vaut deux", mais peut-on véritablement parler d'avertissement ? Il est tout à fait regrettable que ces clarifications (et d'autres que l'on attend toujours) arrivent au compte-goutte, par voie de réponse à des questions parlementaires et qu’à ce jour aucune une circulaire n’ait été publiée sur le site du SPF Finances dont la communication toucherait beaucoup plus de personnes. Les contribuables méritent de la sécurité juridique dans cette matière afin de pouvoir gérer leur portefeuille crypto en toute sérénité. Il en va du respect du droit à la propriété privée.
En l’absence de clarification de l’administration fiscale, de nombreux contribuables ont appliqué, en toute bonne foi, les règles fiscales à leurs investissements crypto en partant du principe que la plus-value ne serait calculée et l’impôt dû que lors de la vente contre des euros. Ils n’ont dès lors pas encore déclaré des plus-values qui auraient dû l’être pour les années antérieures (principe d’annuité de l’impôt). S’ils veulent se mettre fiscalement en ordre, ils devront procéder à une régularisation fiscale (qui n’est possible que jusqu’au 31 décembre 2023) et payer un prélèvement de 58%, à la place de l’impôt de 33% normalement dû. Ils doivent donc subir financièrement l’inaction de l’administration fiscale qui aurait pu clarifier cette question bien plus tôt. Une solution transitoire doit être trouvée par l’administration pour ces personnes. Après tout, en vertu des principes de bonne administration, il est attendu d’une administration fiscale qu’elle communique clairement avant que des catastrophes se produisent.
Il est important de se poser la question de l'éventuelle imposition de la plus-value à chaque conversion crypto/fiat et chaque conversion crypto/crypto. Attendre le retour vers le fiat peut mener à des situations catastrophiques où l'impôt serait dû alors que la valeur du patrimoine crypto aurait considérablement diminué entre-temps. Il est donc important de prendre en compte cet aspect dans la gestion de son portefeuille crypto.
Il faut également se rappeler que les plus-values imposables se déclarent en année X+1 (X étant l'année de la réalisation de la plus-value) et se paie à la fin de l'année X+1 ou au début de l'année X+2. Il est donc crucial de disposer de liquidités suffisantes en euros pour pouvoir payer l'impôt. Une option est de provisionner l'équivalent du montant de l'impôt en euros sur un compte bancaire.
Dans ce cadre, rappelons que les rapatriements des gains crypto en euros sur un compte bancaire peuvent être compliqués et que le processus de vérification de l'origine légale des fonds par la banque prend du temps. Pire encore, il arrive très souvent que les banques belges refusent purement et simplement d'accepter les fonds. Mais alors comment le contribuable peut-il payer le fisc s’il n’a pas accès à ses fonds ?
Source : Tiberghien Avocats,