Vingt ans avant la fin du siècle dernier, 1979 fut une année étrange, une transition presque effacée. Un an plus tard, l’Amérique rugirait sous l’impulsion des idées néolibérales de Ronald Reagan, mais c’est bien en 1979 que Margaret Thatcher anticipa cette révolution au Royaume-Uni.
Pourtant, le 15 juillet 1979, le président américain Jimmy Carter prononça un discours, intitulé « A Crisis of Confidence », que la presse qualifia rapidement de « discours du malaise ». Ces huit minutes stupéfiantes furent le fruit d’une retraite spirituelle intense. Carter s’adressa à la nation à un moment où la société américaine se heurtait au second choc pétrolier, à la révolution iranienne, et à la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran. Il déclara : « It is a crisis that strikes at the very heart and soul of our national will. We can see this crisis in the growing doubt about the meaning of our own lives and in the loss of unity and purpose as a nation. The erosion of confidence in the future is threatening to destroy the social and political fabric of the nation. »
L’année 1979 clôturait une décennie maudite. Mai 68 était oublié, les trente glorieuses se terminaient, les monnaies vacillaient dans l’incompréhension des aléas économiques, tandis qu’une immense mutation vers l’industrie des services s’opérait au milieu d’un dramatique chômage de masse. Une décennie fut marquée par les grèves, les menaces de la guerre froide, les coups d’État fomentés pour contrer le communisme, et surtout la guerre du Vietnam, qui s’était terminée avec la chute de Saïgon en avril 1975.
Ce fut aussi l’année du premier incident nucléaire majeur occidental à Three Mile Island, et du syndrome chinois, qui décrivait la fusion d’un réacteur nucléaire capable de traverser la croûte terrestre pour percer la planète jusqu’en Chine.
1979, c’est aussi l’année de malaises musicaux, avec The Wall de Pink Floyd, London Calling de The Clash, Highway to Hell d’AC/DC, Regatta de Blanc de The Police, et le mythique Breakfast in America de Supertramp. La première chanson de cet album, Logical Song, dépeint un monde aseptisé et mécanique, bref, fonctionnel et logique. La dernière chanson, Child of Vision, que j’ai eu l’occasion d’entendre chantée par Hodgson au Cirque Royal il y a quelques années, avertit : « You tried to be a hero... but the dollar got you dancing and you're running out of time. »
À la fin de l’année, ce fut l’installation des missiles Pershing II en Europe et l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS. Je me souviens du discours lugubre du président Giscard d’Estaing, le 31 décembre, évoquant les risques de guerre.
Ce fut une année étrange.
J’étais rentrée à l’université. Un nouveau monde s’ouvrait à moi.
Le futur portait un espoir.