De nombreux contrôles sont initiés par l’administration fiscale à la lecture de ces CRS, notamment si les comptes qui y sont renseignés ne le sont pas dans la déclaration fiscale du contribuable.
La question s’est souvent posée, même par le passé, de savoir si le seul fait d’omettre de déclarer un compte et/ou les revenus de ce compte, est synonyme automatiquement de « fraude ».
Une telle qualification n’est pas anodine, puisqu’elle peut avoir des effets, tant sur la procédure (délais d’investigations et d’enrôlement), que sur le montant des accroissements.
En effet, en vertu de l’article 444 du Code des impôts sur les revenus 1992 et de l’article 226 de l’arrêté royal du Code des impôts sur les revenus 1992, l’administration fiscale est fondée à appliquer des accroissements d’impôt lorsqu’elle procède à la rectification de la déclaration fiscale d’un contribuable ou à l’imposition d’office de ce dernier.
Ces accroissements varient de 10 à 200% en fonction de certains éléments (récurrence, gravité, etc…) dont l’ « intention frauduleuse » du contribuable. Cette intention constitue l’élément moral de l’infraction de fraude, c’est-à-dire le fait que la violation ait été commise dans le but d’éluder l’impôt.
Cette notion est particulièrement délicate à définir de sorte que l’administration fiscale se retrouve finalement dans un premier temps juge et partie, et impose des accroissements à son bon vouloir… mais pas toujours dans la légalité !
C’est en effet ce que le Tribunal de première instance d’Anvers a rappelé dans son récent jugement du 16 janvier 2023 (RG 21/4552/A) : en l’espèce, la contribuable détenait des comptes bancaires aux Etats-Unis, qu’elle n’avait pas déclarés. Elle n’avait pas non plus déclaré les revenus mobiliers découlant de ces comptes.
Ces informations étaient toutefois apparues sur les fiches de renseignements transmises par les Etats-Unis sur base de la loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act).
L’administration avait alors procédé à la rectification de l’impôt à due concurrence et y avait ajouté un accroissement de 50%, estimant que la contribuable avait agi avec l’intention frauduleuse d’éluder l’impôt.
Dans ce cas, l’administration se basait sur l’absence de déclaration des comptes et des revenus mobiliers pour y trouver une intention frauduleuse, ainsi que sur le fait que l’employeur de la contribuable l’informait annuellement de son obligation de déclarer ses revenus mobiliers.
Aucun autre élément de preuve n’était apporté par l’administration.
Dans son jugement, le Tribunal rappelle tout d’abord que la fraude ne peut être présumée et que l’administration fiscale doit en rapporter la preuve. L’absence de déclaration d’un compte et des revenus mobiliers en découlant ne sont pas en eux-mêmes des éléments suffisants à l’établissement de cette preuve. L’information de l’obligation de déclaration par l’employeur de la contribuable est quant à elle également insuffisante à démontrer l’intention frauduleuse, selon le tribunal, de sorte que le Tribunal décide de réduire les accroissements à 10%.
La Cour de cassation avait déjà décidé de longue date, en 1997[1], que le seul fait de ne pas déclarer un montant important de revenus ne suffisait pas à prouver l’intention d’éluder l’impôt.
L’administration fiscale supporte la charge de la preuve de l’intention frauduleuse. Pourtant, l’administration fiscale a souvent tendance à appliquer d’emblée un accroissement de 50% lorsque des revenus ont été perçus depuis l’étranger sans avoir été déclarés, comme si ce simple fait suffisait à prouver l’intention frauduleuse. Il est bien entendu possible de conclure un accord après l’envoi de l’avis de rectification (voir au stade de la demande de renseignements lorsqu’elle permet de révéler une omission fortuite) et donc avant l’enrôlement, justifiant de sa bonne foi. Mais cela implique en réalité un renversement de la charge de la preuve.
La jurisprudence des juges du fond n’est pas unanime, et il faut relever un jugement du tribunal de première instance de Namur du 14 mars 2013 admettant que la simple absence de déclaration de revenus perçus depuis l’étranger est suffisante à prouver l’intention frauduleuse.
Le Tribunal de première instance d’Anvers a rendu un jugement le 3 mai 2021 (RG 20/1393/A), en sens contraire, dans une affaire où des contribuables n’ayant mentionné ni l’existence de comptes à l’étranger (Pays-Bas et Allemagne) ni les revenus mobiliers en découlant, il se sont vus enrôlés par l’administration d’un accroissement de 50%. Le Tribunal a toutefois estimé que le simple fait que de revenus n’ont pas été déclarés à plusieurs reprises n’est pas suffisant pour prouver l’intention frauduleuse.
Ce raisonnement a été confirmé par la Cour d’appel de Gand le 13 juin 2023 (RG 2022/AR/628 – non encore publié). Dans ce cas, les contribuables avaient procédé à une régularisation de leur revenus mobiliers étrangers. Ces revenus n’avaient jamais été déclarés antérieurement. Postérieurement à la régularisation, les contribuables indiquaient dans leur déclaration fiscale l’existence des comptes étrangers mais ne déclaraient pas les revenus mobiliers. Ils ont dès lors subi une rectification avec application d’accroissement de 50% ; l’administration fiscale justifiant la mauvaise foi par le simple fait que les revenus étrangers n’ont pas été déclarés.
Les contribuables ont soutenu qu’au contraire, ils mentionnaient dans leur déclaration fiscale l’existence des comptes, preuve qu’ils n’avaient pas l’intention de frauder. Cette thèse a été suivie par la Cour qui estime que les contribuables n’avaient peut-être pas conscience de leur obligation fiscale, compte tenu du fait que les revenus étaient déjà taxés à l’étranger.
Notons toutefois que la Cour d’appel de Bruxelles a déjà décidé que la profession d’un contribuable, s’agissant en l’espèce d’un expert-comptable, avait une influence sur l’appréciation de l’intention frauduleuse, de sorte que l’absence de déclaration de certains de ses revenus justifiait, selon la Cour, l’application d’un accroissement de 50% (Bruxelles, 8 décembre 2000, RG 1992/FR/107).
Notons encore qu’outre le montant de l’ « amende », le fait d’imposer un accroissement de minimum 50 % a également un effet sur le cours des intérêts, qui rétroagissent jusqu’au moment où les revenus auraient dû être déclarés. Ce qui, pour des infractions anciennes peut avoir un impact considérable sur le montant à payer au fisc (article 415, §1er, alinéa 2 CIR 92).
Il est donc essentiel de refuser l’application d’un tel accroissement, qui ne doit être qu’exceptionnellement appliqué et non par principe, dans la mesure où il appartient à l’Etat belge de prouver l’intention frauduleuse et qu’il ne peut la présumer. Un accroissement d’une telle importance revêt une nature pénale[2] et a des conséquences financières majeures.
Cette jurisprudence récente doit dès lors être saluée et brandie systématiquement contre les velléités de l’Etat belge.
Notes
[1] Cass., 3 janvier 1997, https://expert.taxwin.be/fr/tw_juri/document/cass19970103-fr.
[2] CEDH Silverster’s Horeca Service c. Belgique, 4 mars 2004, n° 47650/99) que nationale (Cour constit., 16 juillet 2009, n° 119/2009 ; Cour constit., 3 avril 2014, 61/2014 ; arrêts de la Cour de cassation n° C.99.0517.N du 25.05.1999 ; n° F.05.0086.F et F.05.0102.F du 30.11.2006, n° C.04.0390.N du 16.02.2007, n° F.05.0015.N du 16.02.2007, n° C.07.0507.N du 13.02.2009, n° F.06.0106.N du 13.02.2009, C.09.0096.N du 11.03.2010 ; n° F.10.0033.N du 08.04.2011 ; Civ. Bruxelles, 9 janvier 2013, EE/103.866, www.fisconetplus.be.