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Accroissement sans effet financier et prise de rang: le tribunal précise la notion de sanction effective

Vous trouverez ci-dessous une courte analyse du jugement rendu le 24 juillet 2025 par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, qui apporte une clarification importante en matière d’accroissements d’impôt.

Le tribunal y précise qu’un accroissement dépourvu d’effet financier ne constitue pas une sanction effective et ne peut, dès lors, fonder une prise de rang au sens de l’article 229 AR/CIR 92.

Une décision qui contribue à restaurer la cohérence du système répressif fiscal et à mieux protéger les droits des contribuables, en rappelant qu’une sanction suppose un impact concret.

1. Le problème : un accroissement d’impôt peut-il être « sanctionnant » s’il n’a pas d’effet concret ?

Le mécanisme des accroissements d’impôt, prévu à l’article 444 CIR 92 et détaillé aux articles 225 et suivants de l’AR/CIR 92, repose sur une logique de récidive fiscale. Chaque nouvelle infraction — par exemple le dépôt tardif d’une déclaration — est sanctionnée selon un pourcentage plus élevé, en fonction du rang de l’infraction. Ce rang suppose que le contribuable ait déjà été sanctionné pour une infraction antérieure, c’est-à-dire qu’il ait eu « connaissance de l’accroissement qui a sanctionné l’infraction précédente » (article 229 AR/CIR 92).

En pratique, il arrive toutefois qu’un accroissement d’impôt soit théoriquement appliqué, mais sans effet financier : la base imposable étant nulle, les pertes reportées absorbant tout revenu, ou encore parce que le crédit d’impôt excède l’impôt dû.

Peut-on, dans ce cas, considérer que l’infraction a été « sanctionnée » au sens de l’article 229 AR/CIR 92, et donc qu’elle prend rang pour la récidive ?

Cette question, longtemps restée théorique, a été directement tranchée par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles dans son jugement du 24 juillet 2025.


2. Le contexte de l’affaire : exercice d’imposition 2019 et limitation de la déduction des pertes

L’affaire concernait une société active dans l’architecture d’intérieur, qui avait déposé sa déclaration à l’impôt des sociétés pour l’exercice d’imposition 2019 avec retard, en invoquant un cas de force majeure (accident grave de la gérante unique).

L’administration avait appliqué un accroissement de 50 %, considérant qu’il s’agissait d’une quatrième infraction (rang 4) en matière de dépôt tardif de déclaration. Ce rang était justifié par des infractions antérieures commises pour les exercices 2013, 2016 et 2018.`

Toutefois, pour chacun de ces exercices, la société avait enregistré des pertes reportées absorbant totalement le résultat, si bien qu’aucun impôt n’avait été dû et qu’aucun accroissement n’avait eu d’effet pécuniaire.

L’administration considérait néanmoins que la mention d’un taux d’accroissement dans les notifications d’imposition d’office suffisait à établir la sanction antérieure.

Le tribunal ne l’a pas suivi.


3. La motivation du tribunal : une sanction doit être « effectivement appliquée »

Le tribunal rappelle d’abord la lettre de l’article 229 AR/CIR 92 :

« Il y a deuxième infraction ou infraction subséquente si, au moment où une nouvelle infraction est commise, il a été donné connaissance au contrevenant de l’accroissement qui a sanctionné l’infraction antérieure. »

En s’appuyant sur cette formulation, le tribunal adopte une lecture littérale et téléologique du texte un accroissement qui n’a pas eu d’effet concret, faute d’impôt dû, ne peut être considéré comme ayant « sanctionné » une infraction antérieure.

Autrement dit, un accroissement théorique, même mentionné sur la notification d’imposition d’office ou dans l’avertissement-extrait de rôle, n’est pas un accroissement sanctionnant s’il ne produit aucun impact financier.

Le tribunal constate, sur base des pièces du dossier, que pour les exercices d’imposition 2013, 2016 et 2018, les cotisations enrôlées faisaient mention de taux d’accroissement exacts, mais qu’aucun accroissement n’avait été appliqué en pratique, le montant final des cotisations étant nul compte tenu de l’imputation des pertes antérieures. Dès lors, aucun de ces exercices ne pouvait fonder une « prise de rang » au sens de l’article 229 AR/CIR 92.

Le tribunal en tire une conséquence nette : la notification d’imposition d’office de 2019 reposait sur des motifs inexacts, en ce qu’elle se fondait sur des infractions antérieures qui n’avaient pas été « sanctionnées ».

Le dégrèvement de l’accroissement est donc ordonné.


4. Portée du jugement : clarification bienvenue d’une notion floue

Cette décision, remarquable par sa clarté, invite à distinguer entre l’application formelle d’un taux d’accroissement et l’existence d’une sanction effective.

L’article 229 AR/CIR 92 impose, pour la récidive, que le contribuable ait eu connaissance de « l’accroissement qui a sanctionné l’infraction antérieure ». Or, le terme « sanctionné » suppose une réalité pécuniaire : la sanction doit avoir produit un effet répressif concret. À défaut, l’objectif dissuasif du mécanisme s’évanouit, et la prise de rang ne peut être justifiée.

Le jugement s’inscrit ainsi dans une approche protectrice des droits du contribuable, en refusant que des infractions purement théoriques puissent fonder un renforcement automatique des pénalités.

Il faut relever que cette problématique ne devrait plus se présenter que de manière résiduelle, depuis l’entrée en vigueur de la limitation de la déduction des pertes prévue à l’article 206/3, § 1er CIR 92 (ancien article 207, alinéa 7), applicable à partir de l’exercice d’imposition 2018.

En effet, cette disposition interdit désormais que certaines déductions fiscales (pertes reportées, RDT, etc.) puissent permettre de neutraliser les suppléments d’impôt assortis d'accroissements égaux ou supérieurs à 10 %.


5. Une solution cohérente avec la finalité du système des accroissements

En filigrane, le tribunal redonne tout son sens à la logique du droit pénal fiscal : une sanction suppose un préjudice effectif.

Un accroissement sans conséquence économique n’est pas une sanction, et ne peut dès lors servir de base à une récidive.

La solution est également cohérente avec la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, notamment l’arrêt n° 55/2014 du 27 mars 2014, qui a reconnu la nécessité d’une individualisation des sanctions fiscales et la possibilité d’un sursis lorsque les circonstances l’imposent.

En combinant la lettre du texte et la finalité répressive du système, le tribunal aboutit à un raisonnement rigoureux, fidèle tant à la logique juridique qu’à l’équité.


6. Conclusion

L’enseignement du jugement du 24 juillet 2025 peut se résumer simplement : un accroissement d’impôt sans effet financier ne constitue pas une sanction effective et ne peut fonder une prise de rang.

Cette solution, à la fois technique et de bon sens, rappelle que le droit fiscal répressif ne peut se détacher de sa fonction première : sanctionner un comportement fautif par une conséquence réelle.

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