Bonne foi en droit fiscal: circul(aire), il n’y a rien a voir !
Temps de lecture: 10 min | 18 nov. 2025 à 06:00
Pierre-François Coppens
Conseiller Fiscal, Juriste | Président @ AFPC
On connait tous le slogan publicitaire du Canada Dry, soda au ginger ale (gingembre) : « Ça ressemble à de l'alcool, c'est doré comme de l'alcool, mais ce n’est pas de l’alcool ... ».
Il en va de même pour la notion de bonne foi en droit fiscal : on s’attend à un peu de douceur, mais c’est la fermeté qui triomphe.
Petit rappel des épisodes précédents. Lorsqu’une déclaration est tardive, incomplète ou inexacte, l’arrêté royal du code des impôts sur les revenus fixe les échelles d’accroissements de 10 à 200 % (articles 225 226 AR/CI) . L’accroissement de 10 % peut être évité lorsqu’il n’y a pas d’intention d’éluder l’impôt et si cette infraction est due à des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, c’est-à-dire en cas de force majeure (exemple donné par le fisc : une maladie grave du contribuable dit le fisc, .. mais pas la maladie du comptable). Toutefois, de manière un peu contradictoire, le législateur avait prévu (article 444, alinéa 3 du CIR) la possibilité pour un contrôleur fiscal de renoncer à l’accroissement de 10 % en cas d’absence de mauvaise foi du contribuable. Il était donc permis à l’administration de disposer d’un certain pouvoir d’appréciation, dans certains cas et à tout moment, pour ne pas appliquer cet accroissement de 10 %.
La loi programme du 18 juillet 2025 en matière d’impôts sur les revenus met en place un autre système qui semble des plus séduisants, puisqu’il introduit à présent une présomption de bonne foi pour une première infraction, sauf en cas d’application de l’article 351. En d’autres termes, le pouvoir d’appréciation du contrôleurest transformé en une obligation qui lui est imposée de renoncer à un tel accroissement de 10 % pour une première infraction. Quelques jours après l’entrée en vigueur de cette loi programme, l’administration produisait une circulaire qui commente ce volet de la loi programme (circulaire 2025/C/49). On ne pouvait que se réjouir, ou s’étonner, de l’extraordinaire rapidité avec laquelle le fisc a ainsi réagi en produisant son commentaire. Si l’administration traitait les réclamations aussi vite qu’ellen’a produit cette circulaire, nous serions aux anges !
Une lecture rapide de cette disposition fiscale et de cette circulaire pourrait laisser croire à une belle avancée législative, prise dans l’intérêt des contribuables quelque peu distraits, sans être mal intentionnés.
En réalité, on est en droit de se demander si l’administration n’a pas au contraire roulé dans la farine les contribuables de manière extrêmement subtile. De l’art d’entrouvrir une porte pour la refermer tout de suite après.De l’art de nous enfumer.
Car quand on lit avec une certaine attention cette circulaire et les exemples édifiants, on se rend compte qu’il nous faut vite déchanter, malgré une timideavancée sur un point.
Quelles sont nos critiques ?
On peut d’abord s’étonner que la loi programme ne s’applique qu’en matière d’impôts sur les revenus : il semble que la bonne foi ne puisse être reconnue en matière de TVA, de droits d’enregistrement ou de droits de succession. Etrange .
Plus fondamentalement, le texte de loi n’offre plus aucune liberté au contrôleur au-delà de la première infraction. Dès lors, que le contribuable soit de bonne foi ou non, toute erreur malheureuse commise dès la deuxième infraction oblige l’application d’une sanction. En d’autres termes, la première infraction crée un précédent sur lequel peut se baser très confortablement l’administration fiscale, sans s’interroger nullement sur les circonstances malheureuses d’une infraction commise ultérieurement. Un peu comme ces taches sur des vêtements qui ne partent pas quelle que soit la lessive utilisée (sauf bien entendu avec PERSIL !) , la première infraction offre à l’administration un historique qui lui permet de sanctionner avecgourmandise toute infraction ultérieure.
En outre, alors que la première infraction commise de bonne foi oblige en principe à renoncer à l’accroissement de 10 %, l’administration ne se prive pas de rappeler que la deuxième infraction donnera lieu sans discussion à un taux d’accroissement de 20 %. On ne compte pas les nombreux passages la circulaire ou l’administration martèle avec insistanceque l’infraction « prend rang » dans tous les cas. On aime « prendre rang »au sein de l’administration.
Dans sa grande bienveillance, l’administration fiscale considère néanmoins qu’il y a une sorte de « refesh » ou « reset » , mais seulement après quatre années : en d’autres termes, si lors des quatre derniers exercices d’imposition précédents, aucune infraction de même nature et de même gravité n’a été sanctionnée nous pouvons repartir, à l’échéance de ce délai, sur le principe d’une première infraction sans accroissement d’impôt. Certains se réjouiront de ce que l’administration offre ainsi au contribuable la possibilité de commettre plusieurs erreurs tout au long de sa carrière ; nous y voyons plutôt une pression et un stress infligés aux citoyens durant cette période de quatre ans.
L’administration indique que si plusieurs infractions sont commises lors d’un contrôle et sont de même nature, elle seront considérées comme une première infraction auxquels la présomption de bonne foi est appliquée. Bonne nouvelle ? En principe oui, mais dans la réalité des faits il ne sera pas difficile à l’administration fiscale de considérer que des infractions de même nature ont été commises les années précédant le contrôle, ce qui lui permettra de taxer à minimum 10 %, voire 20 % les redressements constatés. Exemple : l’administration fiscale requalifie en revenus professionnels des droits d’auteur pour les années 2022 et 2023. Il lui suffit de dire qu’il y avait des droits d’auteur en 2021, pour se sentir obligée (fin du libre arbitre ? ) d’appliquer un accroissement d’impôt, alors que précédemment il était encore possible de négocier un accord sans accroissement. Nous l’avons déjà déploré quelquefois dans certains dossiers récents. Le contrôleur nous dit, la larme à l’œil, qu’il aimerait tellement renoncer aux accroissements, mais hélas, il ne peut rien faire, car cela lui est interdit ! Tellement pratique …
Même en cas de première infraction, vous n’est pas certain de sortir victorieux face à l’administration, car elle rappelle que lorsqu’une imposition d’office a été notifiée, l’administration appliquera un accroissement d’impôt et la présomption de bonne foi n’existe plus. L’inversion de la charge de la preuve est alors engagée et le contribuable devra démontrer avec sincérité que non seulement il n’avait pas l’intention des impôts, mais qu’il était de bonne foi. Good luck !
Dans cette circulaire l’administration entend démontrer qu’il est possible d’être de mauvaise foi alors qu’on agit sans intention d’éluder l’impôt ? Comment est-ce possible ? Voici l’hypothèse: un contribuable a droit dans sa déclaration à un montant sa faveur mais choisit volontairement de ne pas introduire de déclaration, pour ralentir inutilement le travail de l’administration. On tombe des nues : à moins d’être frappé d’un masochisme fiscal pathologique, on peut se demander quel est le contribuable qui peut bénéficier d’une réduction d’impôt et s’amuserait à ne pas introduire de déclaration juste pour embêter l’administration ? Est-ce une illustration du surréalisme à la belge ?
La circulaire nous livre égalementdes exemples très croustillants de cas de bonne foi ou de mauvaise foi, qui laissent perplexe :
un contribuable dépose une attestation de garde, mais se trompe dans le montant : il s’agit en réalité d’une simple erreur de plume, et non d’un cas d’infraction commise de bonne foi ;
le contribuable déduit 30 % de la surface son logement alors que l’administration considère qu’il s’agit de 20 % : s’il y a bien une matière sujette à discussion et qui ne donne pas lieu à des certitudes mathématiques, c’est bien celle des superficies professionnelles dans un domicile. Qui a raison en définitive ?
L’administration fiscale constate qu’un contribuable n’a pas pu introduire la déclaration parce qu’il manquait une fiche fiscale qui n’a pas été reçue ? Non seulement le contribuable est évidemment de bonne foi (comment pouvait-il faire autrement ?) , mais n’est-ce pas plutôt l’administration qui serait de mauvaise foi en appliquant un accroissement d’impôt ?
Est en revanche de mauvaise foi le contribuable qui déduit volontairement des frais qui ne sont manifestement pas professionnels : n’est-ce pas enfoncer uneporte ouverte ?Lapalisse adorerait cette évidence.
Viennent ensuite des exemples en matière de fiscalité internationale : déduction des transferts intra-groupe, financements intra-groupe un taux supérieur à 1 % par rapport au taux d’intérêt du marché : l’administration nous plonge ici dans un univers qui ne concerne pas vraiment la majorité des contribuables.
Pour être parfaitement objectif, on saluera néanmoins ce qui constitue pour nous la seule avancée de ce nouveau régime fiscal : l’obligation de motivation de la décision accroissement, qui était déjà présente antérieurement (depuis la loi du 29 juillet 1991 !) mais qui est ici rappelée dans la circulaire de manière opportune. En effet, trop souvent, l’administration se contente d’infliger un accroissement de 10 % qui ponctue un avis de rectification, comme s’il s’agissait d’une évidence résultant de la taxation. Il étaittemps de rappeler qu’une motivation correcte et circonstanciée doit être scrupuleusement respectée.
En conclusion, on est en droit de se demander quelle est la victoire obtenue par un contribuable dans ce nouveau régime fiscal, qui ne dispose que du droit à l’erreur la première année et qui durant quatre ans ne peut plus commettre la moindre infraction, quelles que soient les circonstances malheureuses qui y ont conduit. Une première infraction qui, par ailleurs, n’est pas mise à néant, mais permet à l’administration de passer à la vitesse supérieure dès l’année suivante en terme d’accroissements.
Dans l’esprit de la Charte du contribuable que nous appelons de nos vœux, n’aurait-il pas été plus équitable et respectueux des droits des contribuables d’inviter l’administration à renoncer à tout accroissement d’impôt, indépendamment des périodes, en l’absence totale d’intention d’éluder celui-ci et lorsque le comportement du contribuable peut être qualifié de bonne foi.
Au fond, comme on dit en Belgique, on a le droit d’être de bonne foi « une fois ». Si vous commettez une erreur debonne foi une deuxième fois, vous n’êtes plus, aux yeux d’une administration désormais inflexible, qu’un citoyen de seconde zone, indigne de confiance.Sans oser rivaliser avec Raymond DEVOS, nous dirions : Autrefois, on étaitde bonne foi une fois et parfoisdeux fois, aujourd’hui on est de bonne foi une fois et de mauvaise foi deux fois ! Et il faut donc la foi pour croire en la justice fiscale et, quelquefois , la crise de foie vous guette, quand on voit avec effroi nos lois.
En conclusion, l’administration fiscale nous offre donc un cadeau empoisonné dont on se serait bien passé.
À nouveau, c’est une occasion ratée, une législation mal ficelée, alors qu’il y avait tant à espérer !
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