Annulation de la "Fairness tax": elle engage la responsabilité de l’Etat belge selon la Cour d’appel de Mons

La question de savoir si un citoyen peut, ou non, engager la responsabilité de l’Etat en réparation du préjudice subi par une disposition annulée par la Cour constitutionnelle dont les effets auront été maintenus a fait, depuis toujours, l’objet de vifs débats.

Un arrêt de la Cour d’appel de Mons a donné une première réponse à cette controverse, dans une affaire relative à la fairness tax.

Pour rappel, la loi du 30 juillet 2013 a introduit, avec effet au 1er janvier 2014, dans le Code des impôts sur les revenus un article 219ter par lequel l’on a instauré une imposition à charge de certaines sociétés, en substance celles qui distribuaient des dividendes tout en bénéficiant du régime des intérêts notionnels ou en comptabilisant des pertes fiscalement admissibles.

La Cour constitutionnelle ayant été saisie d’un recours contre cette taxe, elle avait, par un arrêt interlocutoire du 28 janvier 2015, posé à la Cour de Justice de l’Union Européenne trois questions préjudicielles afin de déterminer si la législation litigieuse respectait l’article 49 du TFUE (qui interdit les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre) au regard la directive 2011/96/CE de 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales.

Suite à la réponse de la Cour de justice du 17 mai 2017, la Cour constitutionnelle avait, par un arrêt du 1er mars 2018, annulé la fairness tax. Toutefois, elle avait décidé d’en maintenir les effets pour les exercices d’imposition 2014 à 2018, sauf quand il s’agissait de dividendes relevant du champ d‘application de la Directive.

Nonobstant la décision de maintien des effets des dispositions annulées, un contribuable a introduit une action en responsabilité à l’encontre de l’Etat belge et postulé l’allocation de dommages et intérêts compensatoires de son préjudice.

La faute invoquée en l’espèce consistait dans le fait pour l’Etat belge d’avoir adopté une loi contraire à des normes appartenant à un ordre juridique supérieur, en l’occurrence les normes de droit européen, qui prévalent sur le droit belge.

Comme à son habitude, l’Etat belge a plaidé que la preuve d’une faute dans son chef n’était pas établie car les dispositions que le contribuable considérait comme violées ne lui imposeraient aucune obligation de résultat et n’auraient donc qu’une portée générale.

Après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour de cassation qui reconnait au Juge de l’ordre judiciaire, saisi d’une action en responsabilité contre l’Etat, le pouvoir de contrôler si le pouvoir législatif a légiféré de manière adéquate ou suffisante pour permettre à l’Etat de respecter une obligation spécifique, la Cour s’est attachée à examiner si le législateur a violé une disposition qui lui imposait de s’abstenir ou d’agir d’une manière déterminée.

La Cour d’appel a relevé à ce sujet que, dans cette affaire, la Cour constitutionnelle avait constaté une violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution (principes d’égalité, de non-discrimination et d’égalité en matière fiscale) et estimé que les prédites dispositions interdisaient toute discrimination, qu’elle qu’en soit l’origine.

La Cour de Mons a donc estimé que, de ce fait, l’Etat devait, suivant les circonstances, s’abstenir, ou agir d’une manière déterminée, afin que les dispositions constitutionnelles susmentionnées puissent être respectées.

Elle a ainsi conclu que le législateur avait commis une faute en ce qu’en adoptant la fairness tax, il avait violé des dispositions qui lui imposaient une action ou une abstention.

Au niveau du lien de causalité, la Cour n’a pas retenu l’argumentation de l’Etat belge qui plaidait, en substance, que le maintien des effets par la Cour constitutionnelle avait donné aux paiements du contribuable une cause légitime et en concluait que le préjudice du contribuable devait définitivement être supporté par lui-même.

Invoquant le caractère erga omnes de l’arrêt d’annulation, la Cour d’appel a considéré que l’on ne peut déduire du pouvoir de la Cour constitutionnelle de maintenir les effets d’une disposition annulée que le préjudice du contribuable devrait définitivement rester à sa charge.

Ainsi, en l’absence de disposition légale permettant de conclure que le préjudice vanté par le contribuable devrait rester définitivement à sa charge, ou de cause d’exonération de la responsabilité de l’Etat, la Cour d’appel de Mons a donc décidé que le maintien des effets de la loi annulée ne faisait pas disparaître la faute dans le chef de l’Etat belge et a admis que le préjudice du contribuable trouvait sa cause dans la législation adoptée fautivement par le législateur.

Elle a donc condamné l’Etat belge au paiement de dommages et intérêts d’un montant égal à la taxe perçue.

Cet arrêt doit incontestablement être approuvé, non seulement parce qu’il rappelle que l’Etat-législateur peut être tenu responsable des fautes mais aussi parce qu’il confirme une réalité juridique souvent ignorée, à savoir que le pouvoir de la Cour constitutionnelle de maintenir les effets d’une disposition annulée est totalement étranger à la question de la responsabilité du législateur ; ce qui, finalement, est normal puisque la mission de la Cour constitutionnelle (contrôle de constitutionnalité et sauvegarde des droits fondamentaux) est étrangère à celle du pouvoir judiciaire, qui juge des contestations relatives aux droits civils.

La Cour d’appel de Mons confirme donc en substance qu’une décision de maintien des effets d’une disposition annulée ne peut pas servir de cause d’exonération de la responsabilité de l’entité qui l’a adoptée, pas plus qu’elle ne donne aux paiements qui auront été faits entre-temps une cause légitime.

Raisonner autrement reviendrait à donner à la disposition annulée des effets bien plus étendus que ceux que la Cour constitutionnelle aura décidé de maintenir. En effet, le maintien des effets est prononcé pour des raisons ayant trait à des préoccupations diverses touchant de près ou de loin à l’intérêt général au sens large et aux finances de l’Etat mais jamais dans le but de préserver les intérêts du législateur lui-même et encore moins de l’exonérer de sa responsabilité du fait de l’adoption d’une norme contraire à la Constitution : dans ce contexte, les effets de la norme sont maintenus mais la norme elle-même n’est pas pour autant validée, de sorte qu’une éventuelle faute de l’Etat belge n’est pas couverte.

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