La mise à disposition gratuite d’un immeuble par un employeur constitue un ATN imposable qui doit faire l’objet d’une évaluation forfaitaire.
L’ancien article 18, §3, 2° de l’arrêté royal portant exécution du Code des impôts sur les revenus de 1992 prévoyait que cet avantage était évalué en multipliant le revenu cadastral du bien par 100/90 ou 100/60 selon qu’il s’agissait d’un immeuble bâti ou non. Cet article prévoyait aussi, lorsque l’immeuble était mis à disposition par un employeur personne morale, que ce résultat devait en outre être multiplié par un coefficient variant entre 1,25 et 3,80 en fonction du montant du revenu cadastral du bien mis à disposition.
La Cour d’appel de Gand (24/05/2016 et 20/02/2018) et la Cour d’appel d’Anvers (24/01/2017) ont constaté que cet article instaurait une différence de traitement injustifiée puisque l’ATN n’était pas majoré lorsque le bien était mis à disposition par un employeur personne physique. En présence d’une discrimination, ces deux cours ont conclu à l’inconstitutionnalité de l’ancien article 18, §3, 2° de l’AR/C.I.R./1992.
L’administration fiscale s’est ralliée à cette jurisprudence et a adopté la circulaire n° 2018/C/57. Le Roi s’est également conformé à cette jurisprudence en modifiant l’article 18, §3, 2° de l’AR/C.I.R./1992 qui n’établit désormais plus cette différence de traitement.
Dans sa circulaire, l’administration affirme qu’elle n’effectuera plus de différence à l’avenir et invite les contribuables qui ont subi cette discrimination d’introduire une réclamation lorsqu’ils sont encore dans les délais.
L’administration signale toutefois qu’il n’est pas possible d’introduire une demande de dégrèvement d’office afin d’obtenir le dégrèvement des cotisations antérieures qui ne peuvent plus faire l’objet d’une réclamation. L’administration rappelle en effet qu’une demande de dégrèvement suppose un fait nouveau et qu’un changement de jurisprudence, hormis un arrêt de la Cour constitutionnelle prononçant l’inconstitutionnalité d’une disposition légale, ne constitue pas un fait nouveau.
La position administrative refusant l’introduction d’une demande de dégrèvement ne crée-t-elle pas une nouvelle discrimination ? Suivre cette position reviendrait à considérer qu’une disposition légale jugée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle donne le droit d’introduire une demande de dégrèvement alors qu’une disposition d’un arrêté royal jugée inconstitutionnelle par les juridictions de fond ne peut par contre pas faire l’objet d’une demande de dégrèvement.
La Cour d’appel de Gand (22/10/2019), le Tribunal de première instance de Bruxelles (30/09/2019) et la Cour d’appel d’Anvers (24/09/2019 et 07/10/2019) ont interrogé la Cour constitutionnelle sur cette potentielle discrimination.
En effet, il est enseigné qu’un changement de jurisprudence judiciaire ou administrative n’est pas constitutif d’un « fait nouveau » susceptible d’entraîner un dégrèvement d’office d’une surtaxe sur base de l’article 376 du C.I.R/1992. A l’inverse, il est admis qu’un arrêt de la Cour constitutionnelle, qui déclare une disposition légale inconstitutionnelle en statuant sur une question préjudicielle, n’est pas un changement de jurisprudence et est donc considéré comme un fait nouveau permettant l’introduction d’une demande de dégrèvement.
Cette situation a été mise en lumière par plusieurs juridictions ordinaires qui ont considéré qu’il y avait là une possible différence de traitement en fonction du juge qui a constaté l’inconstitutionnalité de la disposition en cause puisque les conséquences d’un constat d’inconstitutionnalité ne sont pas les mêmes selon que ce constat ait été réalisé par un juge ordinaire ou par un juge constitutionnel.
Une question préjudicielle a alors été posée à la Cour constitutionnelle. Selon la Cour constitutionnelle (26/11/2020), il n’est pas discriminatoire qu’un arrêt par lequel elle reconnaît l’inconstitutionnalité d’une disposition légale en statuant sur une question préjudicielle puisse être considéré comme un « fait nouveau » alors que ce n’est pas le cas lorsqu’une juridiction ordinaire constate qu’une disposition réglementaire est inconstitutionnelle.
La Cour constitutionnelle considère que la différence de traitement entre les décisions d’inconstitutionnalité des juridictions ordinaires et celles de la Cour constitutionnelle est justifiée par le fait que les arrêts de la Cour constitutionnelle ont des effets différents des jugements des juridictions ordinaires. En effet, les arrêts de la Cour constitutionnelle ont une portée générale, qui dépasse le simple litige entre les parties à la cause, alors que les jugements ordinaires n’ont qu’une autorité relative de chose jugée, qui s’applique uniquement aux parties à la cause.
La Cour constitutionnelle ajoute qu’en l’espèce, le fait que l’administration fiscale et le Roi aient par la suite reconnus également l’inconstitutionnalité de l’ancien article 18, §3, 2° de l’AR/C.I.R./1992 ne change rien à ce constat.
Le constat d’inconstitutionnalité de l’ancien article 18, §3, 2° de l’AR/C.I.R./1992 réalisé par les juridictions ordinaires et par l’administration fiscale constitue donc bien un changement de jurisprudence qui n’est pas constitutif d’un fait nouveau susceptible d’entraîner un dégrèvement d’office. Fin du débat.