Avocats, droits d’auteur et fiscalité – Actualisation de la jurisprudence et source d’inspiration

Encore une fois, le régime fiscal favorable des droits d’auteur aura à nouveau fait parler de lui, en cette instance, à travers un arrêt de la Cour de cassation du 24 mars 2023 (F.21.0052.N) relatif aux conclusions des avocats.

Dans son arrêt portant sur l’interprétation de l’ancien article 17, §1er, 5° du CIR 92 (aujourd’hui remplacé par un nouvel article ensuite de la réforme du 26 décembre 2022), la Cour considère qu’un avocat peut bénéficier du régime fiscal favorable des droits d’auteur à l’instar des auteurs d’œuvres littéraires et artistiques « ordinaires ».

En effet, après être revenue sur les principes de base du régime fiscal favorable des droits d’auteur (qualification en revenus mobiliers des revenus issus de la cession ou de la concession de droits d’auteur au sens du Livre XI du Code de droit économique jusqu’à un plafond de 37.500,00 € à indexer), la Cour se penche sur l’étendue de la notion civile de droit d’auteur, pleinement applicable au régime fiscal favorable.

La Cour rappelle, à cet égard, que tant la loi belge (loi sur le droit d’auteur du 30 juin 1994 et le Code de droit économique qui lui succédera) que les textes internationaux pertinents (en l’espèce, l’article 2.1 de la Convention de Berne) incluent dans la notion d’œuvre littéraire et artistique les « leçons, conférences, discours, sermons ou autres expressions orales de la pensée » (arrêt, point 10).

La Cour revient ensuite sur les conditions d’existence du droit d’auteur, à savoir, une œuvre originale, en ce qu'elle est la propre création intellectuelle de son auteur, reflétant sa personnalité et s'exprimant à travers les choix libres et créatifs de l'auteur dans la création de cette œuvre.

Une telle originalité, rappelle la Cour, requiert que l’auteur a pu opérer des choix libres et créatifs de ses mots, leur agencement ainsi que leur combinaison, exprimant ainsi son esprit créatif de manière originale et en parvenant à un résultat qui constitue une création intellectuelle.

Appliquant ces critères au cas des écrits d’avocats, la Cour estime que les contraintes inhérentes à la rédaction des conclusions telles que :

(i) le cadre professionnel et l’expertise de l’avocat ;

(ii) d’éventuelles limitations techniques, et ;

(iii) des règles ou d’autres restrictions (on songera notamment à la structure des conclusions visées à l’article 744 du Code judiciaire ou encore la déontologie professionnelle) ;

Ne font pas obstacle à ce que leur auteur fasse des choix libres et créatifs propres à sa personnalité.

En effet, l’avocat demeure libre de l’expression de ses idées, de l’ordonnancement de ses arguments, de leur formulation, du choix du vocabulaire qu’il retient dans ses écrits, et ce, conformément à l’article 444 du Code judiciaire, expressément cité par la Cour.

La Cour considère donc, en substance, que la Cour d’appel qui estime que les contraintes techniques pesant sur l’avocat l’empêchent de créer des œuvres protégées par le droit d’auteur dans l’exercice normal de sa profession, ne justifie pas sa décision en droit (arrêt, point 14).

Cet arrêt, bienvenu sur le plan des principes généraux du droit d’auteur et de l’identification des œuvres qui peuvent prétendre à sa protection, ne surprendra qu’à moitié les intéressés.

En effet, la Cour de cassation avait déjà, dans son arrêt du 20 juin 2020, consacré a contrario que les écrits d’avocats étaient susceptibles d’être protégés par le droit d’auteur.

La preuve de leur originalité repose toutefois sur leur auteur, ce qui avait abouti à la consécration du principe dans… un arrêt de rejet, rendu pour raison probatoire.

L’administration fiscale s’en était prévalue dans une circulaire du 25 février 2022 en se référant à l’arrêt de la Cour d’appel de Gand confirmé qui rejetait l’éligibilité des écrits des avocats tout en se référant à la décision de rejet de la Cour de cassation… sans toutefois rappeler la motivation de l’arrêt.

La thèse de l’administration se retrouve donc invalidée par ce nouvel arrêt qui clarifie la situation pour ce qui concerne les conclusions des avocats.

Des débats seront probablement à attendre, mais l’on peine à voir pour quelle raison d’autres actes d’avocats comme des consultations et autres avis juridiques ne pourraient pas être également éligibles à la protection par le droit d’auteur. Les paramètres de leur rédaction sont proches, sinon identiques, de ceux gouvernant celle des actes de procédure. À titre surabondant, l’avocat rendant un avis juridique n’est pas limité dans sa créativité par des obligations de structure imposées par la loi, tel l’article 744 du Code judiciaire.

La situation, clarifiée pour le passé, reste ouverte pour l’avenir et son application au nouveau texte entré en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2023 (qui comprend également une période transitoire pour les auteurs amenés à ne plus bénéficier du régime).

À cet égard, force est de constater que le nouveau régime vise toujours explicitement les œuvres visées au Livre XI, titre 5, du Code de droit économique, dont les œuvres littéraires font toujours partie, jusqu’à preuve du contraire.

L’on pourrait donc postuler l’applicabilité du régime aux écrits d’avocats, sous réserve du respect du bréviaire de conditions d’application du nouveau texte.

Le lecteur attentif se rappellera qu’outre une condition d’exploitation effective (notamment), les œuvres cédées (par l’avocat) à des tiers doivent l’être « aux fins de communication au public, d’exécution ou de représentation publique ou de reproduction ».

Si l’effectivité d’une communication au public pourrait faire l’objet de débats, le respect de la condition alternative de reproduction ne devrait guère présenter de difficultés, s’agissant d’écrits de procédure.

Plus fondamentalement, cette récente décision confirme une jurisprudence de plus en plus fermement établie relativement à des créations soumises à des contraintes techniques : ces dernières ne font pas obstacle à l’originalité.

Sur le plan fiscal, l’arrêt du 24 mars 2023 abonde dans le sens contraire de ce qui est ordinairement soutenu par l’administration fiscale qui argue, notamment vis-à-vis d’acteurs du secteur informatique, que les contraintes techniques auxquelles ils sont soumis leur ôteraient toute marge de manœuvre.

Ce raisonnement, pourtant clairement écarté par la jurisprudence européenne en matière informatique ainsi que par la jurisprudence nationale vis-à-vis des architectes, se retrouve donc également invalidé par la Cour s’agissant d’écrits procéduraux.

Gageons donc que le nouvel arrêt permettra aux avocats, conseils fiscaux et experts-comptables de consolider leur argumentation vis-à-vis de contrôleurs parfois trop zélés.

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