Il y a, bien sûr, la gare du Midi.
Les migrants en désespoir d’avenir, les drogués en désespoir de vie, les perdus en désespoir d’un chemin introuvable.
Ça sent mauvais, ça pue l’urine, mais surtout la mauvaise conscience.
Alors, on appelle la police, on nettoie, on emprisonne, on expulse.
Une ministre ravissante prend la pose dans les journaux du week-end.
Trois photos, deux banalités, une opération ‘coup de poing’, et puis on passe à autre chose.
Circulez, bonnes gens…
Il n’y a (plus) rien à voir.
Après tout, en juillet 1938, lors de la conférence d’Evian destinée à venir en aide aux réfugiés juifs allemands et autrichiens fuyant le nazisme, peu après l'Anschluss, la Belgique dit qu’elle ne disposait pas… d’espace (je devrais écrire d’espoir) disponible.
Mais si, il y a TOUT à voir.
Il y a tout à voir car on ne peut pas distraitement s’émouvoir des milliers de personnes qui fuient leur misère et meurent noyés dans la méditerranée, et se limiter à demander à vider une gare d’êtres humains perdus. Après les migrants battus, refoulés et tués ? Les femmes et filles violées?
En vérité, nous ne voyons plus.
Ce qui, il y a trente ans, était motif de révolte s’est transformé en réalité banale : la plus grande pauvreté, avec ses rixes de clochards, frôle, avec résignation, la richesse promise par Euro millions. Signe des temps, la prostitution, autrefois confinée aux lieux de passage, s’est déplacée aux pieds du downtown d’acier et de béton.
La tristesse s’étend comme une lente inondation. Les races, les couleurs et les cultures coulent avec indifférence. Comme à New York, la ville où les yeux devraient rester grands ouverts puisqu’on n’y dort jamais, il ne faut plus de eye contact. Des mondes incompris s’effleurent avec des yeux morts. Dans le monde d’en bas, les rames de métro aspirent les derniers souffles de vie.
Dans nos villes, tout se lave et devient interchangeable.
Seules les devantures recréent, au niveau des yeux, le paradis du commerce pendant quelques mètres. La ville n’est elle-même plus qu’une fuite en ordre dispersé.
Alors, vu d’une Tesla, d’un magasin bio, d’un traiteur, d’une entrée de cinéma du haut de la ville ou d’un restaurant branché où la note par personne agrémentée d’un bon pourboire qu’on ne donnerait pas à un SDF, payée par une carte de crédit de société, s’élève à 70 euros, tout cela paraît lointain.
Mais quelque chose ne fonctionne PLUS DU TOUT dans nos communautés.
C’est notre manque d’humanité et de solidarité.