Selon Le Monde, une société luxembourgeoise de l'empire de Patrick Drahi aurait transféré à la fin de l'année 2021 une collection d'oeuvres d'art, estimée à au moins 750 millions d’euros, vers deux sociétés établies dans un paradis fiscal.
Selon le quotidien, l'objectif consistait à anticiper l'entrée en vigueur, à partir du 1er janvier 2022, de certaines dispositions de la directive #ATAD 2 (directive luttant contre l'utilisation de dispositifs hybrides). Les oeuvres d'art étaient financées par des instruments financiers hybrides, les fameux "CPEC" (Convertible Preferred Equity Certificates) bien connus des fiscalistes luxembourgeois. En opérant le transfert avant le 1er janvier 2022, la société luxembourgeoise aurait été en mesure de réduire significativement le montant de la plus-value imposable dégagée lors de la cession des oeuvres d'art, à la faveur de la déduction des primes de rachat des CPEC.
Même si la "combine fiscale" vaut le détour, cet article me laisse un goût amer:
- anticiper l'entrée en vigueur d'un dispositif anti-abus n'est, en soi, pas illégal;
- les journalistes tirent leurs informations de données (courriels, notes internes,...) dérobées lors d'un piratage d'Altice (holding de Drahi);
- le quotidien a choisi de révéler non seulement le nom du cabinet de conseil luxembourgeois, mais aussi celui du fiscaliste en charge du dossier;
- des extraits des courriels (parfois cinglants) échangés entre le fiscaliste luxembourgeois et son homologue suisse sont publiés in extenso (notamment un passage où il est fait reproche au fiscaliste luxembourgeois de ne pas s'être aperçu qu’une partie de la plus-value ne serait finalement pas compensable);
- les journalistes suggèrent enfin un possible antidatage (fraude passible de lourdes sanctions) suite à l'établissement d'une nouvelle version du contrat de vente, affichant un prix de vente raboté.
Le Monde a choisi d’exploiter toutes ces données malgré leur origine criminelle en raison de leur intérêt public.
La presse joue un rôle éminent dans une société démocratique. Il faut lui permettre de jouer son rôle indispensable de « chien de garde », et de communiquer des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général. La mission d’information comporte néanmoins nécessairement des devoirs et des responsabilités ainsi que des limites que les organes de presse doivent s’imposer spontanément. Ces limites tiennent notamment à la protection de la réputation d’autrui (élément du droit au respect à la vie privée), qui joue particulièrement lorsque le récit médiatique tend à imputer des faits d’une particulière gravité à des personnes nommément citées...