Dégrèvement de l' atn logement et fait nouveau : L'administration se trompe

L'administration cultive parfois avec obstination l'art de défendre l'indéfendable.


Notamment dans le domaine sensible des avantages de toute nature logement (article 18 de l'AR/CIR92).


Comme chacun sait, les cours d'appel de Gand et d'Anvers avaient jugé en 2016, 2017 et 2018 que l'avantage de toute nature résultant de la mise à disposition gratuite d'immeubles par une personne morale était discriminatoire car il était évalué à un montant supérieur à celui qui aurait été calculé si cette mise à disposition avait été faite par une personne physique.


L'AR du 7 décembre 2018, dans le prolongement de cette jurisprudence devant laquelle s'est inclinée l’administration, avait porté à 2 le coefficient de référence dans la formule du calcul de cet avantage, et ce à partir du 1er janvier 2019.


Mais quid pour le passé ?


Peut on obtenir le dégrèvement pour les années antérieures à 2018 et dès lors revendiquer le coefficient de 1, comme il fut appliqué en 2018 suite à la prise en compte de cette jurisprudence qui avaient considéré discriminatoire ce coefficient de 3,8 car trop élevé par comparaison aux mises à disposition de logement faites par des personnes physiques.?


Que nenni selon le fisc.


En réponse à toute demande de dégrèvement d'office, les agents chargés d'instruire les réclamations invoquent, en substance , qu’un nouveau moyen de droit ou changement de jurisprudence ne constitue pas un élément nouveau, ce qui résulte effectivement de l’article 376 du CIR1992 .


Mais en limitant la notion de fait nouveau aux seules prises de position rendues par une Cour Constitutionnelle (outre les autres cas prévus par l’article 376 du CIR1992) , elle donne, selon nous, de manière injustifiée une portée restrictive à cette notion, non voulue par le législateur et non-conforme au droit constitutionnel.


Cette position résulte d’une analyse plus que contestable exprimée dans une circulaire du 15 mai 2018 qui n’ a évidemment pas force de loi .


Il n’y a, comme l’indique la circulaire administrative Ci.RH.862/536.019 dd.04.05.2001, qu’un arrêt de la Cour constitutionnelle qui répond à une question préjudicielle qui puisse être considéré comme un fait nouveau au sens de l’article 376, § 1 CIR92.


On notera qu'un tel arrêt devrait d’ailleurs être prononcé d'ici fin décembre 2020 selon nos sources. Une première question préjudicielle de la Cour d'Anvers (relative à l’article 376 § 1er et/ou §2 du Code des impôts sur les revenus 1992) a été reçue par la Cour constitutionnelle le 1er octobre 2019 et 5 questions préjudicielles subséquentes ont été jointes à cette première question préjudicielle.


Mais l'administration a-t-elle raison de conditionner ce dégrèvement à ce seul arrêt de la Cour constitutionnelle ?


En réalité, les arrêts des Cours d'appel de Gand des 24 mai 2016 et 20 février 2018 et d’Anvers du 24 janvier 2017 se sont déjà prononcés sur la validité de l’article 18 de Arrêté Royal du CIR1992 et il en découle que l'examen du principe constitutionnel d'égalité n'est pas de la compétence de la Cour constitutionnelle mais est laissé à l'appréciation des cours et tribunaux eux-mêmes sur la base de l'article 159 de la Constitution.


L’article 159 de la Constitution énonce que « les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois ».


Cet article donne aux juridictions contentieuses le pouvoir et l’obligation d’écarter des litiges qui leurs sont soumis les actes administratifs irréguliers.


L’article 159 de la Constitution est essentiellement, comme le souligne le Conseil d’Etat (C.E., Harlez, n° 215.678 du 10 octobre 2011), destiné à permettre aux administrés de lutter contre l’arbitraire administratif : Considérant (…) que l'article 159 de la Constitution dispose que les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois; que cette disposition ne précise pas la durée d'application de la prescription qu'elle édicte.


Nous sommes bien en l’occurrence en présence d’un arrêté royal (AR/CIR 1992, article 18 qui fixe le montant des avantages de toute nature logement) et non en présence d’une loi. Il s’ensuit que les cours et tribunaux sont parfaitement habilités à refuser la validité ou l’inconstitutionnalité de cet acte réglementaire.


Le site de la Cour constitutionnelle expose ces règles (reprises d’ailleurs à l’article 142 de la Cour Constitutionnelle) :

La Cour constitutionnelle est habilitée à contrôler les normes ayant force de loi. Par normes ayant force de loi on entend les dispositions aussi bien matérielles que formelles adoptées par le parlement fédéral (lois) et par les parlements des communautés et des régions (décrets et ordonnances). Toutes les autres normes, telles que les arrêtés royaux, arrêtés des gouvernements des communautés et des régions, arrêtés ministériels, règlements et arrêtés des provinces et des communes, ainsi que les décisions judiciaires, ne relèvent pas de la compétence de la Cour.


Difficile d’être plus explicite. Puisque seuls les cours et tribunaux sont habilités à se prononcer sur le volet constitutionnel d’un arrêté royal, toute décision rendue par ces instances ne peut que qualifier de faits nouveaux ouvrant le délai des demandes de dégrèvement d’office au sens de l’article 376 du CIR 1992.


C’est d’ailleurs en ce sens, et appliquant ces principes, que le tribunal de première instance de Flandre orientale, division Gand, avait décidé dans un jugement récent du 31 janvier 2019 (Rôle : 17/3178/A) que l'arrêt du 24 mai 2016 de la Cour d'appel de Gand (en ce qui concerne l'aspect de l’inconstitutionnalité) pouvait être considéré comme un "fait nouveau" qui ne pouvait pas être invoqué dans le délai normal de réclamation devant l'administration fiscale.


Il est vraiment regrettable que l’administration s’acharne à mener une croisade dont elle sait qu’elle sera perdue, et ce pour des motifs, avouons-le d’ordre essentiellement budgétaire.


Il n'y a donc aucune raison de ne pas revendiquer une demande dégrèvement d’office sur la base de ces principes.

Les membres de l'ASBL ADFPC trouveront sur notre site un modèle de demande-type de dégrèvement d'office de l'ATN logement que nous avons rédigée et qui intègre ces principes : https://adfpc.be/nos-publications/ (onglet " nos articles", section impôt des personnes physiques)


Source : Linkedin

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