Dénoncer, comme Delhaize, une convention collective d’entreprise, est-ce légal? Oui, mais avec quelles conséquences ?
Le 16 février 2023, Delhaize annonçait dénoncer la convention collective de travail d’entreprise (CCT) en vigueur réglant l’organisation des magasins et notamment les fonctions, les tâches et les horaires du personnel ainsi que des magasins. Et cela en vue de conclure un nouvel accord. Las, le 7 mars 2023, Delhaize annonçait au personnel céder l’ensemble de ses 128 supermarchés à des franchisés.
Le lien est évident et permet de revenir sur l’importance des CCT en droit belge et sur leurs modalités de rupture à une époque où la recherche de flexibilité devient clé.
Une CCT peut être conclue au niveau de l’entreprise entre l’employeur et une ou plusieurs organisations représentatives de travailleurs, c’est-à-dire la CSC, la CGSLB ou la FGTB (une seule suffit), au niveau sectoriel c’est-à-dire d’une commission paritaire ou au niveau national au sein du Conseil National du Travail.
Une CCT est à la fois un contrat, mais aussi une forme de "mini" loi en ce qu’elle peut prévoir des dispositions dites « normatives », à savoir des dispositions prévoyant une règle destinée à s’appliquer à un ensemble de personnes, y compris à des travailleurs non affiliés à l’organisation syndicale signataire.
Si la CCT est conclue pour une durée déterminée avec faculté de résiliation – ce qui n’est pas une obligation - ou pour une durée indéterminée, elle doit prévoir le délai et les modalités de dénonciation applicables (par exemple, par courrier recommandé avec effet dans les trois jours de l’envoi).
On peut évidemment remplacer une CCT ou la modifier via une autre CCT, mais cela implique une négociation avec les syndicats. Or parfois, l’employeur voudra simplement faire table rase des accords passés, soit pour les renégocier plus librement, soit pour qu’un repreneur potentiel ne soit pas lié par les CCT existantes.
C’est clairement le cas de Delhaize. En effet, en cas de "transfert d’entreprise", c’est-à-dire de cession du fonds de commerce, du stock et en général du personnel, le repreneur est tenu par toutes les CCT d’entreprise qui existent au moment du transfert. Cependant, il n’est tenu par ces CCT que jusqu’à leur terme. Si, comme pour Delhaize, une CCT d’entreprise à durée indéterminée a été dénoncée avant la cession, à l’expiration du préavis convenu dans la CCT (généralement 3 ou 6 mois), la CCT disparaît et le repreneur est alors libre.
Attention toutefois, à moins qu’il n’y ait été dérogé dans la CCT, par défaut les conditions fixées dans la CCT sont incorporées automatiquement dans les contrats de travail à l’expiration de celle-ci.
Donc, en supposant que la CCT Delhaize comporte une telle dérogation qui est assez classique, les franchisés qui reprendront les magasins Delhaize pourront fixer librement l’organisation des magasins et notamment les fonctions, les tâches et les horaires du personnel ainsi que des magasins… Sous réserve évidemment des conditions de franchise.
Comme je l’avais commenté, l’objectif de Delhaize était donc de faire place nette pour assurer une plus grande flexibilité et mettre en place les conditions d’une cession en franchise.
On se rappellera dans le cas d’AXA Banque le poids énorme des CCT d’entreprise sur le fonctionnement d’une société et les difficultés en découlant en cas de reprise.
Certes, Delhaize doit informer et consulter les travailleurs sur la cession au titre de l’information "occasionnelle" et du transfert, mais en réalité, il s’agit bien de sortir tout le personnel des magasins du payroll de Delhaize sans licenciement collectif ni fermeture en laissant aux franchisés le sort des travailleurs dont cependant les conditions de travail individuelles (salaire, fonction, ancienneté) sont maintenues.
On comprend que la mesure, bien que parfaitement légale et sans doute justifiée par la recherche de flexibilité et les bons résultats des franchises, fasse réagir.
Source : Del-Law, news, février 2023 - article publié dans Trends