La dette publique a-t-elle atteint des niveaux dangereux ? Ou peut-elle encore augmenter pour combler le gouffre économique laissé par la pandémie de COVID-19 ?
Comme souvent, les économistes sont divisés sur la réponse qu’il faut donner à ces questions de politique économique essentielles. Si certains soulignent que les niveaux actuels indiquent un risque accru de crises de la dette souveraine, d’autres trouvent rassurants les niveaux historiquement bas des taux d’intérêt, suggérant que les gouvernements pourraient en fait supporter des endettements beaucoup plus élevés que dans le passé.
Pour aider à clarifier le débat, l’article exploite les outils conventionnels qu’utilisent des institutions telles que le FMI ou la Commission européenne dans le cadre des analyses de la soutenabilité de la dette pour estimer les niveaux d’endettement au-delà desquels il serait dangereux de s’aventurer.
Ici, la sécurité est définie comme la capacité du gouvernement de garder le contrôle du ratio dette/PIB même dans des conditions économiques et financières qui pourraient devenir et rester défavorables. Une obligation d’État étant une créance sur des recettes fiscales futures, ce ratio est la mesure habituelle permettant d’évaluer la dette publique d’un pays. Il est en effet logique d’empêcher la dette de croître systématiquement plus vite que l’assiette fiscale potentielle (c.-à-d. d’empêcher ce ratio d’être en constante augmentation).
Les méthodes décrites dans l’article tournent autour de l’interaction entre les trois déterminants du taux d’endettement:
En temps normal, le taux d’intérêt tend à dépasser la croissance du PIB. Ainsi, pour maîtriser le taux d’endettement, les gouvernements doivent couvrir au moins une partie des charges d’intérêts par des recettes fiscales. En d’autres termes, les dépenses publiques totales hors paiements d’intérêts doivent être inférieures aux recettes totales, une situation que les économistes qualifient d’« excédent budgétaire primaire ». Pour que le taux d’endettement reste constant d’une année à l’autre, cet excédent doit compenser l’incidence sur la dette d’un différentiel positif entre le taux d’intérêt et le taux de croissance. Plus le différentiel est important, plus l’excédent requis pour stabiliser la dette est élevé.
L’article décrit différentes méthodes permettant d’estimer le niveau d’endettement qu’il serait dangereux de dépasser.
À cet égard, on distingue la limite de la dette du plafond d’endettement sûr.
Lorsqu’une limite de dette plausible peut être estimée, le plafond d’endettement sûr est calculé en déduisant de cette limite une marge de sécurité. Celle-ci reflète les perturbations normales qui touchent la croissance, les taux d’intérêt et le budget du gouvernement, de même que des événements extrêmes (autrement dit, qui présentent une faible probabilité mais dont la survenance aurait une incidence substantielle). S’il n’est pas possible de déterminer la limite de la dette, le plafond d’endettement sûr correspond au risque que des circonstances néfastes contraignent le gouvernement à dépasser l’excédent primaire maximum réalisable pour stabiliser le ratio d’endettement. Toutes les méthodes abordées dans l’article tiennent compte de la manière dont les différents pays ont été exposés dans le passé aux chocs affectant les déterminants de la dynamique de la dette.
L’article fournit une série d’estimations illustratives de plafonds d’endettement sûrs dans un échantillon d’économies avancées. Ces estimations, comprises entre 70 et 160 % du PIB, varient considérablement selon les pays et les méthodologies employées. De manière générale, la Belgique est proche de la médiane de l’échantillon. La méthodologie la plus complète et la plus cohérente permet par exemple d’obtenir un plafond d’endettement sûr de 120 % du PIB.
Cela dit, on ne pourrait trop insister sur le fait que de tels chiffres masquent toujours des incertitudes significatives concernant la validité des modèles statistiques sous-jacents et des calibrages, qui partent du postulat que le passé constitue un bon indicateur pour l’avenir. À l’heure actuelle, cette hypothèse implicite est encore plus sujette à caution qu’à l’accoutumée. Eu égard à leurs propriétés à long terme, notamment en ce qui concerne le différentiel taux d’intérêt/taux de croissance, il convient de soumettre les modèles à un examen critique minutieux avant de les utiliser.
Les cinq dernières années de données réelles ont délibérément été exclues de l’ensemble des estimations présentées dans l’article afin de réduire l’incidence des taux d’intérêt anormalement bas sur les propriétés à long terme des modèles.
Néanmoins, si des différentiels taux d’intérêt/taux de croissance nettement plus faibles, voire négatifs, devaient effectivement devenir la nouvelle norme, les plafonds d’endettement sûrs obtenus avec ces outils seraient plus élevés et atteindraient peut-être même des niveaux invraisemblables. Cela confirme qu’un jugement éclairé demeure une composante encore plus essentielle de tout diagnostic équilibré lorsqu’on avance en territoire inconnu.
Source : BNB