Cette dernière semaine a vu un homme faire varier de dizaines de milliers de milliards de dollars les valorisations boursières, sur la seule base de sa signature. Mais qu’est-ce qu’une valeur boursière ? C’est la valeur du futur, négociée entre acheteurs et vendeurs. La Bourse est elle-même une porte ouverte, mais jamais franchie, vers un avenir dont on s’essaie, dans une vanité effrontée, à estimer le prix.
Si les bâtiments des bourses de valeurs ressemblent à des temples, ce n’est pas un hasard : dans les premiers, on négocie son futur financier et dans les seconds, on espère une récompense post-mortem. La monnaie et la divinité sont d’ailleurs les plus extraordinaires mystifications, encore qu’on peut manipuler la monnaie, tandis que c’est plus difficile, sans miracles, avec Dieu.
Au reste, le marché est, selon Adam Smith, animé par une main invisible, une métaphore qui évoque le divin.
Ainsi, Trump modifie la valeur du futur par sa signature. Sans cynisme, il doit certainement être perçu par certains comme étant d’essence divine, puisque seul le Créateur est censé avoir des droits sur l’avenir.
Mais cela va plus loin, car celui qui écrivit "Dieu est mort", à savoir Friedrich Nietzsche, avait esquissé le concept du héros – ou Übermensch, souvent traduit par "surhumain" ou "surhomme" – qui transcende les limites de la morale traditionnelle et des conventions sociales. Ce héros dépasse l’humanité telle qu’elle existe, marquée par la "morale des esclaves", affirmant sa puissance et sa créativité, s’engageant dans un processus d’auto-transformation en affrontant simultanément sa plus grande souffrance et son plus grand espoir.
Au reste, Trump dit aux Américains, dont à une partie de ses électeurs qui se trouve dans la détresse économique la plus profonde, d’accepter la souffrance conjoncturelle au profit d’un avenir meilleur, un peu comme les prêtres de mon enfance qui nous admonestaient de prendre sur nous dans l’abnégation et l’ascèse de leurs tristes enseignements. Il fallait, comme on disait, mériter son paradis.
Et tout cela fait penser à Peter Thiel, cofondateur de PayPal et théoricien de théories eugénistes adoptées par les titans de la tech, tous présents à la prestation de serment de Trump. Peter Thiel, avec ses idées extrêmes sur le transhumanisme et la supériorité d’une élite technologique dominant le monde, rejette les structures démocratiques, qu’il juge médiocres, en écho direct à la critique de Nietzsche contre l’égalitarisme et la "morale des esclaves".
Certes, Thiel ancre sa vision dans un capitalisme technologique, risquant de réduire l’idéal nietzschéen à une domination matérielle.
Mais il flotte sur Washington une essence de toute-puissance.
Animée par une bande de dingues.
Et si Trump est, pour certains, d’essence divine, c’est un super-héros malfaisant, version Lucifer.