La Commission européenne a adopté ce 10 mai 2022, le nouveau règlement d’exemption sur les accords verticaux, ainsi que de nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales.
Le sujet est critique pour le commerce électronique : places de marchés, secteur du luxe, distribution de produits technologiques, contrôle du prix de vente final, ventes directes par le fabricant, distribution duale (physique et en ligne), … beaucoup de choses vont évoluer.
`Le règlement d’exemption révisé et les lignes directrices entreront en vigueur le 1er juin 2022.
Jadis, le fabricant d’un produit le manufacturait, puis le remettait à un grossiste qui approvisionnait les points de vente physiques, lesquels vendaient à leur tour à l’utilisateur final. Dans cette chaine, les rôles étaient bien définis et peu conflictuels : un grossiste n’imaginait pas vendre au consommateur final, tandis que le fabricant pensait rarement à concurrencer son propre réseau physique. Il y avait bien des exceptions liées aux spécificités du secteur ou du produit visé, mais dans l’ensemble les rôles étaient relativement bien définis et respectés.
Puis l’Internet est arrivé, bousculant cet ordre établi.
Par exemple :
Pour toutes ces raisons (et d’autres), les fabricants tentent de plus en plus de cadenasser la circulation de leurs produits en réglementant chaque étape depuis la fabrication jusqu’à la vente au consommateur final.
Une des manières d’y arriver est de mettre en place un réseau sélectif. Dans son rapport du 10 mai 2017 sur le commerce électronique, la Commission européenne le relève expressément (point 15) : « Les fabricants reconnaissent explicitement qu’ils recourent à la distribution sélective en réaction à la croissance du commerce électronique, car ils peuvent ainsi mieux contrôler les réseaux de distribution, en particulier pour ce qui est de la qualité de la distribution, mais aussi du prix. »
Le problème est que le contrôle que le fabricant instaure sur la chaîne de distribution et la vente à l’utilisateur final, implique des accords ou pratiques (les « ententes ») qui sont en principe … interdits par l’article 101 du traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Cette disposition est claire : « Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur (…) »
L’article 101 fournit des exemples d’ententes prohibées ; il vise notamment les ententes consistant à :
La sanction est sévère : selon l’article 101, § 2, « Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit ».
Faut-il en déduire que les accords de distribution sont illicites ?
Certainement pas.
En effet, le paragraphe 3 de l’article 101 TFUE permet de déclarer l’interdiction inapplicable à un certain nombre de situations : « qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans : a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence. »
La Commission européenne a reçu la compétence d’appliquer, par voie de règlement, l’article 101, paragraphe 3 TFUE à certaines catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, ce qui a donné le règlement n° 330/2010 dit « d’exemption par catégorie ».
Un accord « vertical » est celui qui concerne deux ou plusieurs entreprises opérant chacune, aux fins de l’accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services. Cet accord n’affecte en principe pas le commerce inter-marques : il organise le commerce au sein d’une même marque. On l’oppose à l’accord horizontal qui implique des opérateurs inter-marques (par exemple si deux concurrents s’accordent sur un prix).
Les accords qui lient les différents acteurs d’une chaine de distribution d’un produit, sont des exemples d’accords verticaux.
L’article 2 du Règlement 300/2010 exempte les accords verticaux de l’interdiction des ententes : « Conformément à l’article 101, paragraphe 3, du traité, et sous réserve des dispositions du présent règlement, l’article 101, paragraphe 1, du traité est déclaré inapplicable aux accords verticaux […] »
D’où vient cette indulgence ?
Le règlement part du postulat que les effets anticoncurrentiels que peuvent comporter certains accords verticaux, même s’ils correspondent à la définition de l’entente interdite de l’article 101, §1er du TFUE, sont présumés être moins importants que les gains d’efficience dont ils peuvent être à l’origine (améliorer la production ou la distribution et réserver aux consommateurs une partie équitable des avantages qui en résultent).
Le considérant 6 du Règlement est explicite : « Certains types d’accords verticaux peuvent améliorer l’efficience économique à l’intérieur d’une chaîne de production ou de distribution grâce à une meilleure coordination entre les entreprises participantes. Ils peuvent, en particulier, entraîner une diminution des coûts de transaction et de distribution des parties et assurer à celles-ci un niveau optimal d’investissements et de ventes. »
Il y a évidemment des conditions que l’accord doit respecter pour bénéficier de l’exemption prévue par le Règlement.
Ces conditions sont trop nombreuses et complexes pour être exposées ici, mais on retiendra notamment que :
Vu la complexité de la matière, la Commission européenne a doublé son règlement de lignes directrices « afin d’aider les entreprises à évaluer elles-mêmes les accords verticaux au regard des règles de concurrence de l’UE. Les critères qui y sont exposés ne peuvent être appliqués mécaniquement, mais en tenant dûment compte des circonstances propres à chaque cas. Chaque cas doit être apprécié à la lumière des faits qui lui sont propres ».
Le règlement 330/2010 devait être mis à jour, non seulement parce que sa date juridique de péremption arrivait à expiration, mais aussi par ce que le commerce électronique ayant bouleversé les pratiques depuis 2010, il était temps de le moderniser.
Tel est l’objet du nouveau règlement approuvé ce 10 mai 2022 par la Commission européenne, et qui entrera en vigueur cet été.
Dans sa communication, la Commission insiste sur le fait que les nouvelles règles restreignent le champ d’application de la zone de sécurité en ce qui concerne:
Inversement, la Commission insiste sur le fait que les nouvelles règles élargissent le champ d’application de la zone de sécurité en ce qui concerne :
Ces restrictions sont désormais exemptées en vertu du nouveau règlement d’exemption, pour autant que toutes les autres conditions de l’exemption soient remplies.
Également, les règles du règlement d’exemption ont été mises à jour en ce qui concerne l’appréciation des restrictions en ligne, des accords verticaux dans l’économie des plateformes et des accords qui poursuivent des objectifs de durabilité, entre autres domaines.
En outre, les lignes directrices fournissent des orientations détaillées sur un certain nombre de sujets, tels que les accords de distribution sélective et exclusive et les contrats d’agence.
Le nouveau règlement d’exemption est disponible en annexe.
La note explicative de la Commission européenne.
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Source : Droit & Technologies, mai 2022