Double imposition des dividendes français : la valse-hésitation des cours d’appel

Alors que l’on espérait enfin en connaître l’épilogue, la saga de la double imposition des dividendes français perçus par des résidents fiscaux belges a connu ces derniers mois de nouveaux rebondissements.


La double imposition des dividendes français perçus par des résidents fiscaux belges

La convention préventive de la double imposition conclue entre la France et la Belgique prévoit que les dividendes sont imposables dans l’Etat de résidence du bénéficiaire. Elle autorise toutefois l’Etat de la source, en l’espèce la France, à retenir un impôt qui ne peut excéder 15 %.


Afin d’éviter la double imposition qui résulte de cette disposition, l’article 19.A.1. de la convention prévoit que « […] l’impôt dû en Belgique sur leur montant net de retenue française sera diminué, d’une part, de précompte mobilier perçu au taux normal et, d’autre part, de la quotité forfaitaire d’impôt étranger déductible dans les conditions fixées par la législation belge, sans que cette quotité puisse être inférieure à 15 p.c. dudit montant net ».


Cette disposition prévoit donc l’imputation par la Belgique d’une quotité forfaitaire d’impôt étranger « dans les conditions fixées par la législation belge ». Malheureusement, la législation belge ne prévoit plus d’imputation d’un tel crédit d’impôt pour les dividendes d’origine étrangère depuis 1988. C’est là que réside tout le débat actuellement mené devant les juridictions belges puisque, depuis cette date, l’administration fiscale a toujours refusé d’imputer cette quotité aux personnes résidentes fiscales belges qui invoquaient cette disposition conventionnelle, aux motifs que ce crédit ne peut être accordé que « dans les conditions fixées par la législation belge » et que celle-ci est muette à cet égard.


La jurisprudence s’était toujours ralliée à la position défendue par l’administration fiscale. Ce fut notamment le cas de la cour d’appel de Gand dans un arrêt du 18 novembre 2014. Le contribuable lésé s’était toutefois pourvu en cassation. Bien lui en a pris puisque par son arrêt du 16 juin 2017, la Cour de Cassation a cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel, rejetant ainsi la position administrative et rappelant la primauté du droit international, et des conventions conclues par la Belgique, sur la législation nationale.


L’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2017

Selon la Cour de cassation, il ressort du texte même de la convention que les deux Etats ont voulu imputer, sans égard à la législation belge, un crédit d’impôt qui devrait s’élever au minimum à 15 % du montant net frontière du dividende versé. La Cour se fonde ainsi sur les derniers mots de l’article 19.A.1. : « sans que cette quotité puisse être inférieure à 15 p.c. dudit montant net ».

Selon elle, la Belgique ne peut donc se retrancher derrière sa législation interne (ou plutôt l’absence de législation interne) pour refuser d’appliquer cette disposition conventionnelle.


L’administration fiscale avait fait savoir qu’elle ne se plierait pas aux conclusions de la Cour de cassation et qu’elle attendrait, pour revoir éventuellement sa position, l’arrêt qui serait rendu par la cour d’appel d’Anvers, saisie sur renvoi de la Cour de cassation.


La cour d’appel de Bruxelles

Sur ces entrefaites, la cour d’appel de Bruxelles, dans un arrêt du 20 septembre 2018, a statué dans le même sens que la Cour de cassation et a ordonné l’imputation de la quotité forfaitaire d’impôt étranger telle que prévue à l’article 19.A.1 de la convention préventive de double imposition conclue entre la Belgique et la France.

L’administration fiscale belge, qui n’entend décidément pas se soumettre, a introduit un pourvoi en cassation à la suite de cet arrêt.


La cour d’appel de Mons

Amenée à trancher dans une affaire similaire, la cour d’appel de Mons, s’écartant de manière particulièrement étonnante des conclusions de l’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2017, a décidé dans un arrêt rendu le 28 juin 2019 qu’aucune quotité forfaitaire d’impôt étranger ne pouvait être imputée dès lors que celle-ci n’est pas prévue par la législation fiscale belge.

Retour à la case départ donc…


…et enfin la cour d’appel d’Anvers

Le 17 décembre 2019, sur renvoi de la Cour de cassation, la cour d’appel d’Anvers a rendu un arrêt conforme à l’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2017, confirmant donc la primauté du droit international sur le droit belge et confirmant l’application d’une QFIE sur les dividendes de source français perçus par des résidents fiscaux belges.


Conclusions

Quelles conclusions tirer de cet imbroglio judiciaire ?

La situation est à proprement parler consternante. Elle résulte de l’attitude de l’administration fiscale qui, comme elle l’a fait dans d’autres affaires déjà, n’entend pas se soumettre à la jurisprudence de la Cour de cassation et poursuit, jusqu’à l’acharnement, la défense de sa thèse.


Alors que la Cour de cassation et les cours d’appel d’Anvers et de Bruxelles se sont toutes prononcées en faveur des contribuables affirmant la primauté du droit international sur le droit interne, les cours d’appel de Gand et de Mons (cette dernière ayant connaissance de l’arrêt du 16 juin 2017) ont quant à elles pris le parti de l’administration fiscale.


Les contribuables belges ayant perçu des dividendes de source française devront donc patienter encore avant de se voir éventuellement rembourser une quotité forfaitaire d’impôt étranger. Ceux-ci devront donc continuer à introduire annuellement une réclamation à l’impôt des personnes physiques (ou une demande de dégrèvement pour le passé).


Ils devront espérer aussi que l’arrêt qui sera rendu par la Cour de cassation à la suite du pourvoi introduit par l’Etat belge contre l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 20 septembre 2018 confirmera celui rendu le 16 juin 2017 et que, de guerre lasse, l’administration fiscale consentira enfin à s’y soumettre.


François COLLON

Avocat

Hirsch & Vanhaelst

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