Droit d'auteur : quand l'administration confond des pommes et des poires dans une instruction interne.

Suivant une instruction interne émise par l’administration fiscale, un contribuable (exerçant en personne physique) qui effectue à la fois un travail artistique et un travail technique ne peut imputer la totalité des frais à la seule activité professionnelle, mais doit les répartir entre les deux activités.
A défaut de preuve des frais liés à l’activité artistique , il est, selon elle, « arbitraire » d’imputer la totalité des frais à cette seule activité technique.


Proratisation ou pas?

L’article 17 §1er, 5° du CIR92 est un régime dérogatoire à l’article 22 du CIR et il oblige le contribuable qui veut s’en prévaloir à justifier le pourcentage de frais nécessaires à l’obtention des revenus de droits d’auteur.


Cette preuve n’étant pas établie, la proratisation se justifie.


L’administration enjoint donc ses agents à ne pas admettre, pour des personnes physiques, le cumul des frais réel (article 49 CIR92) et du forfait légal propre aux droits d’auteur de 50% jusque 10.000 EUR non indexé (article 4 de l’AR /CIR92).



Cela ne tient pas la route

Cette argumentation qui semble si simple ne peut certainement pas être suivie, car elle repose sur des fondements juridiques inexacts.


Plusieurs arguments peuvent être opposés (nous en avons trouvé au moins 6), mais nous nous limiterons à développer l’un ou l’autre dans le cadre de cet article.


Selon le fisc, l’administration fiscale serait autorisée à déduire des frais professionnels revendiqués par le contribuable le forfait de frais applicable aux droits d’auteur pour la raison qu’un contribuable ne peut bénéficier d’une double déduction de mêmes frais.

Ce postulat est erroné et l’instruction interne est même, à notre avis, illégale. Pourquoi ?

Parce que les revenus qui proviennent de la cession de droits d’auteur et les revenus issus d’une activité technique ne sont pas à ranger dans la même catégorie de revenus.


Le code des impôts sur les revenus permet une déduction de frais spécifiques à chaque classification de revenus.

Ainsi en est-il pour les droits d’auteur comme pour les revenus professionnels.


La question d’un cumul de frais réels et de frais forfaitaires ne se justifie légalement que lorsqu’on se trouve ne présence de revenus d’une même catégorie.


Un contribuable qui a des revenus classés dans la même catégorie de revenus (un travailleur qui a deux activités (comme salarié et comme indépendant ou deux rémunérations de salarié) doit en effet choisir, pour tous ses revenus, entre l’application du forfait légal et la déduction des frais professionnels réels. Il ne peut prétendre à la déduction forfaitaire pour une rémunération de salarié et les frais réels pour l’autre activité [1].


Nous sommes ici dans un tout cas de figure puisque les revenus de droits d’auteur sont à ranger dans la catégorie e de revenus divers à caractère mobilier soumis au précompte mobilier libératoire tandis que les revenus liés à une prestation de services ou un travail matériel sont à ranger dans la catégorie des revenus professionnels soumis au taux progressif de l’IPP. Imputer des frais d’une catégorie de revenus à un autre, comme vous le faites dans votre avis de rectification, n’a (fort heureusement d’ailleurs) jamais été prévu par le législateur ni admis par la jurisprudence.

Si l’on devait, par hypothèse, appliquer ce genre de limitation de frais au travers de toutes les catégories de revenus à (revenus mobiliers, divers, immobilier ou professionnels) on aboutirait à remettre en cause l’ensemble des forfaits admis par la loi, ce qui conduirait à des situations absurdes certainement pas prévues par le législateur.


Par ailleurs s’il fallait d’ailleurs suivre votre position consistant à répartir les frais entre les deux activités (création et services), on devrait aussi, par analogie, les limiter dans le chef des très nombreux dirigeants de sociétés (informaticiens, architectes, graphistes, designers, publicitaire, ...) qui exercent en société et qui retirent de leur société un pourcentage de droits d’auteur (souvent fixé 15% max de leur chiffre d’affaires). En effet la société dont ces contribuables sont dirigeants déduit aussi intégralement les frais liés à l’activité de services. Or, il n’a jamais été question de limiter ce forfait de charges de 50% sur les droits d’auteur dans le chef de tels dirigeants. Il y a donc incontestablement une rupture du principe d’égalité entre contribuables selon qu’ils exercent en personne physique ou en société. Nul doute que la Cour constitutionnelle, constatant cette discrimination injustifiée produite par une telle proratisation applicable aux seuls titulaires de profits, aurait tôt fait de considérer cette situation parfaitement prohibée.


D’autres arguments peuvent aisément être avancés pour contester cette instruction interne.


En tous les cas, nous ne pouvons qu’inviter les contribuables confrontés à des redressements basées sur cette instruction à ne pas courber l’échine. Méfions-nous des raccourcis hasardeux qui semblent à première vue pertinents. Ils ne résistent bien souvent pas à une analyse juridique indispensable ou à une lecture attentive des dispositions fiscales.


[1] QP 2204 du 01.07.2002. Question no 2204 de M. Poty dd. 01.07.2002, Q. et R. parl., Sénat, 2002-2003, no 2-61, pp. 3431-3432.

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