Droit du travail : le nouveau concept de droit de retrait (apparu en période Covid) ne convainc pas.

Qu’est-ce que le droit de retrait ?


En réalité, le droit de retrait n’est pas nouveau. Il existe depuis 1982 en droit… français. De quoi s’agit-il, chez nos voisins hexagonaux ? Lorsque le travailleur a un motif raisonnable de penser qu’une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, il peut se retirer de ladite situation sans être privé de salaire ni risquer d’encourir une sanction de la part de l’employeur.

Attention, il n’est pas question ici de discuter du droit d’un ouvrier de prendre ses jambes à son cou lorsque la machine sur laquelle il travaille en usine s’emballe, ni de contester le droit d’un employé à un guichet de s’extraire d’une situation dans laquelle il est menacé par un client. Personne ne nie le droit pour un être humain de se protéger en situation de crise.


L’enjeu débattu est plutôt le droit d’anticiper la situation, en supputant que l’employeur ne garantirait par hypothèse pas assez la santé et la sécurité au travail, et de permettre au travailleur de juger en toute autonomie qu’il peut se protéger en restant chez lui, tout en étant payé. C’est le cas, par exemple, du caissier qui, un matin et de chez lui, affirme que l’employeur n’a pas engagé assez de vigiles pour protéger le personnel du supermarché.


C’est aussi le cas – réel et à Bruxelles – des chauffeurs de la STIB qui, après s’être réunis en assemblée, ont estimé que l’employeur n’a pas mis assez de mesures en place pour les protéger de la contamination au Covid-19 (en dépit de l’interdiction provisoire de monter par l’avant, de la suppression de vente des billets dans les bus et les trams, de la pose d’un plexiglas pour mieux les isoler, ou encore de l’apposition d’une cordelette pour empêcher que la clientèle ne les approche). Jugeant donc que ce n’était pas suffisant, ils ont invoqué, pour la première fois en Belgique, un prétendu droit de retrait en droit belge : ne pas travailler tant que leurs revendications d’une meilleure protection ne sont pas satisfaites, et être payés malgré tout.


Notre avis d’un point de vue juridique


Le personnel de la STIB n’a évidemment pas importé tout seul le concept du droit de retrait depuis la France vers la Belgique. Les travailleurs ont été inspirés par une récente étude de chercheurs de l’ULB ayant développé une thèse juridique aux termes de laquelle ils prétendent à l’existence d’un tel droit, en Belgique, depuis des décennies. Simplement, ce droit aurait été méconnu des praticiens du droit du travail jusqu’à alors, et ces auteurs l’auraient donc extirpé de sa torpeur, à l’occasion de la pandémie mondiale de 2020 qui se prêterait bien à son application.


Avec un confrère, nous venons nous aussi de publier une étude en réponse, aux conclusions diamétralement opposées.

Nous y concluons que, en marge des textes internationaux (directive européenne n°89/391/CEE et convention de l’OIT n°155) qui évoquent le droit de retrait mais ne l’imposent pas, il faut regarder à l’intérieur du droit positif belge ce qu’il en est.


Les jalons principaux de notre réflexion sont alors les suivants :

  • 1° La protection de la santé et de la sécurité de chaque travailleur constitue un souci constant au travers des textes principaux en droit du travail, au premier rang desquels la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail d’une part, et la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs d’autre part. Les travailleurs et les employeurs doivent s’en soucier tout autant les uns que les autres.
  • 2° Nous avons un Code du bien-être au travail, qui impose à l’employeur une gestion dynamique des risques, reposant sur des principes généraux de prévention : il doit notamment élaborer un plan quinquennal pour anticiper et prévenir les risques potentiels, mais aussi un plan annuel qui sert le plan quinquennal, le tout étant destiné à cibler en amont les objectifs sécuritaires à atteindre, les moyens à y consacrer, etc. La sécurité est l’affaire de tous, mais d’abord et avant tout de l’employeur qui a une responsabilité dominante.
  • 3° Toujours dans le Code du bien-être au travail, il y a le chapitre 2 du titre 2 qui concerne « les mesures en situation d’urgence et en cas de danger grave et immédiat ». Ce plan est facultatif car il doit être élaboré uniquement lorsque l’analyse des risques en montre la nécessité. Alors que ces mesures en situation d’urgence, prévoyant le droit pour le travailleur de se retirer, constituaient le socle juridique sur lequel l’étude de l’ULB se basait, il nous semble déjà antinomique d’en faire un concept ou un droit général, alors qu’il y a de nombreuses entreprises qui en seront privées si l’analyse des risques n’en démontre pas l’utilité.
  • 4° Même en poussant plus loin l’analyse de ce chapitre 2 du titre 2, on voit qu’il n’est question nulle part, par hypothèse, d’une différence de point de vue entre l’employeur et le travailleur. Lors de la survenance de la situation de danger, c’est l’employeur qui informe et prend les mesures nécessaires… parce qu’il est lui-même convaincu du danger grave et imminent : le travailleur sera acteur à titre subsidiaire uniquement, en cas d’impossibilité de contacter le membre compétent de la ligne hiérarchique.
  • 5° En lisant les textes, on se dit que le danger grave et immédiat doit s’éprouver : il ne s’intellectualise pas par anticipation chez soi ou en assemblée générale des travailleurs, mais doit se vivre « en live », alors que l’on est précisément occupé au travail.

L’employeur doit certes se maintenir en veille constante, et s’adapter aux événements sans rester les bras croisés entre deux plans quinquennaux ou annuels. Mais s’il est confronté à un travailleur qui anticipe intellectuellement un danger en lui adressant le reproche de ne pas assez le protéger, il n’aura aucune obligation de le payer s’il ne se présente pas sur son lieu de travail. Car en droit du travail, si tout travail mérite salaire, à l’inverse tout salaire induit travail en principe.


De son côté, le travailleur convaincu de son bon droit dispose de leviers divers, mais plus classiques et à ses risques et périls : saisir le CPPT ou l’inspection du travail, faire appel au conseiller en prévention, réclamer des dommages et intérêts sur la base des principes généraux du droit, ou même démissionner pour faute grave dans le chef de l’employeur. Le travailleur pourra aussi pousser ses collègues à la grève, ce qui est fondamentalement différent du droit de retrait puisque celle-ci est certes garantie en droit belge, mais ne s’accompagne pas de salaire pendant les jours grevés et non prestés.


En résumé, le droit de retrait constitue une fausse solution miracle, et n’existe pas, à nos yeux, dans notre pays.


Olivier Wéry – avocat associé au cabinet d’avocats Arthemis


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