Dans un arrêt du 19 mars 2020, la Cour de Cassation[1] a confirmé que les charges d’intérêts, liées à un emprunt contracté en vue de financer un remboursement de capital ou une distribution de dividendes, ne sont pas ipso facto déductibles à titre de frais professionnels. Tout dépendra de la question de savoir si la société est en mesure de prouver que les charges d’intérêts servent à acquérir ou à conserver des revenus imposables.
Cet arrêt de cassation, attendu depuis longtemps par les praticiens du droit fiscal des affaires, confirme en partie ce beaucoup considéraient dès le départ comme une solution logique.
Cependant, la voie menant à cette décision n’était pas évidente. De même, en ce qui concerne son application concrète, les praticiens restent sur leur faim.
Il arrive souvent que les sociétés contractent des emprunts pour financer une réduction de capital et/ou le versement de dividendes. La raison sous-jacente est souvent liée au fait que la société ne dispose pas de liquidités suffisantes et décide donc de recourir à des fonds externes afin de pouvoir payer ses actionnaires.
L’interrogation du fiscaliste : peut-on déduire les intérêts ?
L’administration fiscale a, à un certain moment, rejeté de manière assez systématique la déduction de ces intérêts car – selon son raisonnement approximatif – la décision de réduction de capital et/ou de distribution des dividendes n’était pas prise dans le but d’acquérir ou de conserver des revenus imposables.
Il n’est pas nécessaire d’être un grand expert fiscal pour comprendre qu’un tel raisonnement ne tient pas la route. Ceci a été finalement confirmé par la Cour d’appel d’Anvers dans son arrêt du 8 mai 2018. Néanmoins, la Cour d’appel s’est prononcée en faveur de l’administration fiscale, au motif que la société en question n’a pas suffisamment démontré que la décision de recourir à un financement externe (avec les charges d’intérêts y afférentes) a été prise en vue d’acquérir ou de conserver des revenus imposables. Ce dernier arrêt a maintenant été confirmé par la Cour de cassation.
Sur le plan de la charge de la preuve, le fisc se trouve clairement dans une position confortable.
Il peut en effet exiger des contribuables qu’ils prouvent que les frais litigieux (charges d’intérêts) ont été supportés ou payés pour acquérir ou conserver des revenus imposables.
Au-delà de la portée matérielle de cette condition de finalité (qui, à notre sens, est souvent mal comprise), la question se pose évidemment de savoir quelle preuve doit être apportée dans le cas de dossiers de financement concrets. Malheureusement, force est de constater que la charge de la preuve requise du contribuable est excessivement lourde, en raison d’une méfiance (souvent exagérée) du fisc à l’égard de l’opération de financement réalisée par le contribuable.
Si une réduction de capital ou une distribution de dividendes est financée par voie d’endettement, c’est, le plus souvent, parce que la société ne disposait pas de suffisamment de liquidités. Pas de chance toutefois pour les contribuables : une telle explication n’est pas suffisante pour défendre la déduction des intérêts, ce qui a également été confirmé explicitement par la Cour de cassation.
Il faut donc en faire plus.
Par exemple, il faudra prouver que la société a pu (grâce à un financement externe) éviter de devoir réaliser ses actifs « générateurs de revenus », ce qui est également un critère accepté par le Service des Décisions Anticipées. Bien que cela ne soit pas explicitement indiqué dans l’arrêt, cela implique à notre avis également que la société devra presque prouver qu’elle n’avait pas d’autres actifs circulants facilement réalisables (avec un faible potentiel de revenus imposables).
Mais l’histoire ne se termine pas là…
Ici aussi, on pourrait raisonnablement concevoir que la société puisse se borner à renvoyer à ses comptes annuels.
On peut en effet attendre de l’administration fiscale et des magistrats fiscaux qu’ils soient capables de lire ces comptes annuels (qui nota bene sont joints à la déclaration fiscale) avec le réalisme (économique) nécessaire. On peut également s’attendre à ce que le fisc et les juges (s’ils devaient avoir des questions sur ces comptes annuels et les actifs qui y sont repris) demandent au contribuable des informations supplémentaires.
Malheureusement, ce serait aller vite en besogne
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En l’espèce, le juge a estimé qu’aucune pièce n’aurait été fournie « démontrant que le prêt a été effectivement conclu en vue de l’acquisition ou de la conservation de ses actifs et que, par conséquent, les charges d’intérêts ont été payées ou supportées en vue de l’acquisition ou de la conservation de revenus imposables provenant de ces actifs ».
Nous savons aujourd’hui qu’en cas de recours à des financements externes, en particulier mais pas exclusivement lorsqu’ils sont destinés à obtenir les liquidités nécessaires en vue de procéder à des réductions de capital et/ou des distributions des dividendes, il ne suffit pas de prouver que les liquidités étaient insuffisantes. Une simple référence à la composition du patrimoine, telle qu’elle apparaît dans les comptes annuels, ne suffit pas non plus.
Dans tous les cas, il est conseillé (idéalement avant l’opération) de rédiger un dossier expliquant les motifs économiques et financiers justifiant la décision de financement.
Ces considérations peuvent (entre autres) être liées au fait qu’un tel prêt permet de conserver les actifs générateurs de revenus imposables (nécessaires à la bonne marche de l’entreprise). Une attention particulière devra également être accordée aux actifs circulants (et donc, en règle générale, plus facilement réalisables). Si l’on souhaite les conserver, il faut s’en expliquer.
Et quid si une certitude absolue est souhaitée ? Dans un tel cas, il est conseillé de soumettre le dossier au Service des Décisions Anticipées.
[1] Dans un précèdent arrêt du 12 décembre 2019, la Cour avait déjà dû se prononcer sur une question similaire. Cependant, le pourvoi en cassation avait été rejetée en raison d’une mauvaise lecture du jugement au fond par le contribuable (Gand 8 janvier 2018). Il convient de noter qu’il s’agissait également de faits assez spécifiques (un « debt push down » en vue d’un rachat d’actions).
Source : Bloom