Il n’y a pas que les faux indépendants : il y a aussi les faux salariés !

La question de la fausse indépendance a toujours fait couler beaucoup d’encre en Belgique. Ce qu’on sait peut-être moins, c’est qu’il y a aussi des cas inverses, dits de « faux salariat ». Ce genre de litige est certes peu fréquent, mais n’est pas rarissime pour autant. Un récent arrêt anversois nous rappelle que c’est toujours et en tout temps que le régime choisi est censé correspondre à la réalité factuelle de la relation de travail. La vigilance et l’anticipation raisonnable et raisonnée sont donc précieuses et indispensables.


Requalification ?


Parce que la summa divisio entre les salariés d’une part, et les travailleurs indépendants d’autre part, reste quoiqu’on en dise fondamentale, voire matricielle, malgré l’ubérisation de certains métiers. Mais aussi en raison de la crispation qu’elle charrie eu égard aux impacts financiers : il suffit de songer qu’une requalification d’une relation indépendante en une relation salariée va contraindre l’employeur a assumer tout seul et rétroactivement les cotisations ONSS ‘employeurs’ mais aussi lesdites cotisations ‘travailleurs’, va amener une affiliation obligatoire à l’assurance accidents du travail, ou va encore peut-être faire rehausser la rémunération si celle-ci n’atteignait pas les minima barémiques en vigueur dans la commission paritaire dont l’entreprise dépend.


Bref, l’enjeu est de taille et les couteaux sont souvent aiguisés lorsqu’un travailleur, ou l’Office national de sécurité sociale, prétend à une requalification, et donc à l’existence d’une « fausse indépendance ».


"Relation de travail"

Ce qu’on sait peut-être moins, c’est qu’il y a aussi des cas inverses, dits de « faux salariat ».


L’hypothèse suspectée est alors la suivante : le travailleur ne se serait-il pas engagé – parfois brièvement - dans une relation de travail, malgré les charges financières qui lui sont inhérentes, et sous l’autorité apparente d’un employeur, uniquement en vue de rapidement pouvoir bénéficier de quelques régimes protecteurs et propres aux travailleurs salariés ?

Ce genre de litige est certes peu fréquent, mais n’est pas rarissime pour autant. Impliquant de facto la complicité de l’employeur officiel (qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale), on en retrouve notamment dans des entreprises dans lesquelles il y a un lien de famille entre le travailleur et l’employeur. En effet, il est admis de longue date que des relations de subordination juridique peuvent exister entre les membres d’une même famille, voire entre un mari et sa femme par exemple. Il n’est donc pas saugrenu de concevoir qu’un homme soit l’employeur de son épouse, ou vice-versa.


Les tribunaux saisis doivent alors s’atteler à vérifier que, dans la relation de travail, il y a effectivement un lien d’autorité de l’un sur l’autre, et que les critères généraux imposés par la loi sur la nature des relations de travail (il s’agit d’une grille de lecture avec des critères que le tribunal doit passer en revue, dont notamment la question de l’organisation du temps de travail, ou de l’organisation du travail) tendent à penser à une situation de travailleur indépendant plutôt que salarié.


Pour rester dans la question du faux salariat tout en sortant de la stricte hypothèse des liens de famille dans la relation de travail, la Cour du travail d’Anvers a récemment rappelé que l’ONSS n’aime pas qu’on profite de lui et que les faux salariés ne sont pas les bienvenus.


Dans son arrêt du 12 juin 2020 (R.G. n°2019/AH/250), la Cour retient le fait que le travailleur disposait d’une liberté pour organiser son temps de travail, qu’il est considéré comme étant le véritable patron dans la S.R.L. par les autres employés, que c’est lui qui entretient tous les contacts avec le secrétariat social (cette dernière envoyait d’ailleurs les divers documents à son adresse privée et non au siège de la société), ou encore qu’il appose sa signature sur les documents devant être signés par le gestionnaire officiel. A noter également que le contrat de travail n’était même pas signé. Et peu importe la question de savoir si, facialement, il détenait ou pas des parts de la société en tant qu’associé actif, cet élément n’étant pas déterminant.


Pour donner droit à l’ONSS qui voulait le radier d’office du système de sécurité sociale des travailleurs salariés, la Cour a encore pu s’appuyer sur le fait que l’enquête de l’Office aurait démontré qu’il voulait s’affilier à ce statut afin d’en profiter, plus particulièrement des allocations d’invalidité dont il a demandé le bénéfice moins de deux semaines après le début des prestations de travail. Ceci constituant donc le fond du problème et des positions respectives assez crispées…


Cet arrêt anversois nous rappelle donc que c’est toujours et en tout temps que le régime choisi est censé correspondre à la réalité factuelle de la relation de travail. La vigilance et l’anticipation raisonnable et raisonnée sont donc précieuses et indispensables.


Olivier Wéry

Avocat au barreau de Bruxelles – spécialiste en droit du travail.



Mots clés

Articles recommandés

Congé de formation flamand : vers une institutionnalisation du droit d’initiative commun

Volkswagen prévoit une baisse de 10% des salaires : légalité mise à l'épreuve ?

Maladie et jours de vacances : réforme!