COMMUNICATION1 2020/04 DU CONSEIL DE L’INSTITUT DES REVISEURS D’ENTREPRISES
Le coronavirus COVID-19 continue de se propager dans de nombreux pays. De plus en plus de cas de la maladie sont également connus en Belgique. Cette évolution a déjà des conséquences économiques pour beaucoup d’entreprises, par exemple par des restrictions de production, de commerce, d’activités ou des restrictions de déplacement. Les effets économiques de la crise COVID-19 affectent également la comptabilité et l'audit des comptes annuels, les rapports de gestion et la situation financière de beaucoup d’entreprises ou de groupes concernés.
Nous recevons, depuis quelques jours, de très nombreuses questions concernant l’impact de la crise COVID-19 sur les travaux d’audit et spécialement la finalisation des rapports de commissaire.
Il est important de rappeler la mission de base de la profession de réviseur d’entreprises, à savoir donner une opinion d’expert sur le caractère fidèle des comptes annuels des entités, et ce au profit de l’ensemble des stakeholders que sont les actionnaires, le management, les clients et fournisseurs, les administrations et finalement le personnel des entités contrôlées par les réviseurs d’entreprises.
Dans cette période de crise, il est indispensable que les réviseurs d’entreprises utilisent pleinement leur jugement professionnel pour bien s’assurer que leur mission de base est correctement remplie au service de l’intérêt général. Les réviseurs d’entreprises ont un rôle important à jouer en incitant l’organe d’administration à analyser les conséquences de la crise pour leurs entreprises ou leur groupe.
Les réviseurs d’entreprises doivent prendre en considération l’impact potentiel de la crise COVID-19 sur :
Pour certaines entités, la crise COVID-19 peut entraîner une détérioration significative des conditions économiques. Pour d'autres entités, cela peut accroître l'incertitude économique. L'organe d’administration doit apprécier si ces événements ou conditions, pris individuellement ou en cumulé, pourraient jeter un doute important sur la capacité de l'entité à poursuivre son activité ou, dans certains cas graves, si l’application du principe comptable de continuité d'exploitation reste appropriée lors de l'établissement des comptes annuels.
Dans la mesure où des événements et des circonstances susceptibles de jeter un doute important sur la capacité de l'entité à poursuivre son activité sont identifiés, des informations supplémentaires doivent être fournies dans l’annexe aux comptes annuels. Ceci vaut en particulier lorsque ces événements constituent des incertitudes significatives ou lorsque la conclusion est que les conditions créées par la crise COVID-19 sont susceptibles de jeter un doute important sur la capacité de l’entité à poursuivre son exploitation, mais que le réviseur d’entreprises conclut, en se fondant sur les éléments probants qu’il a recueillis, qu’il n’existe aucune incertitude significative (ce que l’on appelle le scénario du « close call »). (par. 20 et A24-A25 de la norme ISA 570 (Révisée))
Dans de nombreux cas, il est probable que les budgets et les projections initialement utilisés pour étayer l'évaluation du principe comptable de continuité d'exploitation faite par l’organe d’administration sont devenus moins pertinents compte tenu de l'évolution rapide des conditions économiques et commerciales et peuvent nécessiter une révision importante pour étayer l'évaluation faite par l’organe d’administration dans les circonstances actuelles. Dans certains cas, cela conduira même à un ajustement de l’évaluation faite par l’organe d'administration du principe comptable de continuité d'exploitation.
Le réviseur d’entreprises doit prendre en considération toutes les circonstances intervenues entre la date de clôture jusqu’à la date de son rapport.2 Il doit appliquer son jugement professionnel pour déterminer si l’information nécessaire a été fournie pour que l’utilisateur soit correctement informé de la situation financière et des perspectives de l’entité contrôlée.
Le réviseur d’entreprises doit vérifier si l’évaluation du principe comptable de continuité d’exploitation faite par l’organe d’administration a été actualisée pour tenir compte de toutes les informations pertinentes disponibles jusqu’à la date d’approbation des comptes annuels. Ceci permet en effet, tant pour l'organe d'administration que pour le réviseur d’entreprises dans le cadre de son suivi des événements post-clôture, de tenir compte des mesures d’aide prises par les pouvoirs publics pour soutenir les entreprises en difficultés à cause de la crise COVID-19.
Il ne peut pas être oublié dans ce contexte que l’organe d’administration doit appliquer la procédure de sonnette d’alarme lorsque l'actif net3 est devenu négatif ou, dans le cas d’une SRL ou d’une SC, risque de le devenir (art. 5:153, art. 6:119, art. 7:228 CSA). En outre, les commissaires qui constatent dans l'exercice de leur mission, des faits graves et concordants susceptibles de compromettre la continuité de l'activité économique de la société, doivent en informer l'organe d'administration par écrit et de manière circonstanciée (art. 3:69 CSA).
Les conséquences de l’épidémie sur l’établissement des comptes annuels pour l’exercice clôturé au 31 décembre 2019 seront comptabilisées comme un événement postérieur à la date de clôture qui ne donnera généralement pas lieu à un ajustement des comptes annuels, étant donné que les changements significatifs des activités de l’entreprise et les conséquences économiques se sont produits à la suite d’événements postérieurs à la date de clôture, telles que les mesures prises par le gouvernement et le secteur privé en réponse à l’épidémie du virus.
Les hypothèses utilisées dans l'évaluation des actifs financiers et non financiers à la date de clôture devraient présenter les informations disponibles au 31 décembre de manière prudente, raisonnable et justifiée.
Les entités doivent évaluer les informations à fournir dans les comptes annuels qui sont appropriées pour refléter fidèlement de nouveaux événements ou changements de situation après la date de clôture, y compris une estimation de l'incidence financière si elle peut être déterminée. Le réviseur d’entreprises peut indiquer à l'entité les risques financiers potentiels résultant de circonstances exceptionnelles.
Par ailleurs, nous vous renvoyons vers l’avis CNC 2018/08 du 9 mai 2018, « Evénements postérieurs à la date de clôture de l’exercice».
Pour les comptes annuels des exercices clos après le 31 décembre 2019 et, en particulier, après la crise COVID-19 dans les pays dans lesquels l'entité opère, l’organe d’administration devra prendre en compte l'impact de l’épidémie sur l’établissement des comptes annuels (par exemple au niveau de l’impairment/dépréciations à long terme, principe comptable de continuité d'exploitation, etc.).
Le réviseur d’entreprises doit accorder une attention particulière à l'obligation légale de décrire dans le rapport de gestion les principaux risques et incertitudes auxquels est confrontée l’entité ainsi que de fournir des données sur les événements importants survenus après la clôture de l'exercice.
Une conséquence particulière de la crise COVID-19 et des mesures prises par les autorités est l'impossibilité éventuelle de tenir des assemblées générales ou d'organiser un conseil d'entreprise dans le délai prévu par la loi ou les statuts.
Dans la mesure du possible, l'organe d’administration peut envisager de reporter l'assemblée générale4. Toutefois, il n'est pas toujours possible ou facile de reporter les assemblées générales, par exemple pour une société cotée ou s'il n'y a pas d'accord entre les administrateurs, les actionnaires ou les membres, ou encore dans le cas d'obligations légales, réglementaires ou contractuelles spécifiques. Une certaine flexibilité en ce qui concerne le respect de ces délais est donc nécessaire.
Des discussions sont en cours avec le ministre de la Justice pour examiner si et quelles mesures générales peuvent être prises pour assouplir ces obligations formelles pour toutes les sociétés (cotées ou non) et toutes les associations. Un arrêté royal, actuellement en cours de rédaction, devrait permettre aux entreprises de reporter leurs assemblées générales et/ou de modifier les modalités de vote et de participation aux assemblées générales même si la convocation a déjà fait l'objet d'une publication.
Nous vous en informerons dès que de plus amples informations seront disponibles.
Les professions économiques ne figurent pas sur la liste des services nécessaires à la protection des besoins vitaux de la Nation et des besoins de la population annexée à l'arrêté ministériel du 18 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19.
Selon l’arrêté ministériel, le télétravail à domicile est obligatoire dans toutes les entreprises non essentielles, quelle que soit leur taille, pour tous les membres du personnel dont la fonction s'y prête. Donc les réviseurs d’entreprises doivent en principe travailler à partir de leur domicile.
Toutefois pour les fonctions auxquelles le télétravail à domicile ne peut s'appliquer, les entreprises doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir le respect des règles de distanciation sociale, en particulier le maintien d'une distance d'1,5 mètre entre chaque personne.
Par conséquent, un réviseur d’entreprises a encore le droit de visiter son client dans la mesure où un déplacement est strictement nécessaire (et est souhaitable), par exemple pour faire un contrôle d’inventaire (voir également ci-après) et à condition que l’entité contrôlée soit toujours accessible et que les règles de distanciation sociale sont respectées
Il est important de comprendre la nature et la taille de l'exposition opérationnelle ou financière potentielle d'une entité aux effets de l'épidémie et d'évaluer son impact potentiel sur les comptes annuels, en particulier l'évaluation par l’organe d’administration de la capacité de l'entité à poursuivre son exploitation et la nécessité éventuelle de fournir des informations supplémentaires dans les comptes annuels et le rapport de gestion concernant les incertitudes et la volatilité potentielle causées par l'épidémie.
Les réviseurs d’entreprises peuvent se trouver confronter à des défis majeurs lors de la réalisation de leur audit :
L'épidémie du virus peut également poser un certain nombre de défis potentiels pour l'organe d’administration, tels que, par exemple, l'organisation des inventaires, y compris l’assistance par le réviseur d’entreprises à l'inventaire. Si le réviseur d’entreprises conclut que l'explication de l’organe d’administration semble raisonnable dans les circonstances, il peut discuter avec l’organe d’administration de la possibilité de procéder à un inventaire à une date ultérieure, une fois les restrictions levées ou lorsque les préoccupations ne sont plus aussi importantes.
Ces défis peuvent entraîner des retards importants dans l'achèvement des audits et peuvent également affecter la capacité des réviseurs d’entreprises à recueillir des éléments probants suffisants et appropriés, et donc également l'opinion d'audit (opinion avec réserve ou abstention d’opinion). En tout état de cause, le réviseur d’entreprises ne peut être contraint d’émettre, sur la base d'informations incomplètes ou d'un dossier incomplètement documenté, une opinion qui ne soit pas suffisamment justifiée.
L’éventuel retard dans l’obtention d’éléments probants suffisants et appropriés peut avoir comme conséquence que la signature du rapport du commissaire soit retardée. Toutefois, il existe des délais légaux durant lesquels le commissaire doit faire rapport.
L’impact possible sur la première partie du rapport du commissaire peut comprendre de devoir :
exprimer une opinion avec réserve ou formuler une abstention d’opinion en raison d’une limitation à l’exécution de l’audit au cas où le commissaire n’a pas été en mesure d’obtenir les éléments probants suffisants et
appropriés (norme ISA 705 (Révisée), par. A8 à A11).
Le commissaire doit, par ailleurs, considérer l’impact éventuel sur la seconde partie du rapport du commissaire, en particulier les mentions relatives au respect du délai concernant la convocation de l’assemblée générale et les informations à inclure dans le rapport de gestion de l’entité.
Le commissaire peut également envisager de signer électroniquement le rapport du commissaire. Une signature électronique via la carte d’identité (eID) lors de la signature d’un rapport par un commissaire est, en effet, juridiquement valable et équivaut à une signature manuelle. Nous nous référons, entre autres, à l’avis de l’ICCI du 21 décembre 2018, « Actuele vragen in het kader van de digitalisering en/of paperless werken »7.
L’article 3:74, deuxième alinéa, du Code des sociétés et des associations spécifie qu’un rapport de carence doit être établi si l’organe d’administration reste en défaut de remettre au commissaire, dans le délai légal, les documents nécessaires au contrôle des comptes annuels. Cependant, si les documents ne peuvent être transmis dans les temps, purement et simplement en raison des mesures de confinement imposées par le gouvernement en réponse à la crise COVID-19, cela peut être considéré comme un cas de force majeure. Le réviseur d’entreprises doit appliquer son jugement professionnel pour déterminer s’il convient, dans les circonstances, de ne pas établir un rapport de carence. Dans ce cas, ce point doit être justifié dans le dossier de travail. La situation peut également être mentionnée dans la seconde partie du rapport du commissaire.
De plus amples informations sur cette question seront fournies en fonction de l'arrêté royal relatif à la tenue des assemblées générales en cours de rédaction.
Il est bien entendu possible qu’un réviseur d’entreprises soit affecté par le coronavirus et ne soit, par conséquent, pas en mesure de signer le rapport du commissaire.
Nous rappelons dès lors la doctrine existante à cet égard. En ce qui concerne l’absence d’un confrère qui est le représentant permanent du cabinet de révision, le Conseil de l’IRE a estimé qu’il y a lieu de faire une distinction entre deux cas. S’il s’agit d’une absence prolongée, le cabinet de révision désignera un nouveau représentant permanent, en vertu de l’article 3:60 du Code des sociétés et des associations. Il ne faut pas perdre de vue que des règles de publicité identiques à celles prévues pour une mission en nom et pour compte propre s’appliquent au remplacement du nom du représentant (art. 3:60 CSA).
Lorsque l’absence n’est que de courte durée, il n’y a pas lieu de remplacer le représentant permanent. Dans ces conditions, la Commission juridique de l’IRE est d’avis qu’il serait admissible que, lorsqu’il n’y a pas lieu de désigner un suppléant (absence de courte durée), un autre réviseur d’entreprises signe le rapport en apposant la mention « absent à la signature ». Ce deuxième réviseur d’entreprises devra s’assurer que le représentant permanent a procédé aux diligences requises.
Cette crise doit être considérée en droit, comme un cas de force majeure. La force majeure est un événement exceptionnel et imprévisible qui s’impose à tous, aussi bien aux clients qu’aux réviseurs d’entreprises. Si la personne concernée peut démontrer qu’elle a agi avec prudence et précaution dans les circonstances données, la force majeure peut avoir un effet libératoire. Nous faisons référence, entre autres, à l’article 22 du modèle de cadre contractuel général des prestations, qui est disponible sur le site de l’ICCI.
Dès lors qu’il s’agit clairement d’un cas de force majeure, une certaine souplesse s’imposera incontestablement dans l’application des règles de droit. Toutefois, si cette situation se prolonge, il ne sera peut-être plus possible de parler de cas de force majeure, même si les restrictions continuent à s’appliquer, en tout ou en partie, et continuent à avoir un impact sur la prestation de services. Il convient donc d’indiquer dans les lettres de mission émise à partir de ce jour que, lorsqu’il est matériellement impossible de respecter une partie des obligations contractuelles dans les délais convenus en raison de circonstances créées par la crise COVID-19 et au-delà de toute volonté, cette partie informera l’autre partie dans un délai raisonnable afin qu’il puisse être convenu que le délai des obligations concernées peut être prolongé.
La situation est incertaine et évolue rapidement. L’IRE continuera à suivre de près la situation et complétera cette communication afin que vous disposiez toujours des informations les plus récentes lorsque vous effectuez le contrôle.
Nous soulignons que l’ICCI, par sa fonction d’avis, est prête à répondre à des questions ponctuelles sur ce sujet (www.icci.be). L’ICCI développera également des Frequently Asked Questions relatives à l’impact de la crise COVID-19.
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1 Par voie de communication, l’Institut développe la doctrine relative aux techniques d’audit et à la bonne application par les réviseurs d’entreprises du cadre légal, réglementaire et normatif qui régit l’exercice de leur profession (art. 31, §7 de la loi du 7 décembre 2016 portant organisation de la profession et de la supervision publique des réviseurs d’entreprises) ; seules les normes et les recommandations sont obligatoires.
2 Voir aussi l’avis de la CNC 2018/18 du 11 juillet 2018, « Going concern - Règles d’évaluation en cas de cessation ou de cessation partielle des activités d’une société ». L’IRE a réagi à cet avis. Vous pouvez consulter cette réaction ici : https://doc.ibr- ire.be/nl/Documents/actueel/nieuws/IRE-reaction-projet-d-avis-going-concern.pdf. Une analyse de la matière sera faite par l’ICCI par le biais d’une FAQ.
3 Contrairement au C. Soc., la nouveauté concerne le fait que, pour l’application de la procédure de la sonnette d’alarme, l’actif net est calculé sur la base du total de l'actif, déduction faite des provisions, des dettes ET des montants non encore amortis des frais d'établissement et d'expansion et des frais de recherche et de développement. (art. 5:142, al. 3 (SRL), art. 6:115, al. 3 (SC) et art. 7:212, al. 2 (SA) CSA).
4 L'organe d'administration a le droit de proroger, séance tenante, la décision relative à l'approbation des comptes annuels à trois semaines. Dans le cas d’une société cotée, ce délai s’élève à cinq semaines. (art. 5:99 (SRL), 6:84 (SC) et 7:150 (SA) CSA).
5 https://economie.fgov.be/sites/default/files/Files/Entreprises/AM-MB-20200318-covid-19.pdf.
6 Voir aussi https://trends.levif.be/economie/entreprises/quelles-apps-pour-optimiser-votre-teletravail/article-normal-1264917.html?cel_hash=d814d0114552c50f79b4b5193a12359ca6209269&utm_source=Newsletter-16/03/2020&utm_medium=Email&utm_campaign=Newsletter-RNBTECZ&
7 https://www.icci.be/nl/adviezen/advies-detail-page/actuele-vragen-in-het-kader-van-de-digitalisering-en-of-paperless-werken.