Pour ceux d’entre vous qui se rappellent que le communisme est né en 1848 de l’idée de Marx et Engels d’abolir les classes sociales, la question posée en titre de cette chronique a certainement de quoi surprendre.
Au fond, le communisme n’était rien d’autre que la mise en commun des ressources de production nationale (qui dominaient alors les services) pour les répartir de manière équitable selon les besoins des citoyens. Sauf que “de manière équitable selon les besoins” n’a eu jamais le même sens pour les dirigeants des populations dirigées et pour celles-ci : que ce soit en Russie, Corée du Nord, Chine ou à Cuba, partout une extrême minorité de la population accapara le pouvoir, concentra les richesses entre ses mains et priva la grande majorité de ses égaux d’une part plus ou moins égale du bien-être national. Sauf à affirmer qu’être exploité serait le bien-être individuel… C’est donc autant par la confiscation du pouvoir, la privation des libertés individuelles et la corruption des élites que partout le communisme échoua, rongé par lui-même et que son opposant de toujours, le capitalisme, prit sa place.
Il fut un autre endroit ou quelques pionniers tentèrent d’implanter le communisme au XXe siècle, ce fut la tentative des Kibboutzim en Israël, où chacun travaillait (à cueillir des fruits selon l’image d’Épinal) et ne possédait que l’essentiel du quotidien. Si ces villages existent encore, ils ont (presque) tous perdu leurs fondements socialistes et communistes, les valeurs partagées par les membres sont réduites à peau de chagrin. Par exception, ce fut moins par la dictature et la corruption que par l’intérêt pour la propriété privée, les récompenses liées aux efforts personnels et la percolation de la société de consommation, donc du capitalisme, que ce régime perdit son originalité. Il fut englouti non par implosion comme ailleurs mais par incapacité à faire partager ses avantages.
Au XXIe siècle, le communisme humain n’existe nulle part à taille significative. Les marchés financiers s’auto-alimentent pour assurer le rendement requis par leurs investisseurs. On achète de moins en moins de lignes d’actions et de plus en plus en fonds, ou fonds de fonds d’actions. Certaines sociétés se divisent pour créer de nouvelles cotations. La décision stratégique de couper Solvay en deux sociétés cotées pour créer plus de valeur aux actionnaires n’est qu’un cas récent de cette spirale. Il n’y a pas de limite, sauf les soubresauts des marchés causés par la hantise de leurs propres baisses et l’espoir des investisseurs d’en profiter plus que de les subir. Le système s’auto-alimente, la richesse des plus riches ne devrait jamais finir de croître. Mais une fortune personnelle de 200 milliards d’euros, un tiers du PIB de la Belgique, a-t-elle un sens ?
Nous sommes chaque jour de plus en plus confrontés aux progrès technologiques, dont la fameuse intelligence artificielle. Certains disent qu’elle supprimera jusqu’à 300 millions d’emplois. Y aura-t-il encore des journalistes, agences de communication, avocats, experts-comptables, traducteurs… ? La nécessité de manutentionnaires dans les entrepôts, d’aides-ménagères à la maison ou d’agents de surface au bureau aura disparu lorsque des robots pourront aisément les remplacer. Dans quelques lustres, les petits commerçants auront disparu, sauf exceptions ; nous serons encore plus livrés par Amazon, au profit de la fortune de M. Bezos. Néanmoins, les citoyens auront toujours besoin d’argent ou d’une autre monnaie d’échange pour assurer leurs besoins essentiels et discrétionnaires. Sans emploi, donc sans revenu du travail, comment feront-ils ?
C’est à une redistribution des richesses que certains réfléchissent, non pas de manière totalitaire (quelques dirigeants ayant le gâteau, le peuple devant se contenter des miettes) comme le firent tous les faux régimes communistes jusqu’ici. Mais avec souplesse, tenant compte de récompenses à l’effort individuel pour ceux qui le voudraient, de gratifications en rétribution de services rendus à la civilisation. Il n’est pas question de réguler nos vies encore plus mais de donner un bon coup de gomme sur des excès manifestes. Dans cette conception politique, communisme et libéralisme vivent de pair. On pourrait avoir le même débat, certains ne s’en privent pas, à propos des pensions ou des ressources naturelles.
Dans un tel système économique qui serait viable au niveau planétaire, l’essentiel du produit de la consommation raisonnable et raisonnée assurerait les services publics, la consommation ou l’épargne des citoyens selon leurs choix, que cela s’appelle un revenu universel ou autrement. Les salaires ne seraient pas égaux mais dispersés statistiquement et raisonnablement en fonction des responsabilités de chacun. Des directeurs de production ou d’usine, les chefs d’équipe, etc. pourraient gagner plus que les employés prenant moins de responsabilités. Les excès seraient moindres, sans aucun doute, qu’en 2023.
C’est en ce sens que Messieurs Jeff Bezos, Elon Musk, Bernard Arnault et leurs richesses hyper milliardaires, en regard de la décroissance des opportunités professionnelles pour la plupart de nos semblables, nous poussent à réfléchir à la remise en commun de nos valeurs et ressources. Sont-ils les chantres d’un nouveau communisme ?
Source : La Libre