La Commission Européenne a récemment rendu public son projet de nouvelle directive dite « ATAD III » (pour « Anti-Tax Avoidance 3 »). Cette directive, toujours en projet, est également identifiée sous le vocable « Unshell Directive ».
Cette directive constitue, selon la présentation qu’en fait la Commission, une étape de plus dans la mise en place d’un système européen équitable et durable de fiscalité des entreprises, qui complètera ainsi les mécanismes d’échange de renseignements organisés par les différentes directives dites « DAC », et les dispositifs « anti-abus » mis en place par les précédentes directives « ATAD I » et « ATAD II ».
Le projet « ATAD III » vise à régler le sort des entités qualifiées de « sociétés écran » ou de « coquilles vides », soit des sociétés avec une (trop) faible substance, dont le siège est situé sur le territoire d’un Etat membre, et qui sont impliquées dans des opérations transfrontalières, ou dont les actifs sont situés dans un autre Etat que celui de sa résidence. Si certaines catégories de sociétés sont, en l’état du projet, exclues du champ d’application des mesures nouvelles, et notamment les sociétés cotées ou les entités réglementées (not. les Fonds AIFM ou les OPCVM), voire les entités qui emploient un minimum de 5 personnes (employés) à temps plein, tel n’est pas le cas des sociétés holdings, ou encore des sociétés financières ou des sociétés patrimoniales, immobilières ou non, pour lesquelles la Commission a peu de goût. Seront également visées les sociétés qui détiennent des droits de propriété intellectuelle.
Le projet prévoit l’obligation, pour les sociétés éligibles, de déclarer elles-mêmes à l’administration fiscale dont elles relèvent, si elles sont ou non susceptibles d’être considérées comme une « société écran » au regard des critères mis en place par la Commission. Ces sociétés seront alors considérées comme des « sociétés à risque »).
Si une société est considérée comme pareille « coquille vide », il est prévu que l’accès aux conventions préventives de la double imposition ainsi qu’aux directives européennes lui sera refusé (not. la directive « mère-filiale », la directive relative aux intérêts et redevances, ou encore la directive relative aux fusions transfrontalières et opérations assimilées). La transparence sera par ailleurs encore renforcée par la mise en œuvre d’un nouveau mécanisme d’échange automatique d’informations qui portera sur toute société susceptible d’être qualifiée de « société écran », ce qui permettra aux États membres de demander à l’État membre du siège de la société concernée de procéder à un audit fiscal.
Le projet présenté est actuellement soumis à l’examen des États membres. Il pourrait dès lors encore faire l’objet de modification(s). Il est prévu que cette directive « ATAD III », lorsqu’elle sera adoptée, devra être transposée dans le droit national des États membres au plus tard le 30 juin 2023, aux fins de rendre ses dispositions applicables à partir du 1er janvier 2024.
Le projet de directive commence par distinguer les sociétés « à risque », càd les sociétés dont la substance paraît a priori faible, voire insuffisante, et dont on peut penser qu’elles présentent dès lors un risque d’être utilisé »es à des fins fiscales, des autres sociétés, qui ne présentent pas, ou peu, ce risque. Aux fins d’y parvenir, la Commission propose de retenir les 3 critères suivants:
Lorsque ces 3 critères seront remplis, la société sera considérée comme étant une « société à risque ». En cette hypothèse, la société se verra contrainte de préciser, dans chacune de ses déclarations fiscales annuelles, une série d’informations propres à sa situation, et particulièrement de répondre à chacune des questions suivantes (le « test de substance »), en documentant ses réponses par des preuves écrites :
Les informations déclarées dans ce contexte seront automatiquement échangées avec les autres États membres, dans un délai de 30 jours suivant le jour du dépôt de la déclaration fiscale. Il faut noter, à ce sujet, que tout défaut de déclaration, ou toute fausse déclaration, quant aux critères d’identification des « sociétés à risque », ou quant au « test de substance », est passible d’une amende égale à au moins 5% du chiffre d’affairesde la société concernée.
Ce n’est que lorsque la « société à risque » pourra prouver qu’elle peut répondre positivement aux 3 questions identifiées ci-avant (et pour ce qui concerne la troisième question, à au moins une des 2 sous-questions) qu’elle sera présumée posséder une substance « suffisante », mais uniquement pour l’année fiscale visée par la déclaration. Une « société à risque » qui ne remplirait pas ces 3 critères cumulatifs sera par contre considérée comme une « société écran », présumée à l’inverse ne pas atteindre un niveau suffisant de substance.
La société concernée pourra encore renverser cette présomption, si elle peut justifier et fournir les preuves de ce que les activités qui ont généré les bénéfices de la société ont effectivement et concrètement été contrôlées par elle au départ de son siège, et que les risques relatifs à ces activités ont été assumés par elle. Cette preuve devra intervenir par le biais de pièces écrites et probantes, et concerner :
La « société à risque » pourra également solliciter une exemption auprès de ses autorités fiscales, en apportant la preuve concrète que son interposition ne présente aucun avantage fiscal, càd qu’elle ne permette aucune réduction de la charge fiscale des bénéficiaires effectifs de la société, ou de celle du groupe auquel la « société à risque » est intégrée.
Le renversement de la présomption d’absence de substance, et l’exemption pour absence d’avantage fiscal pourront être maintenus pendant une durée de 5 ans.
A défaut, la « société à risque » se verra appliquer les sanctions organisées par la directive en projet. En cette hypothèse, l’État membre de résidence de la « société écran » ne délivrera pas de certificat de résidence fiscale à la société concernée, ou fournira un tel certificat, tout en précisant que la société ne pourra toutefois pas bénéficier des avantages des conventions préventives de la double imposition ou des directives européennes. Les autres États membres refuseront également à la « société écran » l’accès aux avantages prévus par ces conventions fiscales et directives. La société concernée perdra ainsi le bénéfice de l’exonération (ou de la réduction) de la retenue à la source, et également celui de l’exonération du revenu perçu, ou de la réduction du tarif d’imposition de ce revenu.
Plus encore, ces autres Etats membres feront abstraction de la société concernée, de manière à imposer ses revenus comme s’ils avaient été perçus directement par le ou les actionnaires de la « société écran ». Ceci alors que la société concernée restera imposable dans son État d’établissement, et devra en conséquence s’acquitter de toutes ses obligations fiscales, indépendamment de la taxation de ses revenus dans l’État membre de résidence fiscale de son ou ses actionnaires et/ou dans l’État membre d’une société qui lui effectue des paiements. Cette situation est familière aux contribuables belges, du fait que notre droit connaît déjà ce que l’on nomme la « taxe caïman ». Il faut toutefois relever que l’application de la « taxe caïman » relève parfois d’une certaine complexité, alors que les critères retenus par le projet de directive permettront d’appliquer plus systématiquement la sanction de la transparence fiscale.
Bien que le projet dévoilé puisse encore évoluer d’ici à sa probable entrée en vigueur au 1er janvier 2024, il apparaît toutefois essentiel que les sociétés potentiellement concernées par son champ d’application prennent conscience de ses effets potentiels, et s’informent sans attendre quant à leurs conditions probables d’application, dans la mesure où il est déjà prévu que la période de référence par rapport à laquelle la situation de toute entité visée sera examinée (aux fins de déterminer si elle peut ou non qualifier au titre de « société écran ») débutera, à certains égards, 2 ans auparavant…. soit le 1er janvier 2022.
Source : Afschrift Tax@Legal, 14 avril 2022