La fiscalité immobilière en Wallonie : dépasser la DPR

Ce texte d'opinion s'intéresse la fiscalité immobilière en Wallonie, dans le dit et le non-dit, avec un focus sur son lien avec la transition énergétique.



Les fondamentaux


Les économistes aiment de rappeler que

  1. l'impôt poursuit trois objectifs: financer l'action publique, orienter les comportements (en ce y compris la fonction de "stabilisation" de l'activité économique) et participer à une redistribution plus équitable des revenus
  2. et qu'un bon impôt doit être efficace, efficient et juste.

Attention : difficulté bien connue, toutes ces préoccupations ne peuvent pas nécessairement être rencontrées avec le même niveau de satisfaction en même temps et il est difficile d'ignorer la structure globale des recettes et des dépenses pour porter un jugement d'ensemble. En plus, l'actuelle répartition des compétences budgétaires et fiscales entre les différents niveaux de pouvoir rend plus difficile un "équilibre" global entre différentes préoccupations légitimes (environnement, social...) et en matière de charge fiscale (nette). Enfin, l'instrument juridique peut – dans certaines circonstances – être plus efficace et plus efficient que des outils fiscaux ou budgétaires.



La fiscalité immobilière dans la DPR


Que dit la Déclaration politique wallonne ?:


« les droits d’enregistrement seront réduits pour les acquéreurs qui améliorent la performance énergétique d’un bâtiment qu’ils destinent à la location » (p.58)

« Le chèque-habitat sera orienté afin d’octroyer un avantage en cas d’acquisition couplée à la réalisation de travaux économiseurs d’énergie. » (p.59)

« Par ailleurs, le Gouvernement mettra en œuvre les mesures suivantes :

• Afin de soutenir les propriétaires occupants, il introduira une réduction fiscale forfaitaire sur le précompte immobilier pour l’habitation ;

• Afin de favoriser l’accès au logement et le dynamisme du marché du logement privé, il augmentera également l’abattement fiscal sur les droits d’enregistrement pour l’habitation propre et unique. » (p.122)



Éléments d'appréciation


Que penser de ces intentions (en sachant qu'elles doivent encore faire l'objet d'arbitrages et être traduites en dispositions légales) ?

  1. La proposition de réduire les droits d'enregistrement pour les acquéreurs qui améliorent la performance énergétique d’un bâtiment qu’ils destinent à la location part certes d'une bonne intention (même si elle s'explique aussi par les fortes réticences du MR de voir imposer des normes énergétiques fortes et contraignantes), mais risque de poser des difficultés concrètes pour sa mise en œuvre: a) les réductions envisagées sont-elles suffisantes comme incitant ?, b) à quel moment cette réduction est-elle octroyée ?, c) que se passe-t-il si le bâtiment est revendu rapidement ?, d) s'il y a un nombre minimum d'années de détention, qui va vérifier que cette durée est respectée et comment ?, e) qui va et comment vérifier que le logement est vraiment mis en location ?, f) quelles sont les règles si le bâtiment a également un autre usage ?, g) quelles dépenses énergétiques prendre en compte ?, h) faudra-t-il un minimum de dépenses ?, i) va-t-on donner les mêmes réductions quel que soit le PEB de départ ?, j) comment vérifier dans les factures ce qui est ou pas lié à des dépenses énergétiques (sans même imaginer de possibles "chipotages" ), etc. Ce genre de dispositif conduit le plus souvent à une inflation légistique et fait souvent le lit d'un contentieux coûteux.
  2. Des questions de même nature se posent quant à l'octroi d'un chèque-habitat majoré en cas d’acquisition couplée à la réalisation de travaux économiseurs d’énergie. S'y ajoutent ces deux-ci : pourquoi donner plus à celui qui fait des travaux à la suite d'un achat plutôt que s'il les fait 3 ou 5 ans après ? Et pourquoi subventionner deux fois avec deux outils différents les dépenses de rénovation énergétique, une fois avec un avantage qui s'étale sur 20 ans (quel intérêt dès lors pour financer des dépenses immédiates ?) et une fois avec une ou des prime(s).
  3. L'octroi d'une réduction fiscale forfaitaire sur le précompte immobilier pour l’habitation pour soutenir les propriétaires occupants est une revendication du Mouvement Réformateur. Il a avancé un montant de 500 €/an pendant la campagne électorale, mais ce qui semble être convenu entre partenaires gouvernementaux wallons c'est – en tout cas pour commencer – 100 €/an. On ne voit pas très bien, au vu du laconisme de ce passage de la DPR, quel est l'objectif poursuivi. Soutenir le pouvoir d'achat ? Mais pourquoi alors pour les seuls propriétaires occupants et quelle que soit la hauteur du revenu ? Encourager l'accès à la propriété ? Je ne vois pas très bien ce que 8,5 €/mois vont changer dans les contraintes budgétaires d'un ménage qui souhaite accéder à la propriété. Ce qui est sûr par contre, le coût global pour la région est important : 110 millions2, soit un montant proche du total des dépenses fiscales existantes en matière de droits d'enregistrement.
  4. Enfin, l'augmentation de l'abattement fiscal –qui existe déjà– sur les droits d’enregistrement pour l’habitation propre et unique est supposé favoriser l'accès à la propriété. L'avantage existant est de 2.500 €, mais il faut relativiser ce montant en le comparant au coût total de l'acquisition d'un logement. En outre, toutes choses égales par ailleurs, ceci avantage l'achat de biens existants (souvent moins performants sur le plan énergétique et ce alors qu'il n'y a aucune obligation de l'améliorer) par rapport à la construction de logements en principe de (bien) meilleure qualité énergétique (et pour lesquels les normes énergétiques sont obligatoires et sont appelées à se renforcer).


Réduction du précompte immobilier : quelques ordres de grandeur éclairants
Les additionnels au précompte immobilier des pouvoirs locaux représentent environ 40 fois les recettes régionales et sont plus ou moins équivalents aux transferts directs de la région vers ces mêmes pouvoirs (communes et provinces). La réduction du précompte immobilier prévue représente pas loin de trois fois les recettes propres du niveau régional, ce qui implique dès lors un mécanisme de compensation pour les communes et provinces (à moins que l'on en profite pour affaiblir un peu plus encore les provinces, dès lors qu'on n'a pas trouvé l'énergie et le courage pour les supprimer...).



Le télescopage de ces mesures rend perplexe. Illustration : l'acheteur d'un bien neuf (21% de TVA) de haute qualité énergétique recevra moins de soutiens publics que l'acheteur d'un bien ancien, qui bénéficiera d'un abattement pour le calcul des droits d'enregistrement même s'il ne fait aucune rénovation énergétique.

Globalement, la structure de la fiscalité immobilière et ses modalités, comme les changements récents ou prévus, scorent assez mal sur base des critères rappelés en début de note.



Le besoin d'une vision stratégique


Ces dispositions, comme celles prises au cours de la législature passée, manifestent l'absence d'une vision stratégique claire et globale en matière de fiscalité sur le logement.

Certes, l'idéal serait d'avoir une vision intégrée État fédéral - Régions (notamment en matière : 1°) de taux de TVA versus les droits d'enregistrement, 2°) d'une estimation plus correcte des revenus cadastraux et 3°) d'une articulation organisée et efficace des fiscalités sur la mobilité et des fiscalités sur le logement pour inciter à une plus grande densification et donc moins de mobilité automobile). Mais ce n'est pas pour tout de suite (même si rien n'empêche d'intégrer une vision cohérente dans le cadre de la 7ième réforme institutionnelle).


En attendant, la Wallonie devrait – en concertation avec les acteurs concernés – articuler sa politique (fiscale) du logement autour des principes suivants :


  1. Les normes énergétiques à atteindre, pour le neuf comme pour l'ancien, doivent relever d'une démarche normative. Il ne suffit pas d'imposer des normes en cas de rénovation importante. Il faut inverser la logique : des normes strictes doivent être rendues obligatoires et donc, dans la plupart des cas, cela signifie inévitablement la mise en route d'une rénovation plus ou moins lourde. Cette obligation d'atteindre un PEB élevé pourrait intervenir, pour les bâtiments anciens, lors d'une mutation, que ce soit un primo-accédant ou que ce soit un 2ème, 3ème ou Xème achat. Il ne faut pas craindre ici un effet d'éviction d'acheteurs qui ne pourraient plus acheter un bien ancien s'il y a en plus l'obligation d'en améliorer le PEB ; en effet, il est évident que les prix de vente s'adapteront à la baisse;
  2. Certains travaux énergétiques basiques (vitrages performants et isolation du toit en particulier) doivent être rendus obligatoires pour tous les logements même en l'absence d'un changement de propriétaire;
  3. Dès lors que certains travaux deviendraient incontournables, il faut évidemment soutenir les ménages concernés en fonction de leurs possibilités financières. Une prime unique – forfaitaire ? – versée dès que les travaux énergétiques sont terminés et le nouveau PEB vérifié a l'avantage d'aider immédiatement le ménage acheteur, sans qu'on doive se préoccuper de la suite puisque, quels que soient les changements de propriétaires ultérieurs, les travaux auront été faits. Ceci dit, prime ou réduction fiscale, il existe un risque d'effet d'aubaine;
  4. Le paiement de droits d'enregistrement sur les achats successifs freine la mobilité résidentielle, en particulier celle des ménages âgés. Or favoriser cette mobilité est bon pour la qualité de vie des ménages qui le souhaitent, pour réduire les déplacements des travailleurs et de leur famille et pour libérer des logements occupés par des personnes âgées devenus trop grands au bénéfice de ménages avec enfant(s). Il vaut donc mieux utiliser les moyens publics (rares en région wallonne...) pour mettre progressivement en place une réduction des coûts lors d'un changement portant sur le seul immeuble occupé par le ménage. Deux possibilités techniques : soit la portabilité des droits d'enregistrement, soit une augmentation de l'abattement à l'achat. La seconde formule a l'avantage d'être simple, immédiate (il n'y a pas besoin d'organiser une mémoire administrative de très longue durée ni d'affronter des questions du genre : qui porte les droits si le ménage se sépare ?), plus intéressante pour les primo-accédants que la portabilité et peut remplacer la réduction des droits d'enregistrement qui s'applique aux habitations modestes.
  5. Renoncer aux cadeaux fiscaux sans objectif bien clair (comme, par exemple, la réduction forfaitaire du précompte immobilier) libérera des moyens pour financer ces orientations.
  6. Enfin, d'une manière générale, et quelsque soient les arbitrages politiques sur ces questions, il faut éviter des dispositifs qui se prêtent à de l’ingénierie fiscale, améliorer les estimations ex ante du coût des mesures et se doter des outils pour vérifier le respect – immédiat et dans la durée – des conditions imposées pour bénéficier d'avantages fiscaux ou autres.
Deux questions pour terminer
  1. La Région a-t-elle les moyens de cette politique ? Oui, si on additionne les dépenses fiscales existantes et prévues on n'est pas loin du milliard d'euros : plus de 700 millions €/an liés au chèque-habitat et aux régimes antérieurs et plus de 100 millions pour les dépenses fiscales existantes en matière de droits d'enregistrement, montants auxquels s'ajoutent les nouvelles dépenses fiscales prévues en droits d'enregistrement et en précompte immobilier. Mais – et c'est un mais d'importance – il faut tenir compte de ce que les 700 millions ne seront libérés, sans changement des règles pour les avantages accordés antérieurement, que lentement (puisque la plus grosse part de ces 700 millions est constituée de la facture passée du bonus-logement) et qu'il faudra trouver un peu partout des économies pour l'incontournable assainissement budgétaire... Ceci dit, faut-il nécessairement considérer comme acquis qu'on ne touchera jamais à des dispositifs passés pas très efficaces ni efficients, et qui ne sont plus finançables aujourd'hui. Il ne s'agit évidemment pas de revenir sur les réductions fiscales antérieures mais bien, le cas échéant, d'en réduire le coût futur voire, comme en Flandre, supprimer tout soutien visant à réduire le poids d'un emprunt hypothécaire. Mettre fin au bonus-logement et au chèque- habitat, quitte à le faire de manière progressive, pourrait en plus libérer des moyens pour augmenter le parc public de logements à loyer modéré.
  2. Dès lors que l’État fédéral impose une TVA à 21% sur les logements neufs, comment établir un juste équilibre environnemental et économique entre le neuf et l'ancien ? C'est une question compliquée qui implique, à mes yeux, d'affiner les orientations proposées ici, idéalement dans le cadre d'un débat public alimenté par des experts, d'autant plus qu'il faut tenir compte de multiples critères et contraintes : il est certes le plus souvent énergétiquement intéressant de rénover plutôt que de détruire et reconstruire, mais il faut aussi augmenter le stock total de logements (ce qui passera en grande partie par du neuf ou des rénovations lourdes de bâtiments existants assimilées à du neuf). Il faut dès lors, même si la compétence TVA sur le neuf reste fédérale, réfléchir plus en profondeur sur l'équilibre économique et écologique, pour le futur occupant et la collectivité, entre l'ancien et le neuf, en tenant compte des diverses fiscalités et des primes. A cet égard, imposer des normes énergétiques fortes sur l'ancien au moment du transfert de propriété réduit, par rapport à la situation actuelle, l'écart économique entre le neuf et l’ancien.

D'autres réflexions et propositions se trouvent certainement dans le rapport sur ces questions que le Ministre Crucke a commandé au Conseil de la Fiscalité et des Finances de Wallonie. On en saura plus quand ce rapport sera rendu public.


En résumé
  1. Pour renforcer rapidement la qualité énergétique du bâti wallon, il faut passer par l'obligation d'une mise aux normes lors de chaque changement de propriétaire plutôt que par des incitations fiscales;
  2. Il faut soutenir financièrement lesménages à qui des travaux énergétiques sont imposés, mais en fonction de leurs revenus. Un système de primes est plus facile à mettre en œuvre que diverses dépenses fiscales;
  3. Pour faciliter la mobilité résidentielle il faut abaisser davantage les droits d'enregistrement sur le seul logement occupé par son propriétaire;
  4. Pour diverses raisons, de financement des politiques publiques et d'efficacité, il faut mettre fin aux régimes du bonus-logement et du chèque-habitat et renoncer à d'autres cadeaux fiscaux inutiles, en particulier la baisse forfaitaire du précompte immobilier;
  5. Enfin, il faut lancer une réflexion en vue d'un meilleur équilibre pour les ménages comme pour la collectivité, entre le régime fiscal du neuf et le régime fiscal de l'ancien. Il faut le faire sur base de critères écologiques et économiques et tenir compte de ce qu'il faut à la fois privilégier la rénovation du bâti existant, mais qu'il faut aussi produire du neuf pour loger tout le monde.


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