Durant quelques jours d'éloignement, j’ai lu "La gouvernance par les nombres", de Alain Supiot. Il n’est pas d’une lecture très aisée, mais est très pénétrant.
Nous évoluons dans une économie de marché, c'est-à-dire une économie qui est fondée sur la loi de l'offre et de la demande. C'est vrai pour le capital, c'est vrai pour le travail.
Mais cette réalité interpelle. Le juriste et philosophe du droit, ancien professeur au Collège de France, Alain Supiot (1949 -) questionne l'approche néolibérale par la gouvernance par les nombres, c'est-à-dire la foi dans l'ordre spontané du marché.
Il rappelle que la conviction de cet ordre spontané a conduit à attiser la compétition de tous contre tous (on retrouve le précepte boursier qu'on ne peut pas battre le marché) et que l'érection en norme fondamentale de la poursuite par chacun de ses seuls intérêts disqualifie l'intérêt public et la frugalité, ce qui engendre inévitablement la violence financière et sociale.
Il va même plus loin en supposant l'existence d'un anarchocapitalisme tendant à liquider la diversité des lois et des territoires pour les soumettre uniformément à l'ordre spontané du marché devenu total, censé abolir les solidarités et les frontières nationales et régir uniformément la planète.
Il avance que les droits sociaux deviennent des dérogations aux lois du marché. De manière plus générale, Alain Supiot insiste sur la substitution de l'idée politique par une notion de gouvernance, qu'il interprète comme une fuite du politique devant ses responsabilités. Cette gouvernance est un reflux de l'idée de gouvernement.
Alain Supiot identifie aussi le rétrécissement du champ de l'ordre public dans des domaines aussi variés que l'arbitrage ou la négociation collective, dans une inversion de la hiérarchie public/privé.
Il voit dans l'approche néolibérale un dépérissement de l'État concomitant à une restriction du périmètre de la démocratie dans un ordre capitaliste qui rendrait superflue toute référence à des lois qui le surplomberaient.