Dans la nuit du 20 au 21 juillet 2025, au terme de longues négociations en kern, le gouvernement fédéral dirigé par Bart De Wever a abouti à un accord aux ramifications profondes. Derrière les termes feutrés de “bonus pension”, “simplification administrative” ou “quotité exemptée”, c’est tout un basculement d’équilibres qui s’annonce. Fiscalité, marché du travail, pensions, soins de santé, politique climatique, police : l’accord couvre un large spectre de la vie publique et marque une forme de recentrage idéologique sur les incitants à l’emploi, la responsabilisation individuelle et la compétitivité.
Voici ce que certains qualifient déjà de « pacte fondateur du gouvernement Arizona ».
La réforme prévoit une augmentation progressive de la quotité exemptée d’impôt (la part de revenu non imposable), qui passera de 10.910 € à 15.300 € d’ici 2029, avec une première étape dès 2026. En pratique, cela signifie que les contribuables aux revenus faibles et moyens verront leur salaire net augmenter sans intervention directe de leur employeur.
Un exemple : un salarié isolé percevant 2.300 € brut par mois pourrait voir son net mensuel augmenter de plus de 20 € dès 2026 et jusqu’à 60 € en 2029, selon le simulateur du SPF Finances.
En parallèle, la cotisation spéciale de sécurité sociale (CSSS), critiquée pour pénaliser les isolés, sera réduite : jusqu’à 365 € nets supplémentaires par an pour ces derniers.
Enfin, le bonus à l’emploi sera renforcé pour que, à terme, le salaire minimum brut se rapproche fortement du net (objectif d’équivalence en 2029).
L’avantage fiscal pour enfant à charge sera revalorisé : pour le premier enfant, la majoration passera de 1.980 € à 2.650 €. À terme, le gouvernement entend uniformiser le traitement fiscal de tous les enfants, ce qui impliquera probablement le gel de l’indexation pour les troisièmes enfants et suivants.
Les indépendants personnes physiques bénéficieront d’une déduction d’entrepreneur portée à 900 € en 2029, contre 650 € actuellement. Cette mesure s’ajoute à la hausse déjà acquise du crédit d’impôt, doublé récemment de 3.750 € à 7.500 €.
Par ailleurs, la majoration d’impôt en cas de versements anticipés insuffisants sera supprimée, offrant aux indépendants une meilleure maîtrise de leur trésorerie.
Pour limiter l’attrait de la mise en société à des fins fiscales, le gouvernement prévoit deux mesures ciblées à l’égard des dirigeants d’entreprise :
Ces mesures poursuivent un objectif clair : rendre moins intéressants les montages où la rémunération “cash” est volontairement limitée au profit d’avantages extralégaux faiblement taxés, tout en maintenant une pression fiscale minimale sur les revenus de dirigeants.
Exemple : un dirigeant reçoit 40.000 € de rémunération brute, et 15.000 € d’avantages de toute nature (soit 27 %). L’excédent au-delà de 20 % (soit 2.000 €) sera soumis à une taxation additionnelle de 10 %, soit 200 €, en plus de la perte potentielle du taux réduit ISoc.
Tableau 1 – Mesures fiscales clés par profil
Bénéficiaire | Mesure fiscale | Détail / Montant |
Travailleurs | Quotité exemptée d’impôt | De 10.910 € à 15.300 € d’ici 2029 |
Travailleurs isolés | Réduction de la CSSS | Jusqu’à 365 € nets/an |
Travailleurs à bas revenus | Renforcement du bonus à l’emploi | Objectif : brut ≈ net pour le salaire minimum en 2029 |
Familles | Majoration pour 1er enfant à charge | De 1.980 € à 2.650 € |
Couples mariés | Suppression progressive du quotient conjugal | D’ici 2029 pour actifs, sur 20 ans pour pensionnés |
Indépendants | Déduction d’entrepreneur | 650 € (2026) → 900 € (2029) |
Indépendants | Suppression de la majoration pour versements anticipés | Applicable dès 2026 |
Tous contribuables | Exonération “Vinted” | Jusqu’à 2.000 € de ventes annuelles occasionnelles |
Freelances IT | Retour des droits d’auteur | Éligibilité rétablie |
Dirigeants d’entreprise | Revenu minimal imposable | 45.000 € → 50.000 € |
Dirigeants/salariés | ATN > 20 % de la rémunération | Taxation additionnelle (10 % ou 7,5 % selon profil) |
Bénéficiaires du RIS | Imposition du revenu d’intégration | À partir de 2026 |
Chômeurs | Suppression de la réduction d’impôt sur allocations de chômage | En plusieurs étapes |
La réforme des pensions introduit une logique de bonus-malus appliquée autour de l’âge légal :
Un exemple illustratif :
Le calcul de la pension des fonctionnaires sera aligné sur celui du secteur privé d’ici 2062 : au lieu d’être basé sur les meilleures années (4 ou 10), il se fera sur l’ensemble des 45 années de carrière. Un long régime transitoire est prévu, avec maintien des périodes assimilées.
Tableau 2 – Bonus-malus pension à partir de 2026
Situation | Taux appliqué | Conditions principales |
Départ après âge légal (2026) | +2 % par an | Bonus calculé sur la pension annuelle |
Départ après âge légal (2030) | +4 % par an | |
Départ après âge légal (2035) | +5 % par an | |
Départ anticipé sans 35 ans mi-temps | -2 à -5 % par an | Selon année de départ et niveau de carrière |
Carrière protégée contre malus | ≥ 7.020 jours à mi-temps | Maladie, soins = périodes assimilées |
Autres mesures :
Sous l’impulsion de David Clarinval, une réforme substantielle du marché du travail a été actée.
Tableau 3 – Réforme du marché du travail
Thématique | Nouvelle mesure | Détail |
Heures supplémentaires | 360/an (240 défiscalisées) | 450 heures dans l’horeca (360 défiscalisées) |
Travail de nuit | Fin de l’interdiction générale | Primes dues uniquement entre minuit et 5h |
Réglementation horaire | Allègement du règlement de travail | Plus d’obligation de reprise exhaustive des horaires |
Temps de travail minimal | Suppression du 1/3 temps | Plus de barrière à l’emploi court ou adapté |
Préavis de licenciement | Limitation à 52 semaines | Vise à favoriser la mobilité professionnelle |
Crédit-temps | Accessible dès 55 ans | Pour métiers lourds avec 35 ans de carrière |
RCC | Suppression générale | Maintien des RCC pour raisons médicales |
Digitalisation CCT 90 | Autorisée | Plan bonus numérisable |
Travail intérimaire | Simplification administrative | Plus d’obligation de constat d’intention |
Le gouvernement a adopté en première lecture la loi-cadre santé, mais a décidé de reporter son entrée en vigueur à 2028, avec une phase de concertation sectorielle obligatoire jusqu’en juillet 2027.
En cas d’échec des négociations avec les syndicats médicaux, le gouvernement reprendra la main pour imposer :
Pour calmer les tensions :
Tableau 4 – Loi-cadre santé (échéances et modalités)
Échéance | Étape prévue | Commentaire |
2026 | Concertation sectorielle ouverte | Objectif : accord sur les suppléments d’honoraires |
Juillet 2027 | Évaluation des négociations | En l’absence d’accord, intervention de l’État |
2028 | Entrée en vigueur de la loi-cadre | En parallèle avec la réforme des financements hospitaliers |
Autres dispositions :
La fusion des six zones de police bruxelloises est confirmée, malgré les tensions entre le MR et Les Engagés. Le budget initial de 55 millions d’euros sur 5 ans est considéré comme socle de base, avec clause de rendez-vous pour ajustement.
Le plan fédéral pour le climat a été adopté, en ligne avec les obligations européennes pour 2030. Objectif : -47 % d’émissions par rapport à 2005 dans les secteurs non ETS.
Mesures fiscales et incitatives :
Le gouvernement a validé un prêt de 61 millions € à Lineas, acteur privé du fret ferroviaire en grande difficulté. L’opération s’ajoute à un précédent renflouement de 96 millions €.
Tableau 5 – Autres volets de l’accord
Domaine | Mesure phare | Budget / Modalités |
Police | Fusion des zones bruxelloises | 55 millions € sur 5 ans, clause de révision budgétaire incluse |
Climat | Adoption du Plan national énergie-climat | Objectif : -47 % d’émissions hors ETS d’ici 2030 |
Fiscalité climatique | TVA réduite vélo, suppression prime camionnette | Suppression des incitants aux combustibles fossiles |
Entreprises | Déduction renforcée pour investissements verts | Budget mobilité élargi, soutien multimodalité |
Fret ferroviaire | Prêt à Lineas de 61 millions € | Après recapitalisation par actionnaires privés |
L’accord de l’été 2025 constitue bien plus qu’un simple compromis budgétaire ou programmatique. Il dessine une reconfiguration du socle social belge, en activant des leviers fiscaux, sociaux et économiques favorisant l’activité, la contribution et la responsabilisation.
Le travail devient plus attractif, la retraite plus conditionnée, les revenus assistés plus encadrés, et l’environnement réglementaire plus souple. Reste à voir si ce tournant sera durablement accepté et s’il produira les effets escomptés. D’ici là, les textes devront être adoptés, précisés, et suivis avec attention par tous les professionnels du chiffre et du droit.