L’adaptation des statuts des sociétés unipersonnelles au code des sociétés. Une formalité inutile et coûteuse ?

Notre nouveau code des sociétés et des associations (CSA) qui est entré en vigueur le 1er mai 2019 [1] a été introduit par la loi 23 mars 2019 [2]. Ce nouveau code bouleverse le cadre légal des sociétés notamment en supprimant certaines formes de sociétés et en modifiant certaines règles qui leur étaient jusque-là applicables.


INTRODUCTION

Pour les sociétés qui ont été constituées après l’entrée en vigueur du CSA, pas de problèmes, les nouvelles règles s’appliquaient, par définition, d’office.

Pour les sociétés constituées avant l’entrée en vigueur du nouveau CSA, la loi a prévu un régime transitoire précisant, entre autres, que toutes les sociétés devaient adapter leurs statuts au nouveau code des sociétés pour le 1er janvier 2024. L’échéance se rapprochant à grand pas, on assiste ces derniers temps à un rappel dans tous les médias où bon nombre de professionnels poussent, sans grande nuance, toutes les sociétés et leurs administrateurs à adapter leurs statuts avant la date du 31 décembre 2023.

Mais est-ce bien indispensable, voir raisonnable ? Est-ce que toutes les sociétés sont logées à la même enseigne ? Quand est-il de la personne qui a constitué une société unipersonnelle, dans laquelle il détient toutes les actions et qui, de surcroît, est le seul administrateur, voire des (anciennes) SPRL qui ne comptent que deux associés (actionnaires) dont l’un d’eux ne détient qu’une action ? Ces sociétés doivent-elles vraiment adapter leurs statuts ? Quel est le risque ? D’où vient cette polémique entre ceux qui affirment qu’il faut absolument le faire et ceux qui prétendent que cette formalité peut être ignorée sans grand risque ? Qu’en est-il de la position du ministre de la justice sur cette question. C’est ce que je vous propose de voir dans les quelques lignes qui suivent.


DATE ULTIME DE MISE A JOUR DES STATUTS ET ENTREE EN VIGUEUR AUTOMATIQUE DES DISPOSITIONS IMPERATIVES DE LA LOI : OU COMMENT CREER L’IMBROGLIO !

Une grande confusion provient de

  1. la date ultime donnée aux sociétés pour mettre leurs statuts en conformité avec le nouveau CSA,
  2. de la sanction prévue en cas de non-respect de cette obligation
  3. et d’une autre disposition prévoyant l’entrée en vigueur automatique des dispositions impératives insérées dans le nouveau code des sociétés.

Explications ...

L’article 39 §1 al.3 de la loi du 23 mars 2019 prévoit que toutes les sociétés existantes avant l’entrée en vigueur du CSA doivent mettre leur statut en conformité avec le nouveau cadre légal pour le 1er janvier 2024 au plus tard [3].

Afin de pousser les dirigeant d’entreprises à mettre leurs statuts en conformité avec le nouveau CSA, cette même disposition prévoit une sanction à l’encontre des organes d’administration de la société. Il y est, en effet, mentionné que ... « Les membres de l'organe d'administration sont personnellement et solidairement responsables des dommages subis par la société, l'association ou la fondation ou par des tiers résultant du non-respect de cette obligation. »

Cela étant quand on interroge certains professionnels sur les risques réels concrets qu’encourt une entreprise unipersonnelle ou une toute petite SPRL où il n’y a que deux actionnaires et leurs organes de gestion, du fait du non-respect de la mise en conformité des statuts on obtient une réponse souvent très évasive qui se termine toujours par « Il y a un risque théorique que ... »

L’imbroglio atteint son paroxysme lorsque l’article 39 §2 de la loi précise que pour toutes les sociétés qui n’auraient pas adapté leurs statuts au nouveau cadre légal, toutes les dispositions impératives du CSA deviennent applicables à compter du 1er janvier 2020 et que les clauses statutaires des sociétés qui seraient contraires à ces dernières sont réputées non écrites [4].

Aussi bon nombre d’actionnaires, d’administrateur ou gérants de petite société se sont très logiquement dit, à juste titre, mais pourquoi devrait-on adapter nos statuts d’ici le 01/01/2024 puisque la loi dit elle-même que les dispositions impératives du CSA s’appliquent aux sociétés et que les clauses contraires sont réputées non écrites ... !?

Il faut dire que l’argument est, a priori, sans appel.


QUAND LARGUMENT EST RELAYE PAR LE MONDE ACADEMIQUE POUR LES SOCIETES UNIPERSONNELLES...

On peut, en effet, lire dans un récent article de la revue « Trends » [5], un interview de Mr. Joeri Vananroye, professeur en droit des sociétés à la KUL qui défend clairement l’idée que les sociétés ayant un associé unique peuvent ignorer cette exigence « ... sans risque de sanctions importantes » [6].

Dans cet interview, le professeur précise que l’exigence d’une mise en conformité des statuts pour ces sociétés, constitue « ... une intervention inutile et beaucoup trop coûteuse».

Mieux encore, la revue rapporte que le professeur estime qu’« ...un délinquant rationnel peut penser que cette règle ne doit pas être suivie s’il n’y a aucune sanction effective ... ».


ET CONFIRME PAR LE VICE-PREMIERMINISTRE ET MINISTRE DE LA JUSTICE!

L’intervention du professeur Vanaroye aurait pu rester anecdotique, voire isolée car il est, en effet, un peu culotté et assez rare, disons-le, de voir un professeur d’université conseiller de ne pas respecter la loi !

Mais voilà que très récemment, le 14 mars dernier, le Vice-Premier Ministre et Ministre de la Justice questionné par une parlementaire, Madame Katrien Houtmeyers, précisément sur le même sujet, confirme la position avancée par le Professeur. La question parlementaire et la réponse sont reproduites ci-après. [7]





PAS DE GENERALISATION HATIVE DU RAISONNEMENT A TOUTES LES SOCIETES.

Si on peut comprendre tant la situation et que le raisonnement qui précède, on se gardera bien toutefois d’appliquer ce même raisonnement à tous les cas d’espèce et pour toutes les sociétés.

Pourquoi ?

Parce que d’autres éléments peuvent entrer en ligner de compte, dont par exemple :

Au-delà du droit, il y a tout d’abord un élément psychologique qui peut jouer. En effet, on ne peut contester l’idée que le fait de ne pas adapter les statuts de sa société « au droit des sociétés » peut donner une image quelque peu écornée d’une entreprise vis-à-vis des tiers, voir une forme de désintérêt des gestionnaires pour ce qui concerne l’organisation et la structure juridique de l’entreprise. Bref, une image de manque de sérieux qui peut impacter négativement la vision que certains partenaires commerciaux peuvent avoir. Si cet impact est relativement minime pour certaines activités, elle peut néanmoins être handicapante si l’entreprise a pour client des institutionnel, voire souhaite répondre à des appels d’offres pour certains marchés publics.

Pour les entreprises qui comptent plusieurs actionnaires, le problème de non mise en conformité des statuts peut se poser avec plus d’acuité, puisqu’en cas de contestations entre eux, les statuts risquent de ne plus donner de vue claire des règles qui pourraient s’appliquer. Pour les sociétés fonctionnant avec d’anciens statuts, on pourrait, en effet, se trouver avec :

  • soit, des statuts contenant des dispositions qui sont en contradiction avec les dispositions impératives ou d’ordre public du code des sociétés auxquels cas ces dispositions statutaires ne sont pas applicables [8 : ces dispositions étant réputées non écrites.
  • soit, des statuts ne permettent pas l’application de dispositions légales supplétives car justement en contradiction avec ces dispositions du code des sociétés.

On retiendra, par ailleurs, que depuis le 01/01/2020, la partie libérée du capital ainsi que la réserve légale des anciennes SPRL (aujourd’hui SRL), ainsi que la partie fixe du capital et la réserve légale des SCRL ont été convertis de plein droit en (un compte de) fonds propres indisponibles. Or sur un plan pratique bon nombre de d’actionnaires peuvent souhaiter convertir ce compte en un compte de fonds propres disponibles. La raison en est simple. C’est la possibilité de se faire rembourser ses apports initiaux sans grande formalité alors que par le passé une telle opération nécessitait une réduction de capital avec toutes les contraintes que cela imposait (passation d’un acte notarié, frais d’acte, délai d’attente, ...). En optant pour un compte de fonds propres disponibles, le remboursement pourra se faire sans modification statutaire, par simple décision de l’assemblée adoptée à la majorité des voix [9].

Une autre raison qui doit forcer la réflexion de l’adaptation des statuts réside dans la disparition d’un certain nombre de forme sociétaires prisées par le passé. Ainsi en est-il, a fortiori, des sociétés en commandite, des groupements d’intérêt économique, des sociétés agricoles, de la société interne, des sociétés coopératives à responsabilité illimitée, des SPRL Starter, des sociétés momentanées, des sociétés en participations, ...

Prenons deux exemples concrets.

Jusqu’il y a peu de très nombreuses sociétés en commandite par actions ont été utilisées dans le monde des PME notamment comme société faitière pour organiser l’activité d’une ou plusieurs entités. La raison en était simple et résidait dans le haut niveau de contrôle dans la gestion de cette société (gérant quasi-irrévocable disposant d'un droit de veto). De nombreuses sociétés de patrimoine ont également pris cette forme juridique.

Or dans le cadre du régime transitoire du CSA, ce type de société a été supprimé. Les SCA existantes qui ne font rien pour adapter leurs statuts avant le 1er janvier 2024 seront automatiquement transformées en société anonyme (SA) à administrateur unique. Ce n’est sans doute par la meilleure solution d’autant plus que le cadre de la nouvelle SRL permet d’adapter les statuts de cette dernière quasiment comme on le souhaite, voire beaucoup mieux encore par rapport au cadre d’une ancienne SCA !.

Si on regarde du côté des sociétés coopératives, cette forme de société n'a pas été supprimée mais son accès est désormais limité. On sait que cette forme a été prisée pendant tout un temps pour organiser et fédérer l’activité de professionnels, notamment dans certaines professions libérales. Ceux qui veulent désormais encore utiliser cette forme de société devront s'approprier « l'idéologie coopérative ». L'article 6:1 §1 du CSA précise à cet effet que : «La société coopérative a pour but principal la satisfaction des besoins et/ou le développement des activités économiques et/ou sociales de ses actionnaires ou bien de tiers intéressés notamment par la conclusion d'accords avec ceux-ci en vue de la fourniture de biens ou de services ou de l'exécution de travaux dans le cadre de l'activité que la société coopérative exerce ou fait exercer.» La question de savoir si les professions libérales (comptables, conseils fiscaux, avocats, réviseurs, etc.) peuvent encore exercer leurs activités professionnelles sous la forme d'une société coopérative a fait couler beaucoup d’encre. De nombreux auteurs de droit des sociétés ont répondu à cette question par la négative. En réalité, avec toutes les possibilités offertes par le nouveau CSA aux SRL, cette question est plus d’ordre académique que réellement pratique. En effet, de nouveau, depuis l'introduction du CSA, la SRL peut également être parfaitement adaptée aux besoins spécifiques d'un coopération professionnelle. Dans le cadre d’une SRL, il est ainsi parfaitement possible, entre autres, de donner un poids et/ou des droits différents aux actions émises que ce soit au niveau des droits de vote ou de la répartition des bénéfices, de réglementer de manière flexible l'entrée et la sortie des actionnaires, de prévoir une démission à charge des fonds de l’entreprise, etc.


CONCLUSIONS

On doit se garder de préconiser des positons à l’emporte-pièce, que ce soit dans un sens ou un autre. Chaque situation est particulière. Comme l’a fait le professeur Vanaroye, il faut dénoncer les formalités croissantes à charge des entreprises qui ne servent, in fine, à pas grand-chose, et, surtout éviter de préconiser des démarches administratives sans en expliquer les avantages et inconvénients concrets, pratiques et tangibles !

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[1] Art. 38 loi

[2 M.B. 4 avril 2019

[3] Art 39 §1 al. 3 « Les sociétés, associations et fondations ... doivent mettre leurs statuts en conformité avec les dispositions du Code des sociétés et des associations à l'occasion de la première modification de leurs statuts après le 1er janvier 2020 ... Dans tous les cas, les statuts doivent être mis en conformité avec les dispositions du même Code au plus tard le 1er janvier 2024. »

[4] Art. 39 § 2 « A partir du 1er janvier 2020 ou, pour les sociétés, associations ou fondations qui ont fait usage de l'option prévue au paragraphe 1er, alinéa 2, à partir de la publication de la modification des statuts visée dans cet alinéa, les dispositions impératives du Code des sociétés et des associations deviennent applicables. Les clauses des statuts contraires aux dispositions impératives du Code des sociétés et des associations sont réputées non écrites à dater de ce jour. Les dispositions supplétives du Code des sociétés et des associations ne deviennent applicables que si elles ne sont pas écartées par des clauses statutaires. A compter de ce jour la partie libérée du capital et la réserve légale des sociétés à responsabilité limitée et la partie libérée de la part fixe du capital et la réserve légale des sociétés coopératives à responsabilité limitée sont converties, de plein droit et sans accomplissement d'aucune formalité, en un compte de capitaux propres statutairement indisponible. La partie non libérée du capital des sociétés à responsabilité limitée et la partie non libérée de la part fixe du capital des sociétés coopératives à responsabilité limitée sont converties de la même manière en un compte de capitaux propres "apports non appelés". Lors de la libération, les montants versés seront comptabilisés dans le compte "capitaux propres" indisponible. »

​[5] Trends, 20/02/2023, Hans Brockmans « Nouvelle loi sur les sociétés unipersonnelles : N’hésitez pas à ignorer cette procédure inutile et coûteuse ». Et en néerlandais.

[6] De nouveau, l’interview ne précise pas les risques dont il serait question. Cela étant c’est surtout la suite de l’interview qui est important et beaucoup plus clair.

[7] Question n° 1786 de Madame la députée Katrien, Houtmeyers du 24 mars 2023 (N.) au Vice-Premier, ministre et ministre de la Justice, chargé de la Mer du Nord.

[8] Bien évidemment pour faciliter les choses, le législateur lorsqu’il a adopté le nouveau code des sociétés et des associations n’a pas précisé concrètement qu’elles étaient les dispositions impératives de celles qui ne l’étaient pas. Aussi, il n’est pas toujours évident de dire à toute première lecture quand une disposition est impérative et quand elle n’est que supplétive !

[9] Depuis l’avènement du code des sociétés, il faudra toutefois tenir compte du double test. En outre, il ne faut pas perdre de vue que même dans le cas où le compte de fonds propres a été rendu disponible, le double test devra toujours être effectué en cas de distribution aux actionnaires : le test « de l'actif net » (article 5:142 CSA) et le test « de liquidité » (article 5:143 CSA).

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