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Chronique de jurisprudence – novembre 2025: contrôle, sanctions, sécurité juridique et établissement stable TVA

I. Pouvoirs de contrôle : légitimité et encadrement

I.1. Contrôle sur place (Gand, 6 mai 2025, RG 2024/RG/290)

Dans cette affaire, la société contestait la visite de l’administration fiscale au siège de la société et l’ampleur du contrôle des frais professionnels déduits. La Cour d’appel de Gand a rappelé que les articles 315 et 319 CIR 92 confèrent au fisc un pouvoir général de vérification et que la visite sur place ne requiert pas une justification préalable détaillée — à condition qu’elle poursuive un but de vérification de la situation fiscale du contribuable.

Mais la Cour souligne aussi que ce pouvoir doit s’exercer dans un cadre proportionné, afin de respecter les garanties procédurales, condition que la Cour a estimée remplie en l’espèce, malgré la vérification d’un grand nombre de dépenses liées à des aménagements de locaux et à l’organisation de l’activité du contribuable. Ce dernier doit assumer les conséquences des choix qu’ils posent : la prise en charge des frais est susceptibles de faire l’objet d’une vérification par l’administration fiscale.

I.2. Saisie de données informatiques & secret professionnel (Gand, 24 juin 2025, RG 2024/AR/961)

Par un arrêt du 24 juin 2025, la Cour d’appel de Gand s’est prononcée sur l’étendue du droit de l’administration fiscale à consulter des données informatiques copiées lors d’une visite domiciliaire, ainsi que sur la protection du secret professionnel et le droit de ne pas s’auto‑incriminer.

L’affaire concernait une filiale belge d’un groupe international de e‑commerce. À la suite de visites menées par l’ISI sur base des articles 319 CIR 92 et 63 Code TVA, l’administration avait procédé à la copie intégrale de données numériques, y compris de boîtes mail professionnelles. La société contestait cette saisie, invoquant le secret professionnel et les articles 6 et 8 CEDH ; le fisc sollicitait la levée des scellés pour exploiter les données.

La Cour rappelle que l’administration ne dispose que des pouvoirs conférés par la loi (article 105 Constitution). Elle admet la consultation des données pertinentes sur le plan fiscal, tout en imposant un filtrage préalable des correspondances protégées par le secret professionnel, en ce compris les experts-comptables. Le séquestre doit soumettre les échanges avec les avocats au bâtonnier ou à l’ITAA, selon le ou les professionnels concernés, qui décident de leur confidentialité. Les messages reconnus comme tels doivent être restitués sans lecture par l’administration.

Enfin, la Cour rejette l’argument tiré du principe nemo tenetur se ipsum accusare. Le droit à ne pas s’auto‑incriminer ne fait pas obstacle à l’obligation de collaboration dans un contrôle fiscal, dès lors que la production de documents ou données préexistants ne résulte pas d’un acte de volonté incriminant. La levée partielle des scellés n’est pas non plus assimilée à une fishing expedition interdite.


II. Sanctions fiscales

II.1. Force majeure & dépôt tardif (Bruxelles, 24 juillet 2025, rôle n°2021/6353/A)

La demanderesse, une société active dans l’architecture d’intérieur et les travaux de finition, avait déposé tardivement sa déclaration à l’impôt des sociétés pour l’exercice d’imposition 2019.
L’administration fiscale avait établi une imposition d’office, assortie d’un accroissement d’impôt pour récidive (4e infraction) en application de l’article 225 de l’AR/CIR 92, et appliqué la limitation de la déduction des pertes prévue par l’article 207, alinéa 7, CIR 92.

La société a marqué son accord sur la notification d’imposition d’office du 24 septembre 2020. Toutefois, elle a ensuite introduit une réclamation en invoquant un cas de force majeure.

Le tribunal :

  • Admet que les circonstances invoquées (accident, incapacité médicale prolongée, situation familiale isolée) constituent un cas de force majeure, au sens du droit fiscal, c’est-à-dire un événement imprévisible et insurmontable empêchant temporairement l’exécution de l’obligation de déposer la déclaration ;
  • Constate que pour les exercices d’imposition 2013, 2016 et 2018, aucun accroissement n’avait été effectivement appliqué, bien que des retards aient été constatés ; dès lors, aucune infraction antérieure n’était sanctionnée, et l’administration ne pouvait retenir une 4e infraction justifiant une majoration de 50 % ;
  • Rappelle que le consentement à la taxation d’office n’équivaut pas à une renonciation aux droits de recours : même si la société avait approuvé la notification d’imposition, cela n’empêche pas d’invoquer la force majeure pour contester la validité des accroissements appliqués.

II.2. Légalité des sanctions : questions préjudicielles (Gand, 6 mai 2025, rôle n° 2023/AR/1356)

L’appelante, une société à responsabilité limitée, n’a pas déposé sa déclaration à l’impôt des sociétés pour l’exercice d’imposition 2020 dans le délai légal. Après plusieurs rappels restés sans effet, la déclaration a finalement été introduite le 9 avril 2021 et l’administration fiscale a alors établi une imposition d’office (article 351 CIR 92) sur la base de la déclaration déposée tardivement, tout en appliquant l’interdiction de déduction des pertes antérieures prévue à l’article 207, alinéa 7, CIR 92.

La Cour constate toutefois que l’imposition d’office est une procédure facultative (la loi emploie le terme « peut » à l’article 351 CIR 92) et que cette latitude a pour effet que deux contribuables en situation identique (déclaration tardive, sans modification du résultat fiscal) peuvent se voir appliquer des régimes différents :

  • l’un peut bénéficier de la déduction des pertes antérieures si l’administration n’applique pas l’article 351 ;
  • l’autre en est privé si elle décide d’y recourir.

La Cour d’appel de Gand sursit donc à statuer et pose deux questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle, sur l’opportunité laissée à l’administration de recourir à la procédure de taxation d’office

Ces questions sont différentes de celles qui avaient déjà été soumises à la Cour constitutionnelle, qui avait validé la compatibilité de l’article 207, al. 7 CIR 92 et de la discrétion laissée à l’administration fiscale d’abandonner les accroissements d’impôt prévu à l’article 444 CIR92 en cas de première infraction sans intention d’éluder l’impôt, avec les principes de légalité, d’égalité et non-discrimination et les garanties d’un procès équitable dans un arrêt n° 90/2025 du 19 juin 2025.


III. Responsabilité de l’Etat et maintien des effets

La Fairness Tax, instaurée par la loi du 30 juillet 2013, avait été annulée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 1er mars 2018 (n°24/2018), qui avait toutefois maintenu les effets de la taxe pour le passé (les exercices 2014 à 2018) et ce « pour tenir compte des difficultés budgétaires et administratives et du contentieux judiciaire qui pourraient découler de l’arrêt d’annulation ».

La Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 5 septembre 2025, que la responsabilité civile de l’État ne peut être retenue lorsque la loi annulée a vu ses effets maintenus par la Cour constitutionnelle, cette décision rompant tout lien causal entre une éventuelle faute de l’Etat belge et le dommage subi par les contribuables, selon la Cour de cassation.

Pour rappel, la Cour constitutionnelle avait également annulé la première version de la Taxe sur les comptes-titres en maintenant ses effets, pour les mêmes motifs que ceux invoqués dans le cadre de la Fairness tax (arrêt n° 138/2019 du 17 octobre 2019).

Le maintien des effets d’une norme déclarée inconstitutionnelle est autorisé en vertu de l’article 8, alinéa 3 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 mais la Cour doit motiver cette décision. Dans ce cadre, le recours à des considérations générales, telles que celles invoquées dans le cadre de la Fairness Tax ou de la Taxe comptes-titres, pourraient ne plus suffire. C’est du moins en ce sens que la Cour constitutionnelle s’est récemment prononcée alors que le Conseil des ministres invoquait ces motifs pour maintenir les effets des normes soumises à la Cour constitutionnelle (arrêts n°86/2025 du 12 juin 2025 et 117/2025 du 18 septembre 2025).


IV. Notion d’établissement stable TVA

La Cour d’appel de Liège a confirmé dans un arrêt du 6 juin 2025 (rôle n°2020/820), dans la lignée des arrêts Cabot Plastics Belgium SA (C-232/22) et Adient (C-533/22), qu’un travailleur à façon belge ne constitue pas un établissement stable d’un donneur d’ordre étranger au regard de la TVA.

Une société belge réalisait, pour une société suisse du même groupe, la transformation de matières premières, ainsi que des prestations logistiques (stockage, expédition, contrôle qualité). L’administration avait estimé que la société belge mettait à disposition de la société suisse des moyens matériels et humains suffisants pour caractériser un établissement stable en Belgique, c.-à-d. un établissement présentant un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, comportant des moyens humains et techniques, permettant de recevoir et d’utiliser les services pour les besoins propres de cet établissement (article 11, §1 du Règlement d’exécution (UE) n°282/2011).

La Cour rejette cette analyse. Selon elle, les moyens du façonnier (usines, entrepôts, personnel) ne sont pas « mis à disposition » du donneur d’ordre « comme s’ils étaient les siens », mais utilisés par le prestataire pour exécuter son propre contrat. En rappelant la jurisprudence Berlin Chemie (C-333/20), la Cour souligne que les mêmes moyens ne peuvent simultanément servir à fournir et à recevoir des services.

La Cour d’appel écarte donc l’existence d’un établissement stable de la société suisse en Belgique et confirme que les prestations du façonnier échappent à la TVA belge.

Cet arrêt clôt la controverse sur la qualification TVA des activités de travail à façon au sein des groupes internationaux : la simple exclusivité contractuelle ou la mise en œuvre de moyens logistiques ne suffisent pas à fonder un établissement stable, seule la mise à disposition effective des moyens au profit du preneur étant déterminante.

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