Jusque dans les années 1980, nous partagions le temps et le travail accompli, dans le sillage de la reconstruction d’après-guerre. Puis nous avons commencé à les négocier en anticipant le futur. C’est d’ailleurs le rôle des marchés financiers de traiter leur formulation. Le passé est devenu superflu et le présent inutile, au profit de vains espoirs d’un futur meilleur. La flèche du temps a subi une torsion : on a voulu plus de tout, partout et tout de suite.
Nous avons tout anticipé : la dette publique qui nous a offert un bien-être éphémère au détriment des générations futures, la dette écologique qui se soldera par des catastrophes et des migrations, la dette de la tempérance sociale qui se paiera plus tôt que tard par des troubles. Nous avons inversé le sens du temps et le futur nous présentera le prix de son emprunt.
Mon intuition est que nos sociétés s’inscrivent dans une ambivalence schizophrénique. Elles accélèrent leurs emprunts au futur tout en ressentant au fond d’elles-mêmes l’imminence de sa finitude.
Victor Hugo (1802-1885) écrivait : « L'avenir, fantôme aux mains vides, qui promet tout et qui n'a rien. »
Ce futur nous confine à ses finitudes et nous confronte à nos propres incohérences. C’est une pulsion de mort qui nous pousse, par prédation, à sacrifier nos descendances pour les protéger contre les autres. Le monde est insupporté de sa surpopulation, de son vieillissement, de son avenir économique assombri, de ses passés engloutis et de ses mensonges.
Alors, il cherche des hommes qui simplifient son avenir à coup de puissances, de religions, etc., bref de puretés sacrificielles et autres eaux lustrales. Ivres de pouvoirs financiers et religieux, certains déclarent la guerre à l’apaisement, à la solidarité, au respect et à tout ce qui est nécessaire pour des communautés qui se sont, depuis des décennies, mélangées.
William Shakespeare avait écrit dans King John (Le Roi Jean) : « So foul a sky clears not without a storm. » Un ciel aussi sombre ne s'éclaircit pas sans une tempête.