L’arrêt rendu par la cour d’appel de Gand le 27 mai 2025 (5e chambre) s’inscrit dans la saga des polices de branche 23 dites « à fonds dédié » commercialisées par Private Insurer (PI), ultérieurement reprise par P&V Assurances.
Derrière l’apparence de contrats d’assurance-vie de placement, ces produits permettaient aux preneurs de conserver en pratique la maîtrise de la gestion de leur portefeuille. L’habillage assurantiel permettait d’échapper au précompte mobilier et à la taxe sur les opérations de bourse (TOB).
Après son rachat, P&V Assurances a pris l’initiative d’introduire en janvier 2021 plusieurs déclarations de régularisation (DLU quater) portant sur plusieurs centaines de contrats pour un montant global de 50 millions d’euros.
Cette démarche fut effectuée par l’assureur lui-même, et non par les preneurs. D’où un double débat : l’assureur avait-il qualité et intérêt pour régulariser ? Et pouvait-il ensuite imputer le coût de cette régularisation aux clients concernés ?
La cour répond par l’affirmative, en retenant l’intérêt propre de la compagnie d’assurance.
En effet, dès lors que la police branche 23 était simulée — le preneur donnant directement ses instructions et conservant la maîtrise économique —, l’assureur risquait d’être exposé à une double responsabilité. Sur le plan pénal, il pouvait être poursuivi pour participation à un montage constitutif de fraude fiscale (art. 449 CIR 92). Sur le plan fiscal, il encourait la solidarité au paiement de l’impôt éludé et des intérêts (art. 458 CIR 92).
Cet intérêt personnel suffit à fonder la qualité de l’assureur pour recourir à la DLU quater, dont le bénéfice — immunité pénale et extinction des dettes fiscales couvertes — est précisément conçu pour toute personne qui a participé, même indirectement, au schéma frauduleux.
La démarche de régularisation n’était donc pas un « service » rendu au client, mais une mesure de protection propre à l’assureur. La cour souligne que, ce faisant, la compagnie a également régularisé la situation fiscale du preneur, mais il s’agit d’un effet accessoire.
La seconde question était celle du transfert de charge. Ici aussi, la cour admet le principe, mais sur un autre fondement : les conditions générales du contrat.
Celles-ci prévoyaient que « toutes taxes, contributions et charges, de quelque nature que ce soit, grevant primes, avoirs ou produits » étaient à charge du preneur et pouvaient être imputées sur les actifs du fonds interne.
Même si la DLU quater ne constitue pas à proprement parler une « taxe » (Cass., 25 juin 2021, F.18.0083.N), elle reste une charge née de la nécessité de régulariser l’impôt éludé. Elle entre donc dans le champ de ces clauses. Surtout, l’impôt régularisé correspondait à celui qui était dû par le preneur en sa qualité de bénéficiaire réel des revenus (art. 261, al. 1er, 1° et 2°, CIR 92) et de redevable de la TOB (art. 120 C. dr. et taxes divers).
La cour en déduit que la compagnie pouvait prélever le montant de la régularisation sur le fonds, sans qu’il y ait violation des droits du client.
L’enseignement de l’arrêt de Gand est double. D’une part, un assureur peut régulariser : parce qu’il est exposé personnellement aux risques pénaux (art. 449 CIR 92) et fiscaux (art. 458 CIR 92), il a qualité et intérêt pour introduire une DLU quater, même si le client n’y consent pas. D’autre part, il peut en imputer le coût au client, à condition que les conditions générales du contrat prévoient clairement une telle possibilité, ce qui était le cas ici.
Le débat n’oppose donc pas un « fraudeur » à un tiers innocent : il met en lumière la position ambiguë des intermédiaires financiers impliqués dans des montages simulés. Ceux-ci ont le droit — et, d’une certaine manière, le devoir — de régulariser pour se couvrir, mais peuvent ensuite répercuter la charge fiscale sur celui qui est le véritable redevable : le client.
Cette solution rejoint d’ailleurs la jurisprudence rendue dans des affaires analogues (not. Liège, 18 septembre 2024 ; Bruxelles, 12 avril 2024), confirmant que les juridictions belges tendent à valider la combinaison entre initiative de régularisation par l’assureur et transfert des coûts vers le preneur.
L’arrêt de la cour d’appel de Gand du 27 mai 2025 clarifie un double enjeu. D’une part, l’assureur qui découvre, après reprise ou audit interne, que certaines polices branche 23 dissimulaient en réalité des conventions de mandat, a qualité et intérêt à initier une régularisation fiscale : il protège ainsi sa propre responsabilité, tant pénale (art. 449 CIR 92) que solidaire (art. 458 CIR 92). D’autre part, cette régularisation ne constitue pas une faveur accordée au client, mais le règlement d’un impôt qui lui incombait. Dès lors que les conditions générales du contrat prévoient que toutes taxes et charges sont mises à sa charge, l’assureur est fondé à imputer le coût de la régularisation au preneur.
L’affaire jugée à Gand esquisse peut-être une tendance nouvelle et préoccupante : celle d’intermédiaires financiers, assureurs ou banquiers devenant, malgré eux, les initiateurs de la régularisation fiscale, tout en faisant supporter le coût à leurs clients.