Nouveau chapitre de la saga du registre UBO : l’Arrêté royal du 23 septembre 2020

L’implémentation du registre UBO belge est devenue une véritable saga. Outre le fait que le délai pour la première inscription ait été repoussé à trois reprises – la dernière fois par le biais d’une tolérance administrative –, plusieurs FAQ ont dû apporter différentes clarifications, et la mise en œuvre technique du registre a rencontré plusieurs problèmes de jeunesse. Depuis, tout le monde semble s’être familiarisé avec le registre UBO belge. Il était donc grand temps de remettre les points sur les « i » et d’éliminer les derniers détails techniques via un Arrêté royal complémentaire du 23 septembre 2020 (ci-après « l’AR »).



Selon le (succinct) Rapport au Roi, l’AR vise à rendre le précédent Arrêté royal du 30 juillet 2018 parfaitement conforme aux dernières évolutions législatives, et ce, en apportant un certain nombre de corrections techniques et linguistiques (?!). Selon le rapport, c’est également dans ce cadre que les dispositions relatives à la protection des données à caractère personnel sont modifiées pour devenir conformes au cadre juridique actuel, tenant ainsi compte des avis du Conseil d’Etat et de l’Autorité de protection des données.


A y regarder de plus près, l’AR a pourtant des conséquences importantes, surtout sur le plan de l’accès au registre. Nous reprenons ici ces principales modifications.


Le bénéficiaire effectif indirect


Dans le régime initial, seul le pourcentage dit pondéré devait être enregistré par les sociétés en ce qui concerne un bénéficiaire effectif indirect, c'est-à-dire un bénéficiaire effectif qui possède ou contrôle le Redevable d’information par l'intermédiaire d'une ou plusieurs entités juridiques. En vertu du nouvel AR, doivent désormais être enregistrés tous les pourcentages de participation de l'UBO dans chacune des entités intermédiaires, et donc à chaque niveau de la structure de contrôle ou de propriété. En pratique, cette nouvelle règle entérine le système informatique actuel, qui rendait déjà obligatoire l'enregistrement des pourcentages de participation de l’UBO dans l'entité intermédiaire et des pourcentages de participation que les entités intermédiaires détenaient l’une dans l’autre. En d'autres termes, le texte de l’AR est mis en conformité avec la FAQ et avec le système informatique.


Obligation de documentation


Les sociétés, A(I)SBL, fondations, trusts, fiducies et constructions similaires (le terme « entités » a été remplacé par le terme « constructions » par l’AR), en bref tous les Redevables d’information, seront désormais tenus de fournir tout document démontrant que les informations contenues dans le registre sont adéquates, exactes et actuelles. Dans les quatre premières versions de la FAQ, il était déjà prévu que les informations enregistrées devaient être étayées par des documents probants, et il était ainsi fait référence, entre autres, à une copie de la carte d'identité ou du passeport de l'UBO, à l'acte de constitution et aux statuts de la société, et au registre des actionnaires.


Dans la pratique, cette charge administrative avait toutefois suscité de vives protestations, d'autant plus que l’obligation de télécharger des documents probants au moment de l'enregistrement n'avait pas été imposée par l’Arrêté royal du 30 juillet 2018. Comme la première version du système informatique imposait le téléchargement des documents probants, des documents vierges ont d’abord été joints à l'enregistrement par les Redevables d’information. Dans sa FAQ du 2 avril 2019, le Trésor public avait donc abandonné sa position relative à l'ajout obligatoire de pièces jointes.


Avec les nouvelles modifications de l’AR, chaque Redevable d’information sera désormais obligé de fournir les documents probants relatifs aux informations enregistrées. Concrètement, cela signifie également que tous les Redevables d’information devront remplir cette obligation administrative additionnelle pour les informations des UBO déjà enregistrées, et ce le plus rapidement possible compte tenu de la date d'entrée en vigueur de l’AR le 11 octobre 2020.


En revanche, en ce qui concerne les trusts, fiducies ou autres constructions similaires dont les informations de l’UBO auraient déjà été enregistrées dans un registre similaire d'un autre État membre, il suffirait de fournir un extrait de ces informations et, dans ce cas, il n'y aurait aucune obligation de télécharger des documents démontrant le caractère actuel et exact de ces informations.


Les trusts et similaires dans le BCE


Un autre changement notable introduit par l’AR est l'enregistrement préalable et obligatoire, auprès de la BCE, des trusts, fiducies et constructions juridiques similaires Redevables d’information.


Ceci s’explique par le fait que le système informatique ne permet l'enregistrement du Redevable d’information et de ses UBO que sur base d'un numéro BCE. Selon le Rapport au Roi, il s'agit donc d'un ajout nécessaire pour rendre opérationnelle la transposition de l'article 31, alinéa 3bis de la quatrième directive. L'inscription au registre ne peut donc plus que se faire par le biais du numéro d'identification unique attribué suite à l'inscription à la BCE.


À noter que cela signifierait qu'un trust ou une fiducie étrangers devrait se conformer à l'article III.16 du Code de droit économique belge. La question se pose de savoir si le législateur belge peut faire respecter cette obligation à l'égard d'un trust, d'une fiducie ou d'une construction similaire étrangers.


Accès au registre


Les changements les plus importants se situent au niveau de l'accès au registre. Tout d'abord, outre les informations enregistrées actuelles, l'historique complet des enregistrements pourra également être consulté. L'historique pouvait déjà être consulté dans le système informatique sous l'onglet « aperçu des modifications ». Bien que l’AR autorise désormais le fait que cet onglet reste consultable dans le registre de l'UBO, cet onglet continue de contenir des informations problématiques. En effet, il indique notamment l'identité de la personne qui a effectué l'enregistrement. Or, si l'enregistrement a été effectué par un mandataire, cet onglet peut potentiellement violer le secret professionnel de ce mandataire.


En outre, pour des raisons incompréhensibles, il est donné accès à chaque citoyen, indépendamment de la démonstration d'un intérêt légitime, aux données de certaines catégories d’A(I)SBL et de fondations du registre UBO. Il s'agit plus précisément des données du registre UBO suivantes : les membres du conseil d'administration, les personnes autorisées à représenter la fondation ou l'ASBL, les personnes chargées de la gestion quotidienne et le fondateur de la fondation.


Toutefois, les données des bénéficiaires et des autres personnes exerçant un contrôle par d'autres moyens sur l'A(I)SBL ou la fondation ne resteront accessibles au grand public que si un intérêt légitime peut être démontré. Le rapport au Roi précise que l’Arrêté royal du 30 juillet 2018 a été adapté ou complété conformément aux avis du Conseil d'État et de l'Autorité de protection des données. Toutefois, dans son avis du 2 février 2017, le Contrôleur européen de la protection des données est très clair à cet égard en indiquant, entre autres, que l'accès aux informations enregistrées devrait être limité aux entités chargées de faire respecter la loi et ce, au regard du principe de proportionnalité. Le Conseil d'État note également dans son rapport du 4 juillet 2018 que le fait d'accorder l'accès aux données UBO des A(I)SBL et des fondations, sans démontrer un intérêt légitime, peut être contraire à la directive européenne et au droit au respect de la vie privée. L’AR va donc beaucoup plus loin à cet égard.


Primauté du système informatique ?


La lecture de l’AR complémentaire peut donc donner l'impression que cet AR a « réglé » les problèmes initiaux qui existaient avec le système informatique déjà en place. Il apparaissait peut-être plus facile d'adapter l’AR que d’apporter quelques ajustements informatiques.


l est très critiquable que l'accès aux informations sur les UBO ait été sensiblement élargi, tant pour les autorités compétentes que pour le grand public, sans que cela ne soit suffisamment justifié au regard de la proportionnalité et de la mise en balance de ces ajustements aux apparences purement techniques.


En l'absence de dispositions spécifiques, l’AR est entré en vigueur le dixième jour qui a suivi sa publication, soit le 11 octobre 2020. Toutefois, on peut se demander dans quelle mesure les Redevables d’information seront à même de se conformer aux obligations susmentionnées dans les délais. Il faut donc s'attendre et espérer qu’une tolérance administrative sera (à nouveau) accordée.

En bref, avec l’AR du 23 septembre 2020, un nouveau chapitre de la saga du registre UBO se profile.

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Source : Tiberghien

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