Cette publication prend place dans le cadre du Tax TV Show de janvier 2024.
Le statut à l’égard de la TVA, des administrateurs, des dirigeants d’entreprises et des membres des conseils d’administration de société est depuis longtemps un problème qui tient du clair-obscur dans tous les États membres.
La CJUE a rendu un arrêt en date du 21 décembre 2023 (affaire C-288/22) suite à deux questions préjudicielles posée par une juridiction au Grand-Duché.
Brièvement, voici la situation examinée.
Me TP personne physique, est membre du conseil d’administration de plusieurs sociétés au Grand-Duché, une banque et des sociétés d’investissement dans le cadre de mandats de six révocables ad nutum.
Observons que la personne physique en question :
Il fournit des conseils stratégiques, et il discute par exemple la politique des risques au sein de ses sociétés.
Tout de suite, on peut identifier le motif sous-jacent au litige.
En effet, à partir du moment où l’administrateur de société va facturer avec TVA à des sociétés qui disposent d’un droit à déduction extrêmement réduit comme des banques ou des sociétés d’investissement, il y a une charge qui est représentée par la TVA non-déductible.
Il faut savoir que, quant au statut à l’égard de la TVA des membres du conseil d’administration, le Luxembourg défend une position générique à partir du 1er janvier 2017 en ce sens que tout administrateur de société (personne physiques ou personnes morale) est considéré comme un assujetti, de sorte que ces personnes sont tenues de facturer avec TVA luxembourgeoise au taux normal.
Au contraire, Me TP estime que ses rémunérations en tant que membre du conseil d’administration ne sont pas soumises à la TVA. En réalité, il considère qu’il n'agit pas de manière indépendante, alors que la condition relative à l'indépendante au sens de l'article 9 de la directive, TVA est une condition sine qua non de l'assujettissement à la TVA.
Il faut savoir que la position générique de considérer tous les administrateurs ou membres de conseil d’administration de sociétés en tant qu’assujetti est une position singulière luxembourgeoise.
Par exemple, en Belgique, le fisc a une conception différente à savoir qu’il considère que les personnes physiques sont des non-assujettis en raison du fait qu’elles n’agissent pas de manière indépendante tandis que les personnes morales sont considérées comme agissant de manière indépendante et sont donc assujetties en Belgique depuis le 1er juin 2016.
Tel n’a pas toujours été le cas en Belgique puisque depuis l’instauration de la TVA en 1971 jusqu’au 31 décembre 1992, les administrateurs de société étaient considérés comme des non-assujettis. A partir du 1er janvier 1993 jusqu’au 30 mai 2016, les personnes morales pouvaient opter pour un statut hybride, à savoir être considérées comme des assujettis mais dispensés d’identification à la TVA.
Les personnes physiques demeurent toujours des non-assujettis.
La discordance d’interprétation entre la Belgique et le Grand-Duché a provoqué de nombreuses controverses et avait fait couler beaucoup d’encres (voy. V. Bidoul, « Réflexions sur le traitement TVA des dirigeants d’entreprise », ACE, n°5, mai 2016, p. 1 –Y. Bernaerts, « La brume des administrateurs et gérants de sociétés », Actualités fiscales, n°38/2015, p. 4 - Y. Bernaerts, « Administrateurs et gérants de sociétés - Un régime TVA qui oscille ou qui vacille ? », Actualités fiscales, n°6/2015, p. 1).
Pour régler la première question qui lui est soumise, la CJUE va procéder en deux en deux phases.
D’abord vérifier si le membre du conseil d’administration en cause exerce bien bel et bien une activité économique, ce qui impose de se pencher sur la question des modes de rémunération. Les sommes versées sont-elles la contre-valeur effective d’une prestation de service ? Subséquemment, il convient de vérifier si la condition relative à la permanence des recettes est remplie.
Deux modes de rémunération sont prévus en contrepartie de l’activité de Me TP :
Le premier mode de rémunération ne pose pas beaucoup de problèmes. En effet, il y a incontestablement une somme forfaitaire qui est en lien direct et immédiat avec la prestation effectuée par l’administrateur. Disons tout de suite que la condition relative à la permanence des recettes est remplie puisqu’il dispose d'un mandat de 6 ans.
Quant au second mode de rémunération, la situation est moins évidente, puisqu’à partir du moment où il s’agit effectivement de tantièmes, la CJUE précise bien qu’il ne s’agit d’une contre-valeur effective à sa prestation que dans la mesure où même, en l’absence de bénéfice des tantièmes serait alloué à Maître TP sur base d’autres facteurs.
Je reviendrai sur la problématique de l’allocation des tantièmes un peu plus tard, en raison de la position actuelle du fisc en Belgique qui interroge après l’arrêt du 21 décembre 2023, rendu par la CJUE.
Je rappelle que l’article 9 de la directive TVA utilise le terme « quiconque » dans la définition de l’assujetti.
Quatre critères doivent être remplis pour vérifier l’indépendance (CJUE, arrêts du 27 janvier 2000, Heerma, C‑23/98, point 18 ; du 18 octobre 2007, van der Steen, C‑355/06, point 23 ; du 29 septembre 2015, Gmina Wrocław, C‑276/14, point 34 et du 12 octobre 2016, Nigl e.a., C‑340/15, point 28).
L'activité économique doit être accomplie par la personne :
En ce qui concerne les trois premiers critères, la CJUE impose de prendre en compte les règles de droit national applicables au Grand-Duché qui régissent la répartition des responsabilités entre les membres du conseil d’administration et les sociétés concernées.
Pour la CJUE, les conseils, les propositions rendues par Maître TP sont susceptibles d’engager à titre principal la responsabilité de la société. Elles sont donc formulées dans l’intérêt et pour le compte de cette dernière. Me TP agit donc pour le compte de la société.
C’est surtout le quatrième critère qui est décisif.
Me TP supporte-t-il effectivement le risque économique lié à l’exercice de cette activité ?
La CJUE considère que Me TP ne supporte pas le risque économique lié à sa propre activité puisque c’est la société elle-même, qui devrait faire qui devrait faire face aux conséquences négatives des décisions adoptées par le conseil d’administration, et qui, ainsi supportera le risque économique découlant de l’activité des membres de ce conseil.
En effet, selon les règles de droit national au Grand-Duché, les membres du conseil d’administration n’assument pas d’obligations personnelles en ce qui concerne les dettes de la société.
Plus simplement, il faut constater que l’activité de Me TP est en réalité très différente de celle d’un entrepreneur. En fonction de la législation luxembourgeoise et du mode de fonctionnement de son mandat, il apparaît que la décision de la CJUE est fondée sur le fait que Me TP n'a pas à craindre des pertes ou d'autres risques contrairement à une entreprise ou un assujetti ordinaire.
Il ne pourrait donc être question de risque économique dans son chef qu’à la condition qu’il disposerait dans le cadre de son activité, d’une « sorte de patrimoine », qu’il risquerait de perdre. Tel n’est pas le cas.
Le fisc luxembourgeois a réagi très rapidement. Dès le lendemain de l’arrêt de la CJUE, le 22 décembre, il a publié une circulaire suspendant avec effet immédiat, la taxation des administrateurs de sociétés Dans un second temps, par une publication du 15 janvier 2024 sur son portail, le fisc luxembourgeois a précisé que, dans la mesure où une personne s’estime concernée par l'arrêt de la CJUE, il lui appartient d'établir des factures rectificatives aux assujettis, preneurs de services.
En cas d’assujettissement erroné, une double restitution doit avoir lieu :
Quant au mode de rémunération via tantièmes
En Belgique, puisque seules les personnes morales y sont considérées comme des assujettis, il y a lieu de remarquer une position générique du fisc quant aux rétributions versées aux administrateurs personnes morales (émoluments fixes, tantièmes, jetons de présence). La TVA est d’office exigible.
Selon la cour d’appel de Bruxelles, « Le tantième désigne l’attribution aux administrateurs ou gérants de sociétés commerciales, d’une participation aux bénéfices des sociétés dans lesquelles ils exercent leur mandat et représente une des formes de rémunération possible du mandat d’un administrateur. Les tantièmes ne constituent pas la contrepartie directe des prestations effectuées par l’administrateur, ils sont versés conformément aux dispositions statutaires de la société ou par décision de l’assemblée générale. Ils sont variables d’une année à l’autre puisqu’ils dépendent directement du montant des bénéfices réalisés par la société au cours de la même période » (Bruxelles, 4 mai 2016, rôle 2013/AF/105).
Depuis que M. Tolsma a joué de l’orgue de Barbarie sur la voie publique à Leeuwaarden en présentant aux passants une sébile pour recueillir leur obole, nous savons que le lien direct entre la prestation et la contrepartie est rompu lorsque la rétribution est accordée de manière purement gracieuse et aléatoire de sorte que son montant est pratiquement impossible à déterminer (CJCE, arrêt du 3 mars 1994, Tolsma, C‑16/93, point 19).
Il n’y a pas non plus de base imposable à la TVA lorsque le montant de la contrepartie est difficilement quantifiable ou incertain au regard des circonstances entourant sa détermination (CJUE, arrêts du 27 septembre 2001, Cibo Participations, C‑16/00, point 43 ; du 10 novembre 2016, Baštová, C‑432/15, point 35 et du 9 février 2023, Finanzamt X (Prestations du propriétaire d’une écurie), C‑713/21, point 32)
Le caractère incertain (éventuel, occasionnel et conditionnel) lié à l’obtention d’une contrepartie est un élément à prendre en considération lorsque la rémunération est versée sous forme de tantièmes.
Il semble ressortir maintenant de la conjugaison des points 39 et 46 de l’arrêt du 21 décembre 2023 de la CJUE que la perception de tantièmes sensu stricto en Belgique ne participe pas au chiffre d’affaires au sens de la TVA et partant, devrait demeurer exclue du champ d’application de la TVA.
En effet, dans le cas où une société ne réalise pas de bénéfice dans l’hypothèse où la rémunération accordée à la personne morale administrateur de cette société a exclusivement pris la forme de tantièmes, la condition de permanence des recettes est absente et l’assujettissement à la TVA est inenvisageable.
Personnes physiques
Selon les règles de droit national au Grand-Duché, des membres du conseil d'administration tels que Me TP n'assument pas d'obligations personnelles en ce qui concerne les dettes de la société, ce qui empêche la réalisation du 4ème critère de l’assujettissement.
Tel n’est pas le cas en Belgique pour les dirigeants de la société chargés de la gestion journalière de la société. Ils sont solidairement responsables du payement de la TVA, si le manquement est imputable à une faute au sens de l’article 1382 du Code civil qu’ils ont commise dans la gestion de la société (article 5 du Code du recouvrement).
Le non-paiement, répété par la société de la TVA est, sauf contraire, présumé, résulté d’une telle faute.
Par inobservation répétée de l’obligation de payement, on entend en matière de TVA, le défaut de payement d’au moins, soit trois, soit deux dettes exigibles au cours d’une période d’un an, selon qu’il s’agit respectivement d’un assujetti tenu au dépôt de déclaration mensuelle ou trimestrielle.
Faudrait-il donc considérer qu’au Grand-Duché et en Belgique, certains administrateurs de sociétés personnes physiques agissent de manière indépendante ?
Le dernier mot n’est pas dit, mais il est pratiquement établi que le fisc belge maintiendra sur ce point sa position de toujours, à savoir que les administrateurs personnes physiques n’agissent pas de manière indépendante.
Pour les aficionados, une étude complète de ma plume sera publiée dans le prochain numéro du RGFCP.