Cette publication prend place dans le cadre du Tax TV Show de janvier 2024.
La Turquie est sérieusement entrée en piste, les plates-formes de commerce économique et de location entrent dans la danse, mais l’administration n’a pas forcément raison en termes de délais d’investigation et d’enrôlement…
Le standard commun d’échange d’informations (en anglais Common Reporting Standard ou CRS) est maintenant une réalité de terrain bien établie.
La majeure partie de la communauté des états a en effet adopté depuis 2016, sous l’impulsion des Etats-Unis, un standard commun d’échange d’informations en vertu duquel les états ayant signé de tels accords collectent les informations relatives aux avoirs, patrimoines et revenus professionnels, mobiliers et immobiliers des non-résidents pour les centraliser et les envoyer de manière annuelle et automatique à l’état dans lequel ces derniers ont établi leur résidence fiscale.
Les contrôleurs des dits contribuables n’ont dès lors plus qu’à leur adresser une demande d’information dont le modèle est fort complet et établir en fonction de l’information reçue une imposition pouvant remonter à 5 ans à compter de l’année de la déclaration, ce délai étant porté à 7 ans lorsqu’ils considèrent que l’absence de déclaration est volontaire et révèle une intention d’éluder un impôt que l’on savait parfaitement dû.
Ils disposent par ailleurs d’un délai de 24 mois à compter de la réception de l’information émanant de l’état étranger pour investiguer et établir l’imposition.
En pratique, l’administration fiscale applique ce délai de manière systématique et enrôle, outre l’impôt, des accroissements au taux usuel de 50 %, soit l’accroissement applicable en cas de déclaration volontairement inexacte établie avec l’intention d’éluder l’impôt.
Sur le terrain, si cet échange de renseignements fonctionne globalement fort bien, on a pu constater que certains pays, ayant pourtant signé des conventions d’échange automatique d’informations, ne les appliquaient pas ou de manière fort lacunaire.
Volonté politique ou désorganisation au niveau de la collecte d’informations, difficile de se prononcer. Mais, à titre d’exemple, certains pays du Maghreb, la Thaïlande et jusqu’à récemment la Turquie étaient dans ce cas.
Pour la Turquie toutefois, la situation a changé et elle applique désormais pleinement l’échange d’information. Selon nos informations, les premières informations émanant de l’Etat turc sont parvenues à l’administration fiscale belge en novembre 2022 et 2023, de sorte qu’elle a respectivement jusqu’à fin 2024 et 2025 pour les exploiter.
Vu l’importance historique et démographique de la communauté d’origine turque dans notre beau pays, nul doute que le sujet va concerner nombre de fiscalistes durant les prochains mois. On ne peut donc que conseiller aux professionnels du chiffre de vérifier les fiches CRS figurant dans les dossiers My Minfin de leurs clients de manière à examiner l’opportunité de prendre des mesures prophylactiques en cas de distraction antérieure dans le respect de leurs obligations déclaratives.
Comme si cela ne suffisait pas, les plates-formes internationales de commerce électronique, qu’il s’agisse de vente d’objets neufs ou d’occasion ou de location immobilière ou sous forme d’AIRB & B sont désormais obligées de communiquer aux autorités fiscales des états concernés les données reprenant l’ensemble des opérations réalisées et revenus obtenus par leurs clients.
Ce type d’informations, qui seront vraisemblablement intégrées également dans les fiches CRS, ne pourra qu’avoir des suites fiscales aux facettes multiples et aux contours désagréables.
On songe à la requalification en revenus professionnels d’opérations de vente d’objets neufs ou d’occasion vu leur caractère régulier et organisé, ou encore la taxation sur base réelle des locations immobilières réalisées par l’entremise de telles plateformes, que ce soit en Belgique ou à l’étranger, éventuellement par application de la réserve de progressivité.
Vous me direz qu’il est difficile d’être discret en la matière alors que par essence, le propre de ce type de plateformes est de donner de la visibilité à l’activité, mais là, le système permettra à l’administration fiscale de disposer d’une information complète sans avoir à remuer le petit doigt.
Encore du travail en vue pour les fiscalistes, qui n’en manquaient pourtant déjà pas.
L’administration fiscale a déjà confirmé publiquement son intention d’accorder un grand intérêt à l’exploitation des informations qu’elle recevra à ce sujet et à évoque la limite de 30 opérations par an et un seuil de revenu annuel de 2.000€.
Et si, comme souvent, dans le secteur de la vente d’objets ou de vêtements d’occasion, le vendeur ne dispose pas de factures d’entrées, le bénéfice taxable risque bien, dans l’esprit de l’administration fiscale, de se confondre avec le chiffre d’affaires. Sans même parler des cotisations sociales d’indépendant, dues au taux plein dès l’obtention d’un revenu similaire.
Certains semblent donc avoir quelques soucis à se faire …
Comme on a pu le voir ci-avant, l’administration fiscale, lorsqu’elle exploite les informations dont elle dispose via les fiches CRS, applique systématiquement les délais applicables en matière de fraude, que ce soit en matière de délais d’investigation ou d’accroissements d’impôts.
Et elle le fait souvent sans la moindre justification, par principe.
Rappelons néanmoins que l’application de tout délai extraordinaire d’imposition ou tout accroissement d’impôts basé sur l’existence d’une intention frauduleuse doit être dument justifiée par l’administration fiscale et que la simple référence au barème applicable ne constitue nullement une justification.
Plusieurs décisions, dont une rendue très récemment par la Cour de cassation, ont clairement sanctionné l’administration fiscale pour ce type de pratiques douteuses.
Après tout, le contribuable a encore droit à l’erreur et n’a pas à être présumé coupable. Ce qu’il faut rappeler sans relâche à nombre de contrôleurs. A qui on ne peut même pas en vouloir, puisque leurs instructions leurs affirment l’inverse.