Les SCI françaises translucides et la Belgique : le désamour ?

Mes remerciements à M. Alain Lacourt qui attira maintes fois mon attention sur la signification juridique de la translucidité des SCI.

Les SCI françaises visées à l’article 8.1° CGI, sont-elles des « constructions juridiques » au sens du législateur fiscal belge, y-a-t-il une obligation de les déclarer et peut-il en résulter une taxation en Belgique ?

Les déclarations fiscales belges à l’IPP (impôt des personnes physiques) doivent être introduites et se pose aujourd’hui la question de savoir s’il faut y renseigner, au titre de construction juridique, les SCI françaises translucides de l’article 8.1° CGI ? A supposer qu’il le faille sera-t-elle taxée, l'année prochaine (dans la déclaration IPP 2025) et comment sous l’empire de la taxe dite Caïman ?

Faut-il répondre à la question C du Cadre VIII de la déclaration fiscale de 2024 : « CONSTRUCTIONS JURIDIQUES. Est-ce que vous-même, ou votre conjoint ou cohabitant légal avec lequel vous souscrivez cette déclaration, ou l’un de vos enfants mineurs non émancipés, êtes un fondateur d’une construction juridique au sens de l’article 2, § 1er, 14°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 92) ou avez-vous, ou une des personnes visées ci-avant, recueilli un dividende ou bénéficié de tout autre avantage octroyé par une construction juridique en 2023 ? » (page 14 de la déclaration IPP 2024).

Si oui il faudra également introduire un formulaire 276 CJC par construction juridique reprenant des informations complémentaires mais au 14 juin il n’est pas encore disponible. La brochure préparatoire à la déclaration, à la page 125, ne sera d’aucune utilité.

Il faut donc, s'il y échet, mentionner la SCI comme une construction juridique dans la déclaration fiscale de l'année 2024 pour les revenus de 2023 alors même que le mécanisme de la transparence n'aura d'impact éventuel que dans la déclaration de 2025 pour l'année de revenus 2024. En effet, s’il faut déclarer en 2024 l’éventuelle construction juridique de l'année de revenus 2023 seuls les revenus recueillis, attribués ou mis en paiement à partir du 1er janvier 2024 seront à déclarer dans la prochaine déclaration de 2025. Ce n'est toutefois pas sans effet pervers puisque dés qu'une entité française est déclarée comme "Construction juridique" cela peut avoir un impact pendant ... trois ans (voir l'article 21 CIR 1992).

Sauf tempérament qui serait apporté en dernière minute par l’administration fiscale belge les choix qui vous sont offerts sont fort limités et il y a lieu de craindre le recours indispensable à un(e) fiscaliste aguerri(e).


I. L’article 32 de la Loi-Programme du 22 décembre 2023 publiée au Moniteur belge du 29 décembre 2023 apporte des modifications substantielles au Code des Impôts sur les revenus de 1992 pour ce qui a trait au régime de la taxe dite Caïman introduite en 2015 (3).

Le but de la loi de 2015 est décrit dans l’exposé des motifs : « Les contribuables sont de plus en plus nombreux à loger du patrimoine dans des trusts, des fondations étrangères et d’autres constructions juridiques (par ex. des Anstalt au Liechtenstein ou des Limited aux Bahamas), où la taxation est nulle ou minimale. Dans la plupart des cas, le fisc n’est pas au courant de cette implication du contribuable (belge), si bien qu’un vide de taxation se crée » … « Des informations rendues publiques via le “offshore leaks”, “Swiss Leaks” et les “CD-Roms LGT et HSBC” témoignent de ce que de telles constructions permettent aux contribuables de soustraire des patrimoines et des revenus au regard du fisc sans devoir faire appel au secret bancaire » … « La problématique des structures offshore n’est pas un phénomène exclusivement belge. Les pays sont de plus en plus nombreux à prendre des mesures pour aboutir à une plus grande transparence. Ce fut notamment le cas aux Pays-Bas (Loi du 17 décembre 2009), en France (Article 14, loi 2011-900 du 29 juillet 2011 ; Décret du 14 septembre 2012) et même au Luxembourg (§ 11 SteuerAnpassungsgesetz Zurechnung) » (4).

La taxe Caïman est une taxe de transparence qui a pour objectif d’imposer les revenus recueillis par une entité qualifiée de construction juridique dans le chef des bénéficiaires (ou fondateurs) comme si ceux-ci avaient directement recueilli ces revenus (5). La dénomination de taxe Caïman est trompeuse car il n’y a pas vraiment de nouvelle taxe, cette taxe dite Caïman couvre tous les impôts belges qui seront à payer en conséquence de la suppression par la Belgique de l’individualité juridique et fiscale de certaines sociétés ou entités étrangères pour leur revenus perçus mais non pour ceux qui sont distribués.

Peu après la publication de la loi de décembre 2023 apparurent différents articles dont certains publiés dans de grands médias créant un vent de panique chez les résidents belges qui ont choisi la structure des sociétés civiles immobilières françaises pour y loger un immeuble à des fins de locations et où de mise à disposition gratuite ou non : Les Belges qui ont une résidence en France sont visés par la taxe Caïman - les maisons de vacances détenues par des Belges via des sociétés civiles immobilières françaises pourraient, si elles ne sont pas louées, être bientôt taxées par le fisc belge …… la SCI française est bien une "construction juridique" tombant sous le coup de la taxe Caïman … un loyer de marché «fictif» pourrait dans certains cas venir se rajouter à la base imposable belge «fictive»… avec à la clef une potentielle qualification de la SCI comme construction juridique.

Beaucoup se posent les questions suivantes :

  1. Pour savoir si ma SCI est une construction juridique faut-il calculer fictivement la base imposable de la SCI comme si elle était taxable en Belgique en tenant compte d’un avantage accordé par la société ?
  2. Si elle est réputée être une construction juridique devrais-je déclarer un revenu cadastral belge de la propriété de la société ?
  3. Et la convention fiscale entre la France et la Belgique ?


II. Les modifications apportées au CIR 1992 (Code des impôts sur les revenus) par la loi du 22 décembre 2023 (MB 29.12.2023) à la taxe Caïman se résument en une définition

« Sont soumis à l’impôt belge sur les revenus, les associés … de toute société, entité, française possédant la personnalité juridique dont les revenus sont imposés en France dans le chef des associés … lorsque l’impôt français sur ces revenus est inférieur à 1 p.c. de leur part dans le revenu imposable déterminé conformément aux règles belges »

La Belgique s’arroge ainsi le droit de taxer lesdits revenus lorsqu’en France l’impôt est, disons, 4 et en Belgique, disons, 5 calculé sur une base imposable établie compte tenu de critères de … droit fiscal belge. A supposer que la société ait la qualité de « construction juridique » selon le droit belge, ses revenus seront réputés être perçus en les mains des associés comme si la société française n’existait pas.

Réponse à la question 1 supra "Pour savoir si ma SCI est une construction juridique faut-il calculer fictivement la base imposable de la SCI comme si elle était taxable en Belgique en tenant compte d’un avantage accordé par la société ?

Primo : les modifications apportées au CIR 1992 par la Loi Programme de décembre 2023 ne concernent pas les SCI françaises translucides.

  • Sont désormais visées "les sociétés dont les revenus sont imposés dans le chef des associés .... en France ... etc." (article 13°, b), alinéa 2,2° CIR 1992). Le législateur a précisé, à plusieurs occasions, qu'il visait les sociétés ayant la personnalité juridique, propriétaires de biens immobiliers dont les associés détiennent des parts sociales (6). Le législateur ajoutant « En principe, la SCI est fiscalement transparente en France. Cela signifie que les associés sont imposés en France comme s’ils étaient directement propriétaires du bien. En raison de la présence de la personnalité juridique, cette société est en principe considérée comme une personne imposable distincte du point de vue belge. Par conséquent, cette forme juridique entre dans le champ d’application de la taxe Caïman lorsque les actionnaires sont des habitants du Royaume » (6). Or, il résulte de cette définition des sociétés concernées par la nouvelle législation qu’il ne peut s’agir de SCI translucides. Le législateur vise certes des SCI mais du texte découle qu’il s’agit de celles qui sont transparentes de telle sorte que les associés sont imposés comme s’ils étaient directement propriétaires des biens immobiliers. Ce ne sont, dés lors, pas des SCI translucides. Les fiscalistes informés apprécieront les errements de cette définition qui aboutissent à impacter économiquement des dizaines de milliers de sociétés françaises peu de commentateurs ayant lu la circulaire de l’administration française sur la question (7).
  • L'article 2, § 1er, 13°, b), 2ième alinéa, 2° CIR 1992 qui participe à la définition d'une construction juridique précise qu’elle concerne "une société qui n'est pas visée à l'article 29, § 2, et dont les revenus sont imposés dans le chef des associés ou actionnaires par l'Etat ou la juridiction dans laquelle cette société est établie". Or, dans une SCI translucide les revenus ne sont pas "imposés" dans le chef des associés mais recouvrés.

Secundo : Pour déterminer si la SCI est une construction juridique selon le législateur belge il faut effectivement selon le CIR 1992 satisfaire à un critère d'imposition minimale.

Prenons deux exemples.

  1. Les revenus de la SCI sont de 1000, la part de l'associé est de 50%, l'impôt français à payer par l'associé est de 250, la base imposable fictive belge dans le chef de la SCI calculée selon des critères belges est de 2000, la part de l'associé dans ce revenu fictif est de 1000. Alors, 1% de 1000 sera égal à 10. L'impôt français étant de 250, il n'y aura pas de construction juridique belge.
  2. S'il n'y a pas de revenus dans le chef de la SCI, si l'impôt français à payer par l'associé est nul, si la base imposable fictive belge dans le chef de la SCI calculée selon des critères belges (nécessitant une comptabilité pour calculer la base imposable belge) est nulle. La part de l'associé à 50% dans zéro (base imposable belge) fera zéro. Comme 1% de zéro fait aussi zéro, avec un impôt français effectivement payé de zéro, il n'y aura pas de construction juridique belge puisque l'impôt français étant nul le critère d'un impôt français d'au moins 1% de de la part de cet associé sur le revenu imposable de la SCI déterminé conformément aux règles belges sera satisfait.

Si nous prenons le cas d’une société immobilière française translucide (SCI), propriétaire d’une villa à Antibes, qui la met à disposition gratuite de son associé, il n’en résultera aucun revenu dans le chef de la société française et l’associé résident belge ne devra pas payer des impôts français. Non pas tellement en vertu du Code Général des Impôts mais plutôt en raison d’une interprétation qu’en fait le Conseil d’Etat.

Pour déterminer si une entité étrangère est une construction juridique au sens du droit fiscal belge il faut donc comparer l’impôt étranger que l’associé doit payer sur les revenus de l’entité étrangère (sa quote-part) avec l’impôt belge qui résulte du calcul d’une base imposable belge fictive de la société (sa quote-part dans cette base) sur … les mêmes revenus.

Lors du calcul de cette dernière faut-il faire comme si la villa d’Antibes avait été mise gratuitement à la disposition de l’associé par la société (dans un contexte belge) ? Faut-il tenir compte dans cette base imposable fictive, comme certains le soutiennent d’un avantage anormal et bénévole ? (La société civile immobilière française est-elle visée par la taxe Caïman ? – L’Echo.be – 28.02.2024 – Denis-Emmanuel Philippe & Olivier Willez).


Trois raisons pour, lors du calcul du seuil d’imposition, ne pas faire intervenir d’avantage anormal et bénévole dans la base imposable fictive belge.

Tenir compte de cet avantage anormal et bénévole ne peut s’effectuer que dans le contexte de l’article 26 CIR 1992. Or, ce dernier ne s’appliquera qu’en l’absence d’avantage de toute nature déclaré dans le chef du gérant de la SCI. Ce n’est que s'il y a incapacité de mentionner un avantage de toute nature que la base imposable peut être augmentée à raison de l’avantage accordé (Bulletin n° : B102 - Question et réponse écrite n° : 0948 - Législature : 48 – 18.04.1994). Aucune disposition légale justifierait l’augmentation spontanée de la base imposable fictive de la société.

  1. Un autre argument est que la taxe Caïman a pour but d’enlever la personnalité juridique à certaines structures étrangères de telle sorte à ce que les revenus qu’elle perçoit ou recueille soient taxés directement en Belgique dans le chef du fondateur. Les textes sont clairs : « la fiction de transparence fiscale vise tous les revenus perçus par la construction juridique qui seront imposés suivant la nature qu’ils auraient eue si les fondateurs les avaient recueillis directement » (DOC 54 1125/001 – 41) ; « Les revenus perçus par la construction juridique sont imposables dans le chef de l'habitant du Royaume qui est le fondateur de la construction juridique, comme si cet habitant du Royaume les avait recueillis directement » (CIR 1992 -article 5°/1, §1er, alinéa 1). Or, percevoir signifie « Recevoir, encaisser une somme due » (dictionnaire de l’académie française), ce qui ne me semble pas couvrir un revenu résultant d’un avantage.
  2. Par ailleurs il y aurait un déséquilibre à tenir compte lors du calcul de la base imposable fictive belge d’un revenu qui n’intervient pas dans le calcul de la base imposable de la SCI française, ce qui n’est pas prévu par l’article 2, §1er, 13°, b), alinéa 2,2° CIR 1992. En effet du texte résulte que les revenus de la société française imposés dans le chef des associés ne peuvent être que les mêmes que ceux qui interviennent dans le calcul de la base imposable fictive belge.


Réponse à la question 2 supra : Si la SCI est réputée être une construction juridique devrais-je déclarer un revenu cadastral belge de la propriété de la société ?

A supposer que la SCI translucide française mettant gratuitement à disposition de son associé un immeuble puisse être qualifiée de construction juridique il est vrai que nous trouvons dans le CIR 1992 l'article 471, §1er, 2°, b): " Un revenu cadastral est déterminé pour tous les biens immobiliers bâtis ... pour autant que ces biens soient situés à l'étranger et qu'une construction juridique dont un habitant du Royaume autre que ceux visés à l'article 4, ou une personne morale visée à l'article 180, 1°, ou 220, 3°, est fondateur, soit titulaire d'un droit réel sur ces biens".

Cet article semble avoir été introduit "par effraction" dans le CIR par la loi du 17.02.2021 - M.B. 25.02.2021. Par effraction dés lors que je n'ai pas trouvé dans les documents parlementaires de justification à cette insertion sauf à permettre de déterminer un revenu cadastral pour les immeubles propriétés à l'étranger d'une entité qualifiée de construction juridique par le législateur fiscal belge.

Reste que ce revenu cadastral belge n'est pas un revenu de la SCI. Elle n'a pas perçu ce revenu. Or, la transparence fiscale ne peut avoir pour conséquence que celle de faire taxer en Belgique comme s'ils avaient été directement recueillis par l'associé belge les revenus perçus par la construction juridique. Ceci découle de la lecture de l'article 5/1, §1er, alinéa 1° CIR 1992. Considérer que pourrait, en conséquence de la qualification de construction juridique belge d'une SCI française, être taxé en Belgique dans le chef de l'associé un revenu immobilier fictif belge calculé selon le droit fiscal belge qui n'a pas été perçu ni recueilli par la SCI est ajouter au texte de loi. La taxe Caïman crée uniquement une transparence fiscale, non des revenus. On enlève le parapluie qui permet de se protéger de la centaine de gouttes d’eau qui tombe. Il n’est pas question d’en faire tomber plus.

Réponse à la question 3 supra : Et la convention fiscale entre la France et la Belgique ?

En droit conventionnel si le législateur belge peut donner le nom qui lui plaît à des entités françaises en fonction de critères tels que leur taxation en .... Belgique malgré une personnalité juridique et fiscale distincte, il ne peut s’attribuer le droit de taxer un élément de revenu de cette société.

Nous avons ce jour une convention préventive de la double imposition entre la France et la Belgique (1964) dont le but est de définir quel pays peut taxer. Selon cette convention une société civile immobilière, personne morale non soumise à l’impôt des sociétés, dont l’objet est de construire ou d’acquérir un immeuble pour le louer ou non, le mettre ou non à la disposition gratuite d’un associé est un être juridique et fiscal distinct dont les revenus sont exclusivement imposables en France. La quote-part de revenus de cette société ne correspond pas à des revenus immobiliers quand bien même la société tirerait son bénéfice de tels revenus et l’associé non-résident ne reçoit pas des revenus immobiliers mais une quote-part des revenus réalisés par la SCI. Les clauses dites balais (résiduelles) ne peuvent s’appliquer.

Je ne vois aucun argument justifiant que la Belgique, état signataire de la Convention préventive de la double imposition entre la France et la Belgique de 1964, décide unilatéralement d’en modifier les règles en s’attribuant un pouvoir d’imposition sur des éléments de revenus dont la convention attribue le droit de les taxer uniquement à l’autre État.

La question de la primauté des conventions est évoquée par certains auteurs.

  1. « En tout état de cause, il est évident, à nos yeux, que les conventions préventives continueront de primer la loi nationale et, en l’espèce, la CPDI actuelle (de même que la future, non encore entrée en vigueur) empêchera une taxation en transparence en Belgique » (La taxe Caïman : on bouche les trous mais on ne voit plus clair! 20 mars 2024 – Pauline Montfort – Sabrina Scarna),
  2. « Taxe Caïman - impact d'un conflit avec une convention préventive de double imposition – 10.09.2020 - Gerd D. Goyvaerts / Emilie Van Goidsenhoven / Dirk Coveliers / Christophe Coudron « … les conclusions d’accord et le jugement qui les ratifie offrent une interprétation rassurante de ces dispositions légales : la CPDI prime sur le droit national et, par conséquent, une structure qui qualifie de résident fiscal d'un État au sens de la CPDI doit être considérée comme le seul bénéficiaire des revenus qu'elle perçoit ; ce qui exclut l'imposition sur la base de la transparence fiscale du fondateur de cette entité. Il ne s'agit pas de lutter contre la double imposition économique et juridique, mais de respecter la personnalité juridique fiscale d'une entité reconnue par une convention internationale comme résidente dans un État contractant et que la Belgique s'est engagée à respecter » ;
  3. Non, une SCI n'entre pas dans le champ de la nouvelle version de la taxe Caïman !" Alain Lacourt - 26.05.2024 - "L'extension de la taxe Caïman à certaines SCI françaises est hautement litigieuse, car le législateur belge outrepasse la territorialité de ses pouvoirs en justifiant sa position par des arguments qui ne respectent ni la législation française, ni les principes d'unicité et d'égalité devant l'impôt, ni la signification des mots lorsqu'ils sont énoncés en français ou en néerlandais. Aussi il a d'ores et déjà été annoncé le dépôt prochain d'un recours auprès de la Cour Constitutionnelle".
  4. "Enfin, nous nous interrogeons également sur la compatibilité de la taxe Caïman avec la convention fiscale franco-belge actuellement en vigueur. Celle-ci ne permet en effet pas explicitement à la Belgique d’appliquer la taxe Caïman. Il en sera autrement lorsque la nouvelle convention signée en novembre 2021 par la France et la Belgique entrera en vigueur (date inconnue actuellement, peut-être 2025 ou 2026)" Taxe Caïman Les SCI, sous les crocs de la taxe Caïman - Date : 12/02/2024 - mise à jour 15/03 2024 - ADVISIUS SRL.
  5. Lire aussi « La taxe caïman appliquée aux trusts Pauline Maufort Dans Revue internationale du patrimoine 2021/1 (N° 7), pages 127 à 137 Éditions Legitech »
  6. Nous trouvons une ébauche de débats sur les conflits entre le droit interne et le droit conventionnel dans le « Rapport de la Cour des comptes transmis à la Chambre des représentants, Bruxelles, avril 2023, page 30 et svtes, point 3.7. : « En outre, un conflit fiscal peut survenir si, en vertu d’une CPDI conclue avec un pays établi hors EEE, la construction juridique est imposée dans 'État de résidence, alors que le fondateur est également imposé en Belgique via la taxe Caïman. Les services centraux de l'AGFisc sont d'avis que la CPDI s’applique et que, dans la plupart des cas, la Belgique aura le pouvoir de prélever la taxe Caïman par la disposition résiduelle de la CPDI concernée ». Note : On se demandera comment la France analysera ce point de vue dés lors que la jurisprudence française exclut systématiquement l’application des clauses balais (résiduelles) ? Les revenus d’un associé résident belge d’une SCI translucide sont des revenus de la société, ce ne sont pas des revenus immobiliers. Faire fi de cette société sous prétexte de transparence décidée par un seul des états contractants n’est qu’une double imposition juridique.

« Toutefois, si des impôts sont prélevés simultanément au titre de la taxe Caïman et par un autre État contractant, les services centraux de l’AGFisc estiment qu'il n'existe pas de conflit entre la CPDI et la taxe Caïman, arguant que les CPDI ne visent pas à éviter la double imposition économique, mais uniquement la double imposition juridique. Il est question d'une double imposition juridique lorsque le fondateur d'une construction juridique est imposé sur les mêmes revenus, c'est-à-dire concrètement à la fois par la taxe Caïman belge et par un impôt étranger perçu par l'État membre mentionné dans la CPDI. Ce n'est qu'en cas de double imposition juridique que le fondateur d'une construction juridique peut invoquer la CPDI. Cette position de l'AGFisc n'a pas été rendue publique. La doctrine et la jurisprudence adoptent parfois un point de vue opposé, à savoir que la taxe Caïman entre en conflit avec la CPDI et que cette dernière devrait primer en tant que norme de droit international. »


III. Quelques développements

3.a Les sociétés civiles immobilières françaises (SCI) qui nous concernent sont celles possédant des immeubles acquis ou construits, les louant ou non. Elles relèvent de la catégorie des sociétés de personnes (8).

Ces SCI ne sont pas fiscalement transparentes puisque "elles ont une personnalité juridique et fiscale distincte de leurs membres" (9).

En résulte que :

  • « Les revenus des immeubles sont ... d'abord des revenus sociaux. Ce sont des revenus de la société et non des revenus des porteurs de parts. La société est imposable sur ces revenus. … dans les sociétés civiles, le régime fiscal est tel que l'imposition est, en réalité, établie au nom de chaque associé, à hauteur de ses droits dans les bénéfices sociaux. Mais cela ne constitue qu'une modalité particulière de recouvrement de l'impôt dû par la société. Il n’en reste pas moins que la société continue d’être traitée comme la personne imposable …>> (10)
    Elles " ne sont pas personnellement soumises à l'impôt, sauf option ou activité commerciale : chaque associé est personnellement imposable sur la quote-part des bénéfices qui lui revient ». (9)
  • « Il n'en reste pas moins que la société continue d'être traitée comme la personne imposable et qu'en cas de vérification, par exemple, ce sont bien les comptes de la société, et non ceux des porteurs, qui seront vérifiés" (10).
  • « Les parts ou actions détenues dans ces sociétés ... ne sont ni juridiquement ni fiscalement des biens immobiliers. Les titulaires de parts ne sont pas fiscalement traités comme s'ils étaient propriétaires privatifs des immeubles » (10)

En matière de droit conventionnel, l’administration française considère que :

« Les sociétés de personnes de droit français sont des résidents au sens conventionnel dés lors que leurs résultats sont imposables en France en raison de leur siège, l’ensemble des impositions des associés relatives aux bénéfices sociaux étant assimilable à une imposition de ces sociétés ». (8)

« Les sociétés soumises … au régime fiscal des sociétés de personnes ont une personnalité fiscale distincte de celle de leurs associés ou membres, qu’elles constituent des sujets d’imposition et, si elles ont leur siège en France, qu’elles ont la qualité de résident de France au sens des conventions fiscales conclues par la France lorsque les conditions requises par les dispositions pertinentes de ces conventions sont remplies ». (11)

Cette position administrative est confortée par la jurisprudence du Conseil d’Etat (12)

3.b Après avoir essayé d’aborder, de façon résumée et limitée, la complexité des SCI françaises translucides, et non transparentes, insérons les dans la Convention préventive de la double imposition entre la France et la Belgique toujours applicable. Pour rappel, son but est de « protéger les résidents de chacun des États contractants contre les doubles impositions qui pourraient résulter de l’application simultanée de la législation fiscale de ces États » (article 1er, 1°) ».

Ces SCI sont, d’après l’article 4, Ier alinéa de la convention préventive de la double imposition entre la France et la Belgique de 1964, toujours en vigueur ce jour, réputées être des résidents de la France (13) dés lors que leur siège de direction effective s'y trouve (12). Cette convention est particulière puisqu’elle ne subordonne pas la résidence à une exigence d’assujettissement à l’impôt, exigence n’impactant toutefois pas le « principe de la résidence fiscale des sociétés de personnes françaises qui est régulièrement affirmé par l’administration (Ndlr : française) » (11).

Une SCI française dont le siège de direction est en France et qui y réalise des revenus immobiliers voit le droit de les taxer attribuer à la France par la convention.

  1. L’article 3, 5° de la Convention concernant les biens et revenus immobiliers précise que « Les dispositions des paragraphes 1° à 4° de l’article 3 s’appliquent également aux revenus des biens immobiliers d’entreprises autres que les entreprises agricoles et forestières … ».
  2. L’article 4, 1°, 2ème alinéa confirme leur exclusion de la notion de bénéfices industriels et commerciaux.
  3. L’article 19, A, 2° (prévention de la double imposition) stipule « Les revenus autres que ceux visés au paragraphe 1 (Ndlr : revenus mobiliers) ci-dessus sont exonérés des impôts belges mentionnés à l’article 2, paragraphe 3 A, de la présente Convention, lorsque l’imposition en est attribuée exclusivement à la France ». L’exigence d’une « imposition en France » est bien évoquée à l’article 19, A, 3° mais est limitée à des situations particulières soit celles où ces revenus n’ont pas été imposés en France parce qu’ils y ont été compensés avec des pertes qui ont également été déduites, pour un exercice quelconque, de revenus imposables en Belgique ». Notons qu’il est question d’une imposition, non d’une imposition effective.


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(1) -

(2) Ce re-calcul de la base imposable de la société étrangère selon les règles fiscales belges suscite maintes questions et crée une incertitude juridique. Certains s'en sont fait l'écho dont Messieurs Patrick Delacroix et Olivier Hermand "Fiscalité internationale : le cauchemar des "re-calculs à la belge" - 22 décembre 2023 - Echo. be affirmant "Une telle mesure est, selon nous, clairement en brèche avec les libertés fondamentales au sein de l’UE." Monsieur Arnaud Peeters en a fait une thèse "Peeters, Arnaud. La taxation des constructions juridiques ("taxe Caïman") : étude des modalités de reconstitution de la base imposable d'un habitant du Royaume de Belgique dans le cadre du régime de transparence fiscale. Louvain School of Management, Université catholique de Louvain, 2020. Prom. : Janssen, Frédéric"

(3) Loi Programme du 10 août 2015, MB 18 août 2015

(4) DOC 54 1125/001 page 24 et suivantes.

(5) DOC 55 3697/001 pg 21–Loi Programme du 23 décembre 2023 (MB 29.12.23)

(6) DOC 55 3697/001 pg 31- Loi Programme du 23 décembre 2023 (MB 29.12.23)

(7) BOI-RFPI-CHAMP-30-20

(8) Visées à l'article 8.1° CGI -

(9) Les impôts dans les affaires internationales - 17ème édition - Lefebvre Dalloz - Bruno Gouthière page 1163, n° 67085

(10) Les impôts dans les affaires internationales - 17ème édition - Lefebvre Dalloz - Bruno Gouthière pages 1164, 1165, n° 67170

(11) Les impôts dans les affaires internationales - 17ème édition - Lefebvre Dalloz - Bruno Gouthière page 640, n° 31555.

(12) « Compte tenu de la jurisprudence du Conseil d’Etat (n° 31345 s), il est aujourd’hui acquis que, en droit interne, les non-résidents associés de sociétés de personnes françaises sont nécessairement imposables dans notre pays (Ndlr : France) à hauteur de leurs droits dans les bénéfices réalisés par la société. Cette solution n’est généralement pas modifiée par les conventions dés lors que celles-ci – soit n’abordent pas la question, laissant le champ libre au droit interne, - soit se réfèrent à la présence en France d’un établissement stable de la société de personnes (et non pas des associés) auquel cas notre pays (Ndlr : France) a toujours le droit d’imposer puisqu’on voit mal comment une société de personnes françaises n’aurait pas d’établissement en France (au moins un « siège de direction ») –

{Les impôts dans les affaires internationales - 17ème édition - Lefebvre Dalloz - Bruno Gouthière page 637 n° 31420}.

(13) Convention : « Article 4. - Une personne morale est réputée résident de l’Etat contractant où se trouve son siège de direction effective ». A lire le second alinéa de cet article les « personnes morales » couvrent bien les sociétés de personnes qui ont la personnalité juridique.

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