Mes remerciements à M. Alain Lacourt qui attira maintes fois mon attention sur la signification juridique de la translucidité des SCI.
Les SCI françaises visées à l’article 8.1° CGI, sont-elles des « constructions juridiques » au sens du législateur fiscal belge, y-a-t-il une obligation de les déclarer et peut-il en résulter une taxation en Belgique ?
Les déclarations fiscales belges à l’IPP (impôt des personnes physiques) doivent être introduites et se pose aujourd’hui la question de savoir s’il faut y renseigner, au titre de construction juridique, les SCI françaises translucides de l’article 8.1° CGI ? A supposer qu’il le faille sera-t-elle taxée, l'année prochaine (dans la déclaration IPP 2025) et comment sous l’empire de la taxe dite Caïman ?
Faut-il répondre à la question C du Cadre VIII de la déclaration fiscale de 2024 : « CONSTRUCTIONS JURIDIQUES. Est-ce que vous-même, ou votre conjoint ou cohabitant légal avec lequel vous souscrivez cette déclaration, ou l’un de vos enfants mineurs non émancipés, êtes un fondateur d’une construction juridique au sens de l’article 2, § 1er, 14°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 92) ou avez-vous, ou une des personnes visées ci-avant, recueilli un dividende ou bénéficié de tout autre avantage octroyé par une construction juridique en 2023 ? » (page 14 de la déclaration IPP 2024).
Si oui il faudra également introduire un formulaire 276 CJC par construction juridique reprenant des informations complémentaires mais au 14 juin il n’est pas encore disponible. La brochure préparatoire à la déclaration, à la page 125, ne sera d’aucune utilité.
Il faut donc, s'il y échet, mentionner la SCI comme une construction juridique dans la déclaration fiscale de l'année 2024 pour les revenus de 2023 alors même que le mécanisme de la transparence n'aura d'impact éventuel que dans la déclaration de 2025 pour l'année de revenus 2024. En effet, s’il faut déclarer en 2024 l’éventuelle construction juridique de l'année de revenus 2023 seuls les revenus recueillis, attribués ou mis en paiement à partir du 1er janvier 2024 seront à déclarer dans la prochaine déclaration de 2025. Ce n'est toutefois pas sans effet pervers puisque dés qu'une entité française est déclarée comme "Construction juridique" cela peut avoir un impact pendant ... trois ans (voir l'article 21 CIR 1992).
Sauf tempérament qui serait apporté en dernière minute par l’administration fiscale belge les choix qui vous sont offerts sont fort limités et il y a lieu de craindre le recours indispensable à un(e) fiscaliste aguerri(e).
Le but de la loi de 2015 est décrit dans l’exposé des motifs : « Les contribuables sont de plus en plus nombreux à loger du patrimoine dans des trusts, des fondations étrangères et d’autres constructions juridiques (par ex. des Anstalt au Liechtenstein ou des Limited aux Bahamas), où la taxation est nulle ou minimale. Dans la plupart des cas, le fisc n’est pas au courant de cette implication du contribuable (belge), si bien qu’un vide de taxation se crée » … « Des informations rendues publiques via le “offshore leaks”, “Swiss Leaks” et les “CD-Roms LGT et HSBC” témoignent de ce que de telles constructions permettent aux contribuables de soustraire des patrimoines et des revenus au regard du fisc sans devoir faire appel au secret bancaire » … « La problématique des structures offshore n’est pas un phénomène exclusivement belge. Les pays sont de plus en plus nombreux à prendre des mesures pour aboutir à une plus grande transparence. Ce fut notamment le cas aux Pays-Bas (Loi du 17 décembre 2009), en France (Article 14, loi 2011-900 du 29 juillet 2011 ; Décret du 14 septembre 2012) et même au Luxembourg (§ 11 SteuerAnpassungsgesetz Zurechnung) » (4).
La taxe Caïman est une taxe de transparence qui a pour objectif d’imposer les revenus recueillis par une entité qualifiée de construction juridique dans le chef des bénéficiaires (ou fondateurs) comme si ceux-ci avaient directement recueilli ces revenus (5). La dénomination de taxe Caïman est trompeuse car il n’y a pas vraiment de nouvelle taxe, cette taxe dite Caïman couvre tous les impôts belges qui seront à payer en conséquence de la suppression par la Belgique de l’individualité juridique et fiscale de certaines sociétés ou entités étrangères pour leur revenus perçus mais non pour ceux qui sont distribués.
Peu après la publication de la loi de décembre 2023 apparurent différents articles dont certains publiés dans de grands médias créant un vent de panique chez les résidents belges qui ont choisi la structure des sociétés civiles immobilières françaises pour y loger un immeuble à des fins de locations et où de mise à disposition gratuite ou non : Les Belges qui ont une résidence en France sont visés par la taxe Caïman - les maisons de vacances détenues par des Belges via des sociétés civiles immobilières françaises pourraient, si elles ne sont pas louées, être bientôt taxées par le fisc belge …… la SCI française est bien une "construction juridique" tombant sous le coup de la taxe Caïman … un loyer de marché «fictif» pourrait dans certains cas venir se rajouter à la base imposable belge «fictive»… avec à la clef une potentielle qualification de la SCI comme construction juridique.
Beaucoup se posent les questions suivantes :
« Sont soumis à l’impôt belge sur les revenus, les associés … de toute société, entité, française possédant la personnalité juridique dont les revenus sont imposés en France dans le chef des associés … lorsque l’impôt français sur ces revenus est inférieur à 1 p.c. de leur part dans le revenu imposable déterminé conformément aux règles belges »
La Belgique s’arroge ainsi le droit de taxer lesdits revenus lorsqu’en France l’impôt est, disons, 4 et en Belgique, disons, 5 calculé sur une base imposable établie compte tenu de critères de … droit fiscal belge. A supposer que la société ait la qualité de « construction juridique » selon le droit belge, ses revenus seront réputés être perçus en les mains des associés comme si la société française n’existait pas.
Primo : les modifications apportées au CIR 1992 par la Loi Programme de décembre 2023 ne concernent pas les SCI françaises translucides.
Secundo : Pour déterminer si la SCI est une construction juridique selon le législateur belge il faut effectivement selon le CIR 1992 satisfaire à un critère d'imposition minimale.
Prenons deux exemples.
Si nous prenons le cas d’une société immobilière française translucide (SCI), propriétaire d’une villa à Antibes, qui la met à disposition gratuite de son associé, il n’en résultera aucun revenu dans le chef de la société française et l’associé résident belge ne devra pas payer des impôts français. Non pas tellement en vertu du Code Général des Impôts mais plutôt en raison d’une interprétation qu’en fait le Conseil d’Etat.
Pour déterminer si une entité étrangère est une construction juridique au sens du droit fiscal belge il faut donc comparer l’impôt étranger que l’associé doit payer sur les revenus de l’entité étrangère (sa quote-part) avec l’impôt belge qui résulte du calcul d’une base imposable belge fictive de la société (sa quote-part dans cette base) sur … les mêmes revenus.
Lors du calcul de cette dernière faut-il faire comme si la villa d’Antibes avait été mise gratuitement à la disposition de l’associé par la société (dans un contexte belge) ? Faut-il tenir compte dans cette base imposable fictive, comme certains le soutiennent d’un avantage anormal et bénévole ? (La société civile immobilière française est-elle visée par la taxe Caïman ? – L’Echo.be – 28.02.2024 – Denis-Emmanuel Philippe & Olivier Willez).
Tenir compte de cet avantage anormal et bénévole ne peut s’effectuer que dans le contexte de l’article 26 CIR 1992. Or, ce dernier ne s’appliquera qu’en l’absence d’avantage de toute nature déclaré dans le chef du gérant de la SCI. Ce n’est que s'il y a incapacité de mentionner un avantage de toute nature que la base imposable peut être augmentée à raison de l’avantage accordé (Bulletin n° : B102 - Question et réponse écrite n° : 0948 - Législature : 48 – 18.04.1994). Aucune disposition légale justifierait l’augmentation spontanée de la base imposable fictive de la société.
A supposer que la SCI translucide française mettant gratuitement à disposition de son associé un immeuble puisse être qualifiée de construction juridique il est vrai que nous trouvons dans le CIR 1992 l'article 471, §1er, 2°, b): " Un revenu cadastral est déterminé pour tous les biens immobiliers bâtis ... pour autant que ces biens soient situés à l'étranger et qu'une construction juridique dont un habitant du Royaume autre que ceux visés à l'article 4, ou une personne morale visée à l'article 180, 1°, ou 220, 3°, est fondateur, soit titulaire d'un droit réel sur ces biens".
Cet article semble avoir été introduit "par effraction" dans le CIR par la loi du 17.02.2021 - M.B. 25.02.2021. Par effraction dés lors que je n'ai pas trouvé dans les documents parlementaires de justification à cette insertion sauf à permettre de déterminer un revenu cadastral pour les immeubles propriétés à l'étranger d'une entité qualifiée de construction juridique par le législateur fiscal belge.
Reste que ce revenu cadastral belge n'est pas un revenu de la SCI. Elle n'a pas perçu ce revenu. Or, la transparence fiscale ne peut avoir pour conséquence que celle de faire taxer en Belgique comme s'ils avaient été directement recueillis par l'associé belge les revenus perçus par la construction juridique. Ceci découle de la lecture de l'article 5/1, §1er, alinéa 1° CIR 1992. Considérer que pourrait, en conséquence de la qualification de construction juridique belge d'une SCI française, être taxé en Belgique dans le chef de l'associé un revenu immobilier fictif belge calculé selon le droit fiscal belge qui n'a pas été perçu ni recueilli par la SCI est ajouter au texte de loi. La taxe Caïman crée uniquement une transparence fiscale, non des revenus. On enlève le parapluie qui permet de se protéger de la centaine de gouttes d’eau qui tombe. Il n’est pas question d’en faire tomber plus.
En droit conventionnel si le législateur belge peut donner le nom qui lui plaît à des entités françaises en fonction de critères tels que leur taxation en .... Belgique malgré une personnalité juridique et fiscale distincte, il ne peut s’attribuer le droit de taxer un élément de revenu de cette société.
Nous avons ce jour une convention préventive de la double imposition entre la France et la Belgique (1964) dont le but est de définir quel pays peut taxer. Selon cette convention une société civile immobilière, personne morale non soumise à l’impôt des sociétés, dont l’objet est de construire ou d’acquérir un immeuble pour le louer ou non, le mettre ou non à la disposition gratuite d’un associé est un être juridique et fiscal distinct dont les revenus sont exclusivement imposables en France. La quote-part de revenus de cette société ne correspond pas à des revenus immobiliers quand bien même la société tirerait son bénéfice de tels revenus et l’associé non-résident ne reçoit pas des revenus immobiliers mais une quote-part des revenus réalisés par la SCI. Les clauses dites balais (résiduelles) ne peuvent s’appliquer.
Je ne vois aucun argument justifiant que la Belgique, état signataire de la Convention préventive de la double imposition entre la France et la Belgique de 1964, décide unilatéralement d’en modifier les règles en s’attribuant un pouvoir d’imposition sur des éléments de revenus dont la convention attribue le droit de les taxer uniquement à l’autre État.
La question de la primauté des conventions est évoquée par certains auteurs.
« Toutefois, si des impôts sont prélevés simultanément au titre de la taxe Caïman et par un autre État contractant, les services centraux de l’AGFisc estiment qu'il n'existe pas de conflit entre la CPDI et la taxe Caïman, arguant que les CPDI ne visent pas à éviter la double imposition économique, mais uniquement la double imposition juridique. Il est question d'une double imposition juridique lorsque le fondateur d'une construction juridique est imposé sur les mêmes revenus, c'est-à-dire concrètement à la fois par la taxe Caïman belge et par un impôt étranger perçu par l'État membre mentionné dans la CPDI. Ce n'est qu'en cas de double imposition juridique que le fondateur d'une construction juridique peut invoquer la CPDI. Cette position de l'AGFisc n'a pas été rendue publique. La doctrine et la jurisprudence adoptent parfois un point de vue opposé, à savoir que la taxe Caïman entre en conflit avec la CPDI et que cette dernière devrait primer en tant que norme de droit international. »
3.a Les sociétés civiles immobilières françaises (SCI) qui nous concernent sont celles possédant des immeubles acquis ou construits, les louant ou non. Elles relèvent de la catégorie des sociétés de personnes (8).
Ces SCI ne sont pas fiscalement transparentes puisque "elles ont une personnalité juridique et fiscale distincte de leurs membres" (9).
En résulte que :
En matière de droit conventionnel, l’administration française considère que :
« Les sociétés de personnes de droit français sont des résidents au sens conventionnel dés lors que leurs résultats sont imposables en France en raison de leur siège, l’ensemble des impositions des associés relatives aux bénéfices sociaux étant assimilable à une imposition de ces sociétés ». (8)
« Les sociétés soumises … au régime fiscal des sociétés de personnes ont une personnalité fiscale distincte de celle de leurs associés ou membres, qu’elles constituent des sujets d’imposition et, si elles ont leur siège en France, qu’elles ont la qualité de résident de France au sens des conventions fiscales conclues par la France lorsque les conditions requises par les dispositions pertinentes de ces conventions sont remplies ». (11)
Cette position administrative est confortée par la jurisprudence du Conseil d’Etat (12)
3.b Après avoir essayé d’aborder, de façon résumée et limitée, la complexité des SCI françaises translucides, et non transparentes, insérons les dans la Convention préventive de la double imposition entre la France et la Belgique toujours applicable. Pour rappel, son but est de « protéger les résidents de chacun des États contractants contre les doubles impositions qui pourraient résulter de l’application simultanée de la législation fiscale de ces États » (article 1er, 1°) ».
Ces SCI sont, d’après l’article 4, Ier alinéa de la convention préventive de la double imposition entre la France et la Belgique de 1964, toujours en vigueur ce jour, réputées être des résidents de la France (13) dés lors que leur siège de direction effective s'y trouve (12). Cette convention est particulière puisqu’elle ne subordonne pas la résidence à une exigence d’assujettissement à l’impôt, exigence n’impactant toutefois pas le « principe de la résidence fiscale des sociétés de personnes françaises qui est régulièrement affirmé par l’administration (Ndlr : française) » (11).
Une SCI française dont le siège de direction est en France et qui y réalise des revenus immobiliers voit le droit de les taxer attribuer à la France par la convention.
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(1) -
(2) Ce re-calcul de la base imposable de la société étrangère selon les règles fiscales belges suscite maintes questions et crée une incertitude juridique. Certains s'en sont fait l'écho dont Messieurs Patrick Delacroix et Olivier Hermand "Fiscalité internationale : le cauchemar des "re-calculs à la belge" - 22 décembre 2023 - Echo. be affirmant "Une telle mesure est, selon nous, clairement en brèche avec les libertés fondamentales au sein de l’UE." Monsieur Arnaud Peeters en a fait une thèse "Peeters, Arnaud. La taxation des constructions juridiques ("taxe Caïman") : étude des modalités de reconstitution de la base imposable d'un habitant du Royaume de Belgique dans le cadre du régime de transparence fiscale. Louvain School of Management, Université catholique de Louvain, 2020. Prom. : Janssen, Frédéric"
(3) Loi Programme du 10 août 2015, MB 18 août 2015
(4) DOC 54 1125/001 page 24 et suivantes.
(5) DOC 55 3697/001 pg 21–Loi Programme du 23 décembre 2023 (MB 29.12.23)
(6) DOC 55 3697/001 pg 31- Loi Programme du 23 décembre 2023 (MB 29.12.23)
(8) Visées à l'article 8.1° CGI -
(9) Les impôts dans les affaires internationales - 17ème édition - Lefebvre Dalloz - Bruno Gouthière page 1163, n° 67085
(10) Les impôts dans les affaires internationales - 17ème édition - Lefebvre Dalloz - Bruno Gouthière pages 1164, 1165, n° 67170
(11) Les impôts dans les affaires internationales - 17ème édition - Lefebvre Dalloz - Bruno Gouthière page 640, n° 31555.
(12) « Compte tenu de la jurisprudence du Conseil d’Etat (n° 31345 s), il est aujourd’hui acquis que, en droit interne, les non-résidents associés de sociétés de personnes françaises sont nécessairement imposables dans notre pays (Ndlr : France) à hauteur de leurs droits dans les bénéfices réalisés par la société. Cette solution n’est généralement pas modifiée par les conventions dés lors que celles-ci – soit n’abordent pas la question, laissant le champ libre au droit interne, - soit se réfèrent à la présence en France d’un établissement stable de la société de personnes (et non pas des associés) auquel cas notre pays (Ndlr : France) a toujours le droit d’imposer puisqu’on voit mal comment une société de personnes françaises n’aurait pas d’établissement en France (au moins un « siège de direction ») –
{Les impôts dans les affaires internationales - 17ème édition - Lefebvre Dalloz - Bruno Gouthière page 637 n° 31420}.
(13) Convention : « Article 4. - Une personne morale est réputée résident de l’Etat contractant où se trouve son siège de direction effective ». A lire le second alinéa de cet article les « personnes morales » couvrent bien les sociétés de personnes qui ont la personnalité juridique.