Non, une SCI n'entre pas dans le champ de la nouvelle version de la taxe Caïman!

Il est docilement prétendu que, depuis l'entrée en vigueur de la loi-programme du 22 décembre 2023, les SCI tombent dans le champ d'application de la nouvelle taxe Caïman, laquelle entend imposer par transparence des constructions juridiques étrangères. Cette vision unilatérale belge se heurte à une disposition française de droit commun selon laquelle " toute société dont le siège est situé sur le territoire français est soumise aux dispositions de la loi française". Les associés domiciliés en Belgique d'une SCI se retrouvent ainsi au centre d'un conflit juridique : en tant qu'habitant du royaume, ils sont possiblement soumis à la loi belge, en tant qu'associé d'une SCI, ils sont affectés par la législation française. Et cette dernière implique également tout tiers à la SCI avec, par exemple, le législateur belge, l'administration chargée d'exécuter la législation belge ou le praticien du droit et du chiffre chargé d'éclairer l'associé belge dans ses obligations fiscales. Ce conflit juridique peut curieusement mettre à l'abri les associés belges desdites SCI contre les velléités fiscales du législateur fédéral, tant les erreurs d'interprétation du droit français sont nombreuses. Nous n'en retenons que cinq.


Aberrations observées en Belgique :

1. La qualification d'actionnaire de l'associé d'une SCI est un belgicisme issu de la "batavisation" du droit des sociétés commencée au début du siècle par la création du code des sociétés. En droit français, le détenteur du capital d'une SCI reste dénommé "porteur de parts", en opposition au mot "actionnaire" qui ne désigne que les associés des sociétés par actions régies par les art. L224-1 et suivants du Code de commerce. Cette confusion nous laisse croire, à tort, que l'on peut être actionnaire d'une société dite translucide alors que le droit français exclut totalement cette éventualité.

2. Afin de justifier l'imposition par transparence des sociétés françaises dites translucides certes limitées par discrimination volontaire ou ignorée aux seules SCI, le législateur belge écrit dans l'exposé des motifs à la loi susmentionnée : "In principe is de SCI in Frankrijk fiscaal transparant. Dit betekent dat de vennoten in Frankrijk worden belast alsof zij rechtstreeks eigenaar zijn van het onroerend goed". La première de ces deux phrases se heurte violemment à l'assertion reprise dans le Bulletin Officiel des Finances Publiques selon laquelle la régime fiscal des sociétés translucides est un régime de non-transparence ou non doté d'une transparence fiscale. Pour rappel, le BOFiP est la base documentaire unique supportant la doctrine fiscale opposable par le contribuable à l'administration. Il est dès lors incompatible et contradictoire qu'un contribuable identique domicilié en Belgique soit simultanément assujetti, en France, à l'impôt sur les revenus des non-résidents en tant qu'associé d'une SCI non transparente et, en Belgique, à l'impôt sur les revenus en tant que fondateur d'une société transparente prétendument et improprement qualifiée de "construction juridique".

3. La seconde phrase en italique est une sottise qui exprime l'incompréhension totale du régime de la translucidité fiscale et ouvre la porte à l'affirmation par certains d'une contrevérité aux effets pervers selon laquelle une SCI aurait une personnalité juridique sans avoir de personnalité fiscale ! Cette idée saugrenue peut être combattue par au moins trois arguments :

  • Tant le Code Général des Impôts que le Livre des Procédures Fiscales font état que le contrôle d'une SCI s'opère exclusivement entre la société elle-même et l'administration. Il ne peut donc être déduit en Belgique que le fait que l'impôt soit réglé par l'associé autoriserait implicitement l'administration à contrôler directement ledit associé sur les bénéfices nets dégagés par la SCI. La confusion de patrimoine et, par conséquent, de base imposable est formellement interdite en droit français. Le processus de contrôle de la base imposable d'une SCI est rigoureusement identique à celui d'une société de droit belge ou français soumise à l'I.Soc. Mais les modalités de règlement du supplément d'impôts consécutif à un rehaussement de la base imposable constatée au niveau de la SCI diffèrent de celles applicables à une société passible de l'impôt sur les sociétés. Dans le premier cas, il appartient à l'associé, éventuellement le cessionnaire en cas d'une cession de parts intervenue avant le contrôle, d'indiquer dans sa propre déclaration le complément du bénéfice déterminé après contrôle et de régler lui-même la soulte d'impôts qui en découle. Dans le second cas, la différence d'impôts est réglée directement par la société elle-même, entraînant une perte de valeur pour l'actionnaire sans décaissement immédiat à titre individuel. Le fait que ce soit l'associé-cessionnaire qui soit redevable d'un complément d'impôts pour un exercice contrôlé, non-prescrit et antérieur à la cession de parts démontre infailliblement que ce régime de translucidité est intrinsèquement différent de celui appliqué lorsque le contrôle fiscal est opéré dans le chef d'un propriétaire personne physique qui détient en direct l'immeuble, que ce dernier ait été cédé ou non avant le jour du contrôle.
  • La nouvelle CPDI belgo-française signée le 9 novembre 2021 prévoit explicitement dans son article 4 que les sociétés de personnes passibles de l'impôt sur les revenus sont des personnes résidentes de France. Il est dès lors insensé d'imaginer en Belgique, comme personne résidente de France, des personnes morales sans "personnalité fiscale". Il y a lieu de faire savoir que le nombre de SCI constituées en France chaque année avoisine les 60.000 unités et que la SCI est la 3ième forme sociétaire la plus usitée outre-Quiévrain. Faire croire qu'autant de sociétés n'auraient aucune "personnalité fiscale" en France relève d'une pataude audace que seul le surréalisme belge peut justifier.
  • La taxe foncière a toujours été levée au nom de la SCI, ce qui démontre dès à présent l'existence formelle d'une "personnalité fiscale".

4. L'illusion qui existe en Belgique selon laquelle l'associé débiteur de l'impôt français sur les bénéfices nets appréhendés par la SCI serait une "personnalité fiscale" de substitution à la SCI elle-même outrepasse non seulement le droit fiscal mais aussi le droit civil français, en forçant l'associé domicilié en Belgique à accepter, sous contrainte d'une amende en cas de non-déclaration, une relation directe entre une administration fiscale étrangère à la France et lui-même. En sa qualité d'associé, ce dernier ne dispose d'aucun mandat, ni légal, ni statutaire, pour représenter la société en lieu et place de la gérance dûment nommée, au même titre qu'aucun actionnaire d'une société de droit belge ne peut représenter la société à la place de l'organe ou des membres désignés pour assurer l'administration quotidienne de ladite société. Aucun associé d'une SCI, au même titre qu'un actionnaire non dirigeant d'une S.A. ou S.R.L. belge, n'est légalement autorisé à répondre, à titre individuel, à la question de savoir si les immeubles inscrits à l'actif du bilan de la tierce personne morale dont il est associé sont mis ou non en location ou si l'impôt sur les revenus payé en France représente ou non moins de 1% du revenu équivalent et déterminé selon la loi belge. Poser une question, fût-elle pertinente ou infondée, par le SPF Finances à un contribuable belge qui, en tant qu'associé d'une société de droit français n'est légalement pas autorisé d'y répondre, ne peut conduire qu'à un litige ou à une confrontation judiciaire, sauf pour les ignorants ou les peureux.

5. Dans ses incohérences et contradictions, le législateur a indiqué dans son rapport au Roi présentant l'A.R. du 21 novembre 2018 que la signification des termes "société" et "établi" devait correspondre à la signification donnée à ces termes dans le CIR 92. La question que tout associé domicilié en Belgique d'une SCI doit ainsi se poser avant d'introduire la moindre déclaration au titre d'une "construction juridique" ou de requérir l'attribution d'un RC est de savoir si la SCI est « une société, …qui se livre à une exploitation ou à des opérations à caractère lucratif et qui : soit possède la personnalité juridique …en vertu du droit étranger qui le régit, soit… ». La réponse à cette question est évidemment NON, sauf pour certain(e)s, sans doute celles et ceux qui ont oublié qu'avant l'entrée en vigueur du C.S.A. en 2000, une société civile posant des actes de commerce était automatiquement requalifiée en société en nom collectif dite irrégulière...!


En conclusion

L'extension de la taxe Caïman à certaines SCI françaises est hautement litigieuse, car le législateur belge outrepasse la territorialité de ses pouvoirs en justifiant sa position par des arguments qui ne respectent ni la législation française, ni les principes d'unicité et d'égalité devant l'impôt, ni la signification des mots lorsqu'ils sont énoncés en français ou en néerlandais. Aussi, il a d'ores et déjà été annoncé le dépôt prochain d'un recours auprès de la Cour Constitutionnelle.

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