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Loi du 23 octobre 2025: de la fusion de sociétés sœurs sans émission de nouvelles actions.

Nouvelles opportunités en matière de restructuration de société (Fusion de sociétés sœurs)


1. Introduction

Le 23 octobre 2025, le Parlement a approuvé et voté une loi alignant le code d’impôt sur les revenus (CIR 92) sur le code des sociétés et associations, en matière de fusion de sociétés sans émission de nouvelles actions, et, plus spécifiquement, concernant les fusions de sociétés sœurs sans émission de nouvelles actions.

Voyons concrètement ce que cette nouvelle réglementation apporte comme réponse aux problèmes rencontrés dans la pratique quotidienne des restructurations.


2. Situations concrètes

Imaginez que vous dirigez plusieurs sociétés familiales. Vous avez peut-être une société (Soc. A) qui gère une activité de négoce de produits en gros ou de l’immobilier, une autre (Soc. B) qui exploite un fonds de commerce, et, une troisième (Soc. C) qui détient les participations dans les deux premières (Soc. A et Soc. B). Au fil des années, la structure s’est complexifiée et vous souhaitez la simplifier en regroupant / fusionnant les activités de Soc A et de Soc. B. Jusqu’à récemment, cette opération pouvait coûter très cher fiscalement, même si économiquement on ne faisait que réorganiser deux sociétés. Voyons concrètement ce qui change avec la nouvelle loi.


3. Quel était le problème des fusions entre sociétés sœurs ?

Le code des sociétés et des associations autorise la fusion de deux sociétés sœurs, le tout, sans devoir créer de nouvelles actions. C’est logique : si vous (Soc. C) détenez déjà toutes les actions des deux sociétés, pourquoi faudrait-il émettre de nouvelles actions au profit de soi-même ? A priori, cela paraît logique … sauf que le CIR 92 n’a pas suivi l’évolution du CSA !

En effet, pour qu’une fusion soit traitée comme fiscalement neutre, le CIR exigeait jusqu’il y a peu, qu’il y ait une émission de nouvelles actions. Dans l’exemple repris ci-avant, cette exigence créait un paradoxe absurde : vous pouviez légalement fusionner deux sociétés sœurs sans émettre d’actions, mais le fisc considérait alors que cette fusion n’étant pas neutre fiscalement, il pouvait « taxer » l’opération.

On se trouvait donc dans une impasse : soit on devait émettre de nouvelles actions mais on ne savait pas trop comment pour satisfaire le fisc, soit on acceptait le risque d’une taxation pour une simple réorganisation interne de patrimoine.


4. La réponse apportée par la nouvelle loi

La nouvelle loi met fin à cette situation kafkaïenne.

Elle aligne, enfin, définitivement les règles fiscales sur la réalité du droit des sociétés.

Voyons concrètement ce que cela change pour vous dans la pratique quotidienne de la gestion de votre groupe.

Prenons un exemple concret : supposons que vous déteniez deux sociétés sœurs. La première, appelons-la « Scom », exploite votre activité commerciale depuis vingt ans. Au fil du temps, elle a constitué ce qu’on appelle des réserves immunisées. Il s’agit d’argent que Scom a mis de côté en bénéficiant de reports d’impôts, par exemple dans le cadre de réserve de liquidation ou de réserve d’investissement. Ces réserves représentent, disons, 300.000 € et n’ont jamais été taxées, à condition de respecter certaines règles.

La deuxième société, appelons-la « Sim », détient vos bâtiments d’exploitation. Vous décidez logiquement de fusionner ces deux sociétés pour simplifier votre structure. Scom absorbe Sim. Avant la nouvelle loi, cette opération posait un problème : puisque aucune action nouvelle n’était émise, le fisc estimait que les règles normales de neutralité fiscale ne s’appliquaient pas. Résultat, vos 300.000 € de réserves immunisées risquaient de devenir immédiatement imposables. De l’impôt était donc dû pour avoir réorganisé votre propre structure, sans avoir touché un centime !

Avec la nouvelle loi, ce cauchemar fiscal appartient au passé. Les modifications apportées à l’article 211 du Code des impôts confirment désormais que la neutralité fiscale s’applique même en l’absence d’émission de nouvelles actions, ce qui permet aux réserves exonérées d’impôt de passer sans heurt de la société absorbée à la société absorbante. Vous pouvez continuer à bénéficier du report d’impôt exactement comme avant la fusion.

Il y a un deuxième aspect tout aussi important mais plus technique. Sans la nouvelle loi, le fisc aurait pu considérer qu’une partie du patrimoine transféré n’était pas correctement rémunérée par des actions, ce qui aurait entraîné ce qu’on appelle une réduction de capital dans la société absorbante. Cette réduction aurait eu des conséquences fâcheuses pour vous plus tard, notamment si vous vouliez distribuer des dividendes ou revendre votre société.

La nouvelle loi confirme désormais qu’aucune réduction de capital n’est présumée, même sans émission d’actions. Votre capital reste intact, préservant ainsi votre flexibilité future pour distribuer des bénéfices ou céder votre entreprise dans des conditions fiscales favorables.


5. Valeur des actions après la fusion

Passons maintenant à un autre aspect qui peut sembler technique mais qui aura un impact important en cas de vente des actions de la société après la fusion des deux sociétés sœurs.

Reprenons notre exemple. Il y a dix ans, vous avez créé Scom en y investissant 200.000 €. Il y a cinq ans, vous avez créé Sim en y investissant 300.000 € pour acheter vos bâtiments. Aujourd’hui, vous fusionnez les deux sociétés : Scom absorbe Sim. Les actions de Sim disparaissent puisque vous déteniez déjà toutes les actions de Scom.

Imaginons maintenant que vous souhaitiez vendre Scom. Un repreneur vous propose un million d’euros pour Scom qui regroupe les deux activités. La question cruciale devient : quelle sera votre plus-value imposable ? En toute logique, cette plus-value se calcule en prenant le prix de vente moins la valeur d’acquisition de vos actions.

Si on ne tenait compte que de votre investissement initial dans Scom, soit 200.000 €, votre plus-value imposable serait de 800.000 €. Ce n’est manifestement pas correct puisqu’au total, vous avez en réalité investi 500.000 € dans les deux sociétés.

La nouvelle loi corrige ce problème. Elle établit clairement que la valeur d’acquisition des actions de Scom après la fusion correspond à la somme de vos deux investissements initiaux, soit 500.000 €. Quand vous vendrez pour un million d’euros, votre plus-value imposable ne sera que de 500.000 €, ce qui correspond exactement à la réalité économique. La valeur d’acquisition fiscale des actions de la société absorbante comprend désormais la valeur historique de la ou des sociétés sœurs absorbées¹.

¹ Notez que la règle fonctionne, en principe, également dans l’autre sens si votre société a perdu de la valeur. Supposons qu’après la fusion vous ne trouviez qu’un acheteur à 400.000 €. Avec la nouvelle règle, vous aurez une moins-value de 100.000 € par rapport à vos investissements de 500.000 €, ce qui correspond à la réalité économique et pourra avoir des conséquences fiscales selon les circonstances.

La mesure proposée donne donc plus de sécurité fiscale pour les opérations de restructurations impliquant des sociétés sœurs sans craindre de créer des distorsions fiscales qui vous pénaliseraient plus tard lors d’une cession ultérieure.


6. Introduction d’une règle proportionnelle pour les périodes de détention

La nouvelle loi introduit également une innovation, disons, assez sophistiquée, mais essentielle si vous envisagez de vendre vos actions dans un délai relativement court après une fusion entre, par exemple, sociétés sœurs. Cette règle concerne ce qu’on appelle le régime d’exonération des plus-values sur actions, un mécanisme fiscal très avantageux pour les sociétés.

Le principe de base en très bref : quand une société détient des actions dans une autre société pendant au moins un an à concurrence d’un certain montant / pourcentage, et qu’elle réalise une plus-value en les vendant, cette plus-value peut être totalement exonérée d’impôts sous certaines conditions. La question qui peut se poser dès lors est « qu’en est-il en cas de fusion de sociétés sœurs où les actions de la société absorbée disparaissent » ?

Prenons un cas concret pour illustrer le problème que la nouvelle loi résout. Vous détenez depuis cinq ans toutes les actions de la Société Alpha, que vous aviez achetées pour 400.000 €. Cette société se porte bien et vaut aujourd’hui 900.000 €. Le mois dernier, vous avez racheté pour 600.000 € toutes les actions de Société Beta, une société complémentaire qui vaut toujours 600.000 €. Vous décidez immédiatement de fusionner les deux pour réaliser des synergies opérationnelles. Alpha absorbe Beta.

Trois mois plus tard, un concurrent vous fait une offre intéressante : il propose 1.600.000 € pour racheter la société Alpha qui regroupe maintenant les deux activités. Vous acceptez. Grâce à la règle de continuité que nous avons vue précédemment, la valeur d’acquisition de vos actions est bien de 1.000.000 (400.000 + 600.000). Donc votre plus-value est de 600.000 €. Mais pouvez-vous bénéficier de l’exonération totale de cette plus-value ?

Sans la nouvelle loi, la réponse aurait été incertaine et aurait dépendu d’un choix technique : quelle société avez-vous fait agir comme absorbante ? Si c’était Alpha que vous déteniez depuis cinq ans, vous auriez pu argumenter que vous déteniez les actions depuis plus d’un an et demander l’exonération totale. Si c’était Beta que vous déteniez depuis quatre mois (moins d’un an), vous n’auriez pas pu bénéficier de l’exonération. Cette situation était plutôt absurde car la réalité économique était identique dans les deux cas.

La nouvelle loi introduit une règle de bon sens : votre plus-value de 600.000 € est divisée proportionnellement. La partie qui correspond à votre investissement initial dans Alpha, soit 40 % du total (400.000 / 1.000.000), bénéficie de l’exonération puisque vous déteniez Alpha depuis plus d’un an. Les 60 % restants, correspondant à votre investissement récent dans Beta, sont imposables puisque vous ne déteniez Beta que depuis quelques mois.

Concrètement, sur vos 600.000 € de plus-value, 240.000 € seront exonérés et 360.000 € seront imposables. Cette solution est a priori équitable et reflète la réalité : vous avez bien détenu une partie de l’investissement pendant plus d’un an, et une autre partie pendant moins d’un an.

En conclusion de ce point, on retiendra donc que la nouvelle loi considère que pour la période de détention d’un an pour l’exonération des plus-values sur participation, on tiendra compte désormais d’une période de détention proportionnelle dans les participations des sociétés absorbées et absorbantes. Cette nouvelle règle bien qu’intéressante est susceptible de développer davantage la réflexion sur les opérations de restructurations et leur mise en place pour éviter les effets négatifs de la prise en compte des durées proportionnelles de détention de participation.


7. Restructuration d’entreprise & droits d’enregistrement : une clarification bienvenue …

Passons maintenant à un aspect qui vous concerne directement si vos sociétés détiennent des biens immobiliers, ce qui est très fréquent dans les PME familiales.

Les droits d’enregistrement sont ces taxes qu’on doit normalement payer quand on transfère un bien immobilier. Dans certaines régions de Belgique, ce droit peut atteindre 12,5 % de la valeur du bien, ce qui peut, selon les cas, représenter des montants importants à payer.

Heureusement, la législation prévoit depuis longtemps une exonération de ces droits pour les restructurations d’entreprises. Il demeurait toutefois un problème important : l’exonération en question était conditionnée au fait que l’apport / le transfert du bien immeuble soit rémunéré par l’attribution d’actions ou de parts. Or, dans une fusion entre sociétés sœurs, nous avons vu qu’en principe, on ne reçoit pas / on n’émet pas forcément de nouvelles actions. On se retrouvait donc, de facto, dans une zone grise inquiétante au regard des droits d’enregistrement.

Reprenons notre exemple de Scom et Sim. Sim détient les bâtiments d’exploitation d’une valeur de 2.000.000 €. Vous fusionnez les deux sociétés. Avant la clarification apportée par la nouvelle loi, on pouvait craindre que l’administration fiscale régionale réclame les droits d’enregistrement sur le transfert de l’immeuble au motif qu’aucune action nouvelle n’avait été émise.

La nouvelle loi met définitivement fin à cette incertitude. Elle modifie explicitement le Code des droits d’enregistrement pour confirmer que l’exonération s’applique bien aux fusions simplifiées entre sœurs, même sans émission d’actions. Concrètement, quand vous fusionnez vos sociétés et que l’immeuble de 2.000.000 € est transféré à la société absorbante, vous ne payez aucun droit d’enregistrement. L’économie fiscale est donc considérable.

Cette clarification s’applique également à un autre type d’opération qui peut vous intéresser : la scission partielle silencieuse. Imaginez que vous voulez séparer une branche d’activité de votre société principale en la transférant vers une société filiale que vous détenez déjà à 100 %. Vous ne voulez pas recevoir de nouvelles actions de cette filiale puisque vous les détenez déjà toutes. C’est exactement ce qu’on appelle une scission partielle silencieuse. La nouvelle loi confirme que si cette branche d’activité comprend des biens immobiliers, vous bénéficiez également de l’exonération des droits d’enregistrement.


8. La simplification de la notion de branche d’activité

Abordons un dernier point qui peut sembler purement technique mais qui a son importance pratique. Vous avez peut-être déjà entendu parler de la notion de branche d’activité dans le contexte des restructurations. Cette notion est importante car certains régimes fiscaux favorables, notamment en matière de droits d’enregistrement, exigent que vous transfériez une véritable branche d’activité et pas simplement des actifs isolés.

Une branche d’activité, c’est en gros une partie de votre entreprise qui peut fonctionner de manière autonome. Par exemple, si vous exploitez un restaurant et une boulangerie au sein de la même société, chacune de ces activités pourrait constituer une branche d’activité distincte. Mais si vous voulez juste transférer juste le four de votre boulangerie sans le reste de l’équipement, du personnel et des contrats clients, ce n’est pas une branche d’activité.

Le problème ici, c’était que le Code des sociétés et le Code des impôts utilisaient des termes différents pour désigner cette notion. En néerlandais notamment, le Code des sociétés parlait de “bedrijfstak” tandis que le Code des impôts utilisait “bedrijfsafdeling of tak van werkzaamheid”. Cette différence de vocabulaire créait une incertitude inutile : ces deux expressions désignaient-elles exactement la même chose ou y avait-il des nuances qui pourraient vous piéger ?

La nouvelle loi résout cette question en harmonisant complètement la terminologie. Désormais, les deux codes utilisent exactement les mêmes termes et la même définition. Pour vous, dirigeant d’entreprise, cela signifie une simplification importante : quand votre conseiller juridique vous confirme que vous transférez bien une branche d’activité au sens du droit des sociétés, vous savez automatiquement que cette opération sera reconnue comme telle fiscalement également. Vous n’avez plus à vous inquiéter d’une possible divergence d’interprétation entre les deux législations.


9. Conclusions à retenir pour vos décisions stratégiques

La loi du 23 octobre 2025 aborde encore d’autres points dont notamment l’extension du régime fiscal des fusions aux associations et fondations soumises à l’impôt des sociétés. Nous n’avons donc procédé qu’à un tour d’horizon très limité et non exhaustif de cette loi. Ceci étant, après ce tour d’horizon, on retiendra les points essentiels suivant …

Premièrement, lors de la fusion de sociétés sœurs, la neutralité fiscale s’applique dorénavant même en l’absence d’émission de nouvelles actions.

Deuxièmement, lors de telles opérations, la valeur d’acquisition fiscales des actions des sociétés absorbantes inclut de manière claire la valeur d’acquisition historiques de la ou des sociétés sœurs absorbées, ce qui permet de réaliser des restructurations sans créer de distorsions fiscales pour l’avenir.

Troisièmement, si vous envisagez de céder votre entreprise dans un délai relativement court après une fusion entre sœurs, vous devrez analyser attentivement avec votre conseiller fiscal le sens optimal de la fusion et évaluer si une fusion simplifiée ou une fusion ordinaire avec émission d’actions n’est pas plus avantageuse compte tenu de la règle proportionnelle de calcul de la période de détention.

Quatrièmement, vos restructurations impliquant des transferts immobiliers ne déclencheront pas forcément de droits d’enregistrement, même en l’absence d’actions nouvelles, ce qui peut représenter des économies considérables et rendre possibles des réorganisations qui auraient été fiscalement prohibitives auparavant.

Enfin, gardez toujours à l’esprit que ces avantages fiscaux ne sont acquis que si vous respectez les conditions générales de neutralité, notamment le critère anti-abus. Le fisc examinera toujours si votre restructuration est motivée par des raisons économiques réelles ou si elle vise principalement l’évasion fiscale. Tant que vos opérations correspondent à de véritables besoins de gestion, d’organisation ou de préparation de cession d’entreprise, vous ne devriez avoir aucun problème.

Au-delà du projet de loi sur la taxation sur les plus-values et son passage sur les « plus-values internes », on retiendra qu’une restructuration artificielle dont le seul but serait de réduire l’impôt a tout pour être sanctionnée.

La nouvelle législation présente de nouvelles opportunités pour optimiser la structure de groupe d’entreprises. Elle élimine des obstacles fiscaux qui empêchaient jusqu’ici des restructurations pourtant sensées sur le plan économique et organisationnel.

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