Dans son nouvel avis, la Commission se penche sur la possibilité de procéder à des opérations de fusion ou de scission impliquant des sociétés dont l’actif net est négatif. Le traitement comptable de ces opérations est examiné au travers d’exemples.
Dans le contexte de la mise à jour de ses avis relatifs aux restructurations de sociétés, la Commission des normes comptables a décidé de consacrer le présent avis aux fusions et scissions impliquant des sociétés dont l’actif net est négatif.
Dans le présent avis, la Commission se penchera tout d’abord sur la possibilité de procéder à de telles opérations. Le traitement comptable de ces opérations sera ensuite examiné au travers d’exemples.
A l'instar des 3e et 6e directives européennes concernant les fusions et scissions de sociétés anonymes2,3, dont elle devait assurer la transposition en droit belge, la loi du 29 juin 1993 modifiant, en ce qui concerne les fusions et les scissions de sociétés, les lois sur les sociétés commerciales, coordonnées le 30 novembre 19354 (ci-après : la loi du 29 juin 1993), ne contenait aucune interdiction pour les sociétés dont l'actif net comptable est négatif de prendre part à une fusion ou à une scission.
Toutefois, la doctrine restait partagée quant à la faisabilité de telles opérations en raison de la position exprimée dans l’exposé des motifs de la loi du 29 juin 1993. Ce dernier précisait que l’opération par laquelle une société sans actif net était absorbée par une autre société ne pouvait être considérée comme une fusion en raison du fait que « dans une telle opération, (…), les actionnaires ou associés de la société absorbée ne [devenaient] pas actionnaires de la société absorbante puisqu’il n’y [avait] pas en ce cas d’augmentation de capital de la société absorbante »5,6. Ce raisonnement s’appliquait pareillement à la scission7, ainsi qu’à la scission partielle introduite ultérieurement en droit belge8, puisque l’échange d’actions constituait également un élément essentiel de la définition de cette opération9.
Par la suite, ni le Code des sociétés ni le Code des sociétés et des associations n’ont apporté de clarification quant à cette problématique.
La Commission rappelle que le nombre d’actions de la société absorbante ou des sociétés bénéficiaires émises lors d’une opération de fusion ou de scission est en réalité déterminé par le rapport d’échange entre d’une part, la société absorbée ou scindée et d’autre part, la société absorbante ou la société bénéficiaire concernée. Comme expliqué dans l’avis CNC 2021/10 – Traitement comptable des fusions de sociétés10, un tel rapport s’obtient grâce à la formule suivante :
De là, on peut déterminer le nombre d’actions de la société absorbante (ou bénéficiaire) à attribuer aux actionnaires de la société absorbée (scindée) en échange des actions qu’ils détenaient avant l’opération dans cette société :
On peut donc en déduire que :
Si l’on suit ce raisonnement, il faut donc supposer que la référence à la notion d’actif net figurant dans l’exposé des motifs de la loi du 29 juin 1993 vise la valeur d’échange, laquelle peut par exemple correspondre à la valeur économique des sociétés participantes13, et non à l’actif net comptable puisque c’est bien la valeur d’échange qui sert de base à l’émission des actions de la société absorbante ou bénéficiaire.14
La Commission souligne pour le surplus que, même dans l’hypothèse où la valeur d’échange et/ou comptable de la société absorbée ou scindée serait négative, une fusion ou scission peut donner lieu à une augmentation du capital ou de l’apport dans le chef de la société absorbante ou bénéficiaire. Cette augmentation du capital ou de l’apport résulte de l’addition des postes de capital des sociétés participantes (lorsque ces sociétés sont dotées d’un capital) ou des postes d’apport (lorsque ces sociétés sont dépourvues d’un capital) et ne dépend pas de la valeur de l’actif net comptable ou de la valeur d’échange de la société absorbée ou scindée.15 Ceci découle du fait que les fusions et scissions sont soumises au principe de continuité comptable. Sur ce point, les fusions et scissions se distinguent des apports en nature puisque ces derniers entraînent une augmentation de capital ou de l’apport à concurrence de la valeur conventionnelle des actifs apportés sans que cette valeur ne puisse dépasser leur valeur de marché.16
A l’inverse, lorsqu’une société dépourvue de capital absorbe une société dotée d’un capital, le capital ne viendra pas nécessairement en augmentation de l’apport de l’absorbante.
Par conséquent, il faut remarquer que, contrairement à ce que suppose l’exposé des motifs de la loi du 29 juin 1993, il n’y a pas de lien direct entre l’émission d’actions et l’augmentation du capital ou de l’apport dans le chef de la société absorbante ou des sociétés bénéficiaires qui serait éventuellement constatée à la suite de l’opération.
Au vu de ces éléments, la Commission est d’avis qu’il doit être possible de procéder à une fusion ou scission lorsque l’actif net comptable de l’une des participantes est négatif. Dans les cas où la valeur d’échange de la société absorbée ou scindée est positive, il est en effet possible de déterminer le nombre d’actions de l’absorbante à émettre. Dès lors, l’opération pourrait en toute logique être qualifiée de fusion ou scission. Un tel cas de figure pourra notamment se présenter lors de l’absorption ou de la scission d’une entreprise en croissance (start-up, scale-up) qui n’est pas encore devenue rentable. A l’inverse, si la valeur d’échange de la société « absorbée » ou « scindée » est négative ou nulle, l’opération ne pourra pas être considérée comme une fusion ou scission.
La position de la Commission s’applique également au cas où la fusion a pour conséquence que l’actif net comptable de société absorbante devient négatif par suite de l’opération. La Commission est d'avis qu'aucune disposition légale n'empêche ce type d’opération. En pareil cas, l'organe d’administration compétent devra prendre les mesures nécessaires pour remplir ses obligations en matière de droit des sociétés (par exemple, documenter l'intérêt de la société à participer à une telle transaction, proposer des remèdes dans le cadre de la procédure de la sonnette d'alarme).17
Dès lors qu’une opération de restructuration peut être qualifiée de fusion ou de scission (partielle) au sens du CSA, elle doit être traitée selon le principe de continuité visé à l’article 3:56, § 1er (pour les fusions) et § 2 (pour les scissions) de l’AR CSA. Les exceptions visées aux articles 3:56, § 4, et 3:77 de l’AR CSA peuvent également trouver à s’appliquer.
Exemple 1
La société anonyme A projette d’absorber la société anonyme B18 dont les fonds propres comptables sont négatifs. Les sociétés participantes ne détiennent pas d'actions l'une de l'autre. Il n'est pas attribué de soulte en espèces. La société B ne détient pas d'actions propres. Les actions sont dépourvues de valeur nominale. Il n’a pas été décidé de maintenir la valeur du pair comptable par action. Les bilans avant fusion des deux sociétés sont repris ci-après et les montants sont exprimés en milliers d’euros.
Bilan A | |||
---|---|---|---|
Actifs | 2.000 | Capital | 1.000 |
Réserves | 500 | ||
Dettes | 500 | ||
2.000 | 2.000 |
Bilan B | |||
---|---|---|---|
Actifs | 1.000 | Capital | 200 |
Perte reportée | -400 | ||
Dettes | 1.200 | ||
1.000 | 1.000 |
La valeur d’échange de chaque société, qui correspond aussi à leur valeur réelle, s’élève à 5.000 et 1.000. Elle est donc positive.
Le nombre d’actions, la valeur d’échange et la valeur d’échange par action des deux sociétés sont données ci-après :
A | B | |
Nombre d'actions | 100 | 10 |
Valeur d'échange | 5.000 | 1.000 |
Valeur d'échange par action | 50 | 100 |
On obtient le rapport d’échange suivant : 1 action de B est échangée contre 2 actions de A. 20 actions de A sont émises en échange des 10 actions de B.
La fusion peut se dérouler en continuité comptable si les conditions autres que l’émission d’actions de l’absorbante vers les actionnaires de la société absorbée sont également réunies.
A la date d’effet comptable de la fusion, le bilan de la société absorbante (A) est le suivant :
Bilan A (+B) | |||
---|---|---|---|
Actifs | 3.000 | Capital | 1.200 |
Réserves | 500 | ||
Perte reportée | -400 | ||
Dettes | 1.700 | ||
3.000 | 3.000 |
Cet exemple confirme qu’une opération de fusion par absorption d’une société dont les fonds propres comptables sont négatifs (B) peut bel et bien donner lieu à une émission d’actions de la société absorbante (A) lorsque la valeur d’échange des sociétés impliquées est positive. On note par ailleurs qu’il y a une augmentation de capital dans le chef de l’absorbante.
La Commission rappelle également que le commissaire, le réviseur d’entreprises ou l'expert-comptable certifié désigné doit établir un rapport écrit sur le projet de fusion rédigé par l’organe d’administration et notamment indiquer si, à son avis, le rapport d'échange est pertinent et raisonnable ou non19. L’obligation d’établir un tel rapport n’est pas d’application dans les cas suivants :
De l’avis de la Commission, les développements qui précèdent à propos des fusions s’appliquent mutatis mutandis aux scissions et scissions partielles.
De telles opérations posent toutefois une question supplémentaire : celle de l’allocation des fonds propres de la société (partiellement) scindée entre les sociétés bénéficiaires. Comme indiqué dans les avis CNC 2009/8 - Traitement comptable des opérations de scission et 2009/11 – Le traitement comptable des scissions partielles21, il convient de faire en sorte que le transfert des fonds propres comptables suive dans la mesure du possible les règles relatives au transfert des fonds propres fiscaux22.
Pour rappel, la répartition des fonds propres fiscaux obéit aux règles de l’article 213, alinéa 1er du Code des impôts sur les revenus 92 (ci-après : CIR 92), lequel dispose que : « pour déterminer le capital libéré et les bénéfices antérieurement réservés à envisager en cas de scission dans le chef de chacune des sociétés absorbantes ou bénéficiaires et pour déterminer la réduction visée à l'article 211, § 2, ces sociétés sont censées avoir repris ou reçu le capital libéré, les réserves taxées et exonérées de la société scindée, proportionnellement à la valeur fiscale nette des apports effectués par cette dernière à chacune d'elles ».
Cette clé de répartition doit par ailleurs être complétée par les principes énoncés aux articles 211/55 et 211/56 Comm. IR 92 afin de procéder à l’attribution d’éléments tels que les plus-values de réévaluation et les plus-values taxables de manière étalée.
Lorsque la valeur fiscale nette de la société scindée est négative, on considère qu’elle doit être ramenée à 023. Dans cette hypothèse, la règle de l’article 213, alinéa 1er du CIR 92 s'applique en tenant compte de la valeur fiscale nette des éléments d'actif transférés (et non des apports) par la société absorbée ou scindée à chacune des sociétés bénéficiaires24.
Ces règles s’appliquent également aux scissions partielles25.
La Commission estime que la répartition des fonds propres comptables de la société (partiellement) scindée doit également être alignée sur celle des fonds propres fiscaux lorsque les fonds propres comptables sont négatifs, ce qui implique que :
Exemple 2
Supposons que la société anonyme A dont le bilan avant scission est donné ci-dessous est scindée en deux sociétés anonymes B et C existantes.26 Comme dans l’exemple précédent, les montants sont exprimés en milliers d’euros. On suppose qu’il y a équivalence entre le capital comptable et le capital fiscal.
Bilan A | |||
---|---|---|---|
Actifs | 8.000 | Capital | 2.000 |
Perte reportée | -4.000 | ||
Dettes | 10.000 | ||
8.000 | 8.000 |
Lorsque le projet de scission prévoit que la répartition aux actionnaires de la société à scinder des actions des sociétés bénéficiaires sera proportionnelle à leurs droits dans le capital de la société à scinder27, le nombre d’actions, la valeur d’échange et la valeur d’échange par action des deux sociétés sont données ci-après :
A | B | C | |
Nombre d'actions | 5.000 | 15.000 | 12.000 |
Valeur d'échange | 10.000 | 15.000 | 12.000 |
Valeur d'échange par action | 2 | 1 | 1 |
Etant donné que les valeurs d’échange des sociétés concernées sont positives, l’opération peut être réalisée.
Des actifs sont attribués à B pour un montant de 6.000, soit ¾ de la valeur totale des actifs de A, et à C pour un montant de 2.000, soit ¼ de la valeur des actifs de A.
Les patrimoines de A transférés à B et C se composeront comme suit :
Bilan B | |||
---|---|---|---|
Actifs | 6.000 | Capitaux propres | -1.500 |
Dettes | 7.500 | ||
6.000 | 6.000 |
Bilan C | |||
---|---|---|---|
Actifs | 2.000 | Capitaux propres | -500 |
Dettes | 2.500 | ||
2.000 | 2.000 |
Conformément à l’article 213, alinéa 2 du CIR 92, les fonds propres fiscaux devront être transférés dans la même proportion que les actifs. Vu l’équivalence existant entre les fonds propres comptables et fiscaux, il en sera de même pour les fonds propres comptables.
Les patrimoines transférés à B et C se présenteront comme suit :
Bilan B | |||
---|---|---|---|
Actifs | 6.000 | Capital | 1.500 |
Perte reportée | -3.000 | ||
Dettes | 7.500 | ||
6.000 | 6.000 |
Bilan C | |||
---|---|---|---|
Actifs | 2.000 | Capital | 500 |
Perte reportée | -1.000 | ||
Dettes | 2.500 | ||
2.000 | 2.000 |
Il faut par ailleurs noter que l’alignement du transfert des fonds propres comptables sur celui des fonds propres fiscaux ne pourra avoir lieu que si les actifs et les dettes sont transférés dans la même proportion. En pratique, ce ne sera pas toujours le cas. Les dettes sont en effet transférées de manière à être rattachées aux actifs auxquels elles se rapportent. En pareil cas, la Commission estime également que lorsque les actifs et les dettes ne sont pas transférés dans la même proportion, des ajustements seront nécessaires par le biais de la déclaration fiscale.
Exemple 3
Supposons que la société anonyme A, dont le bilan est présenté ci-dessous, fasse l'objet d'une scission partielle, une partie de ses actifs étant transférée à la nouvelle société anonyme B.28 Les montants sont indiqués en milliers d'euros. On suppose qu'il y a équivalence entre le capital comptable et le capital fiscal.
Bilan A | |||
---|---|---|---|
Actif 1 | 4.000 | Capital | 2.000 |
Actif 2 | 4.000 | Résultat reporté | -4.000 |
Dettes | 10.000 | ||
8.000 | 8.000 |
A détient des actifs d'une valeur comptable de 8.000 et des passifs de 10.000, ce qui représente des fonds propres négatifs de -2.000.
En supposant que les valeurs d’échange des sociétés concernées soient positives, la transaction peut avoir lieu.
A conserve l’actif 2 d'une valeur comptable de 4.000, soit ½ de la valeur totale de ses actifs avant l’opération, ainsi que l’intégralité de ses dettes. B acquiert l’actif 1 d'une valeur comptable de 4.000, soit ½ de la valeur totale des actifs de A avant la transaction.
D'un point de vue comptable, il ne semble pas possible d’attribuer les fonds propres conformément à l'article 213, § 2, du CIR 92 sans procéder à des ajustements supplémentaires.
D'un point de vue comptable, le bilan de A après l’opération peut être représenté comme suit :
Bilan A | |||
---|---|---|---|
Actif 2 | 4.000 | Capital | 1.000 |
Résultat reporté | -7.000 | ||
Dettes | 10.000 | ||
4.000 | 4.000 |
Compte tenu du rapport 50/50 susmentionné, la société A conserve un capital de 1.000, soit 50 % de 2.000. En tenant compte des 4.000 d’actifs et des 10.000 de dettes, son résultat transféré du point de vue comptable est de -7.000. Les fonds propres s’élèvent donc à -6.000 et se composent du capital pour 1.000 et du résultat reporté pour -7.000.
En revanche, sur le plan fiscal, le résultat reporté doit être de -2.000, soit 50% de -4.000. Par conséquent, dans le cas de la répartition susmentionnée, une réserve taxée positive (par exemple, une "réserve hors bilan") doit être incluse dans la déclaration à l'impôt des sociétés avec un solde initial et final de 5.000.
D'un point de vue comptable, le bilan de B après l’opération peut être représenté comme suit :
Bilan B | |||
---|---|---|---|
Actif 1 | 4.000 | Capital | 1.000 |
Résultat reporté | 3.000 | ||
4.000 | 4.000 |
Compte tenu du rapport 50/50 susmentionné, la société B reçoit un capital de 1.000, soit 50 % de 2.000. En tenant compte des 4.000 actifs, son résultat (comptable) transféré s'élève à 3.000.
Or, sur le plan fiscal, le résultat transféré doit être de -2.000, soit 50 % de -4.000. Par conséquent, une réserve taxée négative (par exemple, une "réserve hors bilan") doit être incluse dans la déclaration à l'impôt des sociétés avec un état initial et final de -5.000.
Source : CNC, février 2022